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Pompiers volontaires : la fin du débat ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2012/AB/592

Mis en ligne le jeudi 9 juillet 2020


Cour du travail de Bruxelles, 20 janvier 2020, R.G. 2012/AB/592

Terra Laboris

Dans plusieurs arrêts rendus le 20 janvier 2020, la Cour du travail de Bruxelles tranche les réclamations des pompiers volontaires de la Ville de Nivelles, et ce après l’arrêt rendu par la Cour du Justice le 21 février 2018.

Rétroactes

L’affaire concerne la loi du 14 décembre 2000 fixant certains aspects de l’aménagement du temps de travail dans le secteur public, loi qui a transposé la Directive 2003/88 dans celui-ci.

Cette loi définit le temps de travail comme étant le temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de l’employeur.

Par ailleurs, son article 3 est interprété (suite à un apport de la loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses) en ce sens que les volontaires des services publics d’incendie et des zones de secours telles que prévues par la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile et les volontaires des unités opérationnelles de la protection civile n’entrent pas dans la définition de travailleur.

Pour ce qui est de la Ville de Nivelles, elle a adopté un règlement organique pour son service d’incendie, règlement qui règle les questions relatives aux membres du personnel dudit service et contient les dispositions propres au personnel professionnel et au personnel volontaire.
Son service d’incendie regroupe en effet les deux catégories.

Le travailleur concerné (dont le dossier a été porté devant la Cour de Justice) est entré au service de la Ville de Nivelles le 1er août 1980 et a obtenu la qualité de sapeur-pompier volontaire. Il est par ailleurs employé dans le secteur privé.

En 2009, il a sollicité, devant les juridictions du travail, l’octroi de dommages et intérêts (1€ provisionnel) pour non-paiement pendant ses années de service de la rémunération relative à ses prestations en qualité de pompier volontaire, notamment ses services de garde à domicile.

Sa demande a été accueillie dans une large mesure par un jugement du Tribunal du travail de Nivelles du 22 mars 2012 et, suite à l’appel de la Ville, la Cour du travail de Bruxelles a été saisie.

Elle s’est, dans son arrêt du 14 septembre 2015, interrogée sur la question de savoir si la rémunération réclamée pour les services de garde à domicile est justifiée, ceux-ci devant être qualifiés selon l’intéressé de temps de travail.

Pour la cour du travail, il s’agit de vérifier si de tels services peuvent être considérés comme relevant de la définition du temps de travail au sens de la Directive 2003/88.

Elle a, dès lors, posé à la Cour de Justice quatre questions préjudicielles.

L’arrêt de la Cour de Justice

Dans son arrêt du 21 février 2018, la Cour a répondu sur l’article 17, §3, sous c), iii), l’article 15 et l’article 2 de la Directive 2003/88/CE.

En ce qui concerne l’article 17, §3, sous c), iii), elle a considéré que les Etats membres ne peuvent déroger, à l’égard de certaines catégories de sapeurs-pompiers recrutés par les services publics d’incendie, à l’ensemble des obligations découlant des dispositions de cette directive en ce compris l’article 2, qui définit notamment les notions de « temps de travail » et de « période de repos ».

L’article 15 ne permet, par ailleurs, pas que les Etats membres maintiennent ou adoptent une définition moins restrictive de la notion de « temps de travail » que celle énoncée à l’article 2 de la directive.

Quant à cet article 2, il n’impose pas aux Etats membres de déterminer la rémunération de périodes de garde à domicile telles que celles dont la Cour est saisie en fonction de la qualification préalable de ces périodes en tant que « temps de travail » ou « période de repos ».

Par ailleurs, le temps de garde qu’un travailleur passe à domicile - avec l’obligation de répondre aux appels de son employeur dans un délai de huit minutes (en l’espèce) restreignant très significativement les possibilités d’avoir d’autres activités - doit être considéré comme « temps de travail ».

L’arrêt de la Cour du travail du 20 janvier 2020

La cour, après avoir rappelé les rétroactes procéduraux, examine le fond de la contestation.

