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Maladie professionnelle : demande d’aggravation d’une maladie retirée de la liste

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 2 décembre 2019, R.G. 2019/AL/70

Mis en ligne le lundi 29 juin 2020


Cour du travail de Liège (division Liège), 2 décembre 2019, R.G. 2019/AL/70

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 décembre 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) admet la désignation d’un expert, suite à une demande d’aggravation d’une maladie retirée de la liste, cette aggravation pouvant être examinée à la fois dans le cadre de celle-ci et dans le système hors liste.

Les faits

Un ouvrier a été indemnisé dans le cadre d’une maladie de la liste (affections de la colonne lombaire associées à des lésions dégénératives précoces provoquées par des vibrations mécaniques transmises au corps par le siège) depuis 2003.

Le code de la liste a été abrogé par arrêté royal du 27 décembre 2004.

En 2016, l’intéressé introduit une demande en aggravation et, vu la disparition du code initial, cette aggravation est demandée dans un autre code voisin (1.605.03) ainsi que eu égard à une maladie hors liste.

La demande en aggravation est rejetée et une procédure est introduite devant les juridictions du travail. Le Tribunal du travail de Liège (division Liège) déboute la partie demanderesse par jugement du 21 janvier 2019.

L’intéressé interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’appelant demande la réformation du jugement, postulant une réparation en aggravation, à la fois dans le code 1.605.13 et dans le cadre d’une maladie hors liste.

Pour FEDRIS, cependant, il n’y a pas de lien causal déterminant et direct entre la maladie invoquée et l’exposition au risque. L’Agence fait état de facteurs étiologiques de nature à confirmer cette absence de lien (caractère normal de l’usure de l’organisme, obésité, anomalie constitutionnelle, etc.).

La décision de la cour

La cour rappelle que, suite à l’abrogation du code 1.605.12 par l’arrêté royal du 27 décembre 2004, un régime transitoire est intervenu, les lois coordonnées du 3 juin 1970 prévoyant en leur article 36, alinéa 1er, qu’en cas de suppression ou d’inscription d’une maladie de la liste (ou de modification de son libellé), la personne atteinte de la maladie conserve ses droits à la réparation acquise, sans préjudice de toute autre disposition concernant la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles.

Un arrêté royal du 25 février 2007 est venu préciser que, pour ce qui est du code 1.605.12, l’indemnisation ne peut être revue en cas d’aggravation que si l’affection et l’exposition au risque correspondent à la maladie visée par le numéro de code 1.605.03 (celui-ci étant inscrit sur la liste depuis un arrêté royal du 27 décembre 2004).

La cour précise comme suit la question issue des éléments du dossier médical (et qui assied la position de FEDRIS) : une hernie opérée 30 ans auparavant peut-elle être retenue pour établir une des hypothèses du code 1.605.03 ? Il s’agit d’une question juridique, à laquelle la cour répond par l’affirmative, l’expert qu’elle entend désigner étant chargé de donner son avis sur la réunion à l’époque des conditions du code 1.605.03 (ainsi que sur tout autre élément qui serait apparu entre-temps pour considérer que les mêmes conditions sont réunies depuis une date plus récente).

Elle en vient ensuite à la question de l’exposition au risque, qui est contestée par FEDRIS. Elle fait un rappel important en droit, à partir de l’article 32, alinéas 1er et 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970. Sa première constatation est que l’exposition au risque s’apprécie de la même manière pour les pathologies du système dit « de la liste » et celles du système dit « hors liste ».

L’exposition au risque comprend deux composantes, étant d’abord un élément matériel (exposition à l’influence nocive inhérente à l’exercice de la profession et nettement plus grande que celle subie par la population en général) et un élément causal (imputabilité). Elle renvoie à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accidents du travail et en maladies professionnelles », R.D.S., 2013, pp. 463 et 493), pour ce qui est de l’approche individuelle, le risque de contracter la maladie du fait de l’exposition à des agents ou des conditions de travail bien définies devant s’apprécier en fonction des caractéristiques propres de chaque individu.

En l’espèce, l’exposition au risque a déjà été reconnue, de telle sorte que – malgré le libellé maladroit de l’article 2 de l’arrêté royal du 25 février 2007, qui prévoit que l’indemnisation ne peut être revue en cas d’aggravation que si l’exposition au risque correspond à la maladie – il s’agit en réalité de vérifier l’imputabilité de la pathologie à l’exposition.

Par ailleurs, la maladie reconnue initialement est une pathologie dégénérative (ce qui ressort d’ailleurs de la définition du code 1.605.12), de sorte qu’il n’est pas nécessaire de vérifier si l’intéressé a été exposé au risque d’une pathologie lombaire après la date d’apparition qui a été fixée par le jugement. L’imputabilité pourra être retenue si l’exposition qui a été reconnue initialement est adéquatement en relation avec le code 1.605.03 (inexistant à l’époque).

En ce qui concerne le lien causal, la cour procède au renvoi classique vers l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), ainsi qu’aux apports doctrinaux sur la question. Les termes « déterminante et directe » utilisés à l’article 30bis ne signifient pas que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie. Le lien de causalité ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de la maladie, la disposition légale n’excluant pas une prédisposition ni n’imposant, de même, que la victime doive établir l’importance de l’influence exercée par la prédisposition. La cause doit être réelle et manifeste mais non-exclusive ni même principale. Le lien causal existe dès lors que, sans le risque, la maladie ne serait pas survenue telle quelle (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accidents du travail et en maladies professionnelles », R.D.S., 2013, p. 496). L’expert est dès lors chargé, sur cette question du lien causal, de déterminer si les lésions lombaires se présentent telles qu’elles sont, entre-autres à cause de l’exposition au risque.

Il devra également, dans l’examen du lien causal déterminant et direct, éliminer certains facteurs étiologiques. Ceux-ci ne peuvent en effet pas gommer l’impact de l’exposition au risque, fût-il modeste, sur l’apparition et/ou le développement de la maladie.

L’expert est dès lors chargé