Il s’agit des allocations pour prestations nocturnes et dominicales pour les interventions entamées durant la garde en caserne et prolongées au-delà de cette garde, soit (i) des allocations pour prestations nocturnes et dominicales, (ii) des allocations pour prestations du samedi et (iii) de la rémunération des gardes à domicile.

C’est cet aspect du dossier qui est particulièrement important.

La cour du travail rappelle les réponses données par la Cour de justice, soulignant que la limitation de la possibilité d’avoir d’autres activités pendant la période d’astreinte est à ce point significative que celle-ci constitue du temps de travail au sens de la directive.

Ces périodes d’astreinte répondant à la définition du temps de travail au sens du droit européen, les repos obligatoires et les limites maximales de la durée du travail imposées par la directive doivent s’appliquer. La cour constate que l’intéressé ne se fonde pas sur l’insuffisance des repos ni le dépassement des limites maximales de la durée du travail, mais qu’il réclame une indemnisation pour non-paiement de la rémunération en violation de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de celle-ci.

La cour rappelle que la directive ne règle pas la question de la rémunération, qui n’est pas de la compétence de l’Union. C’est au regard du droit interne que cette demande doit être examinée. C’est dès lors au travailleur à établir le fondement de sa demande.

Rappelant que les pompiers volontaires sont des agents statutaires (il s’agit d’agents de la fonction publique, pour lesquels le traitement et les indemnités sont fixés unilatéralement par l’autorité), la cour constate que le règlement en vigueur, qui définit les prestations prises en compte, n’inclut pas les heures d’astreinte. Il ne contient dès lors pas de base réglementaire à l’appui de la demande principale de l’intéressé.

Par contre, le statut pécuniaire de la Ville de Nivelles peut permettre de fonder la demande, dans la mesure où il s’applique aux membres du personnel communal à l’exception des enseignants et des agents contractuels (sous réserve d’une hypothèse – non rencontrée).

Le règlement organique prévoit que le personnel volontaire n’a pas la qualité de personnel communal. Pour la cour, cette exclusion est incompatible avec la qualité d’agent statutaire. L’intéressé fait donc partie du personnel communal et son statut pécuniaire lui est applicable.

Elle en conclut que l’intéressé réclame à juste titre l’allocation de garde prévue au statut, qui envisage les gardes à domicile.

Celui-ci vise le terme « à domicile » même si les pompiers volontaires peuvent se trouver durant le temps d’astreinte hors de leur domicile. La disposition les concerne dans la mesure où ils doivent être joignables à tout moment et être en mesure de rejoindre la caserne dans un délai maximal de 8 minutes.

La disposition concerne dès lors tous les cas où les agents doivent rester à la disposition des autorités pour être joignables en-dehors de leurs heures normales de prestation pour intervenir en cas de circonstances imprévues.

La cour examine encore à titre surabondant l’hypothèse où le statut pécuniaire ne trouverait pas à s’appliquer, étant que dans cette hypothèse il faut admettre que, s’appliquant aux pompiers professionnels (dont il n’est pas contesté qu’ils font partie du personnel communal statutaire), les pompiers volontaires forment avec eux des catégories comparables et qu’une différence de traitement ne peut dès lors être raisonnablement justifiée pour des prestations identiques effectuées au sein d’un même corps et dans des conditions comparables.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la cour du travail a statué quant au fondement du droit. Elle condamne, à ce stade, l’employeur public au paiement d’un euro provisionnel au titre de dommages et intérêts découlant de l’infraction de non paiement de la rémunération. Il s’agit d’une violation de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération, les heures de garde à domicile n’ayant pas donné lieu au paiement de l’indemnité de garde prévue au statut pécuniaire des agents de la Ville.

La cour a réservé à statuer pour la détermination définitive des montants dus.

Vu l’appui de l’arrêt de la Cour de Justice du 21 février 2018, nul doute que la situation de sapeurs-pompiers volontaires se trouvera clarifiée après cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles.

Relevons que celui-ci, examiné dans ce commentaire dans la mesure où cette affaire a donné lieu à l’arrêt de la Cour de Justice, n’est pas le seul à être rendu par la cour du travail le 20 janvier 2020, celle-ci ayant été amenée à statuer de manière identique dans le cas d’autres pompiers volontaires.


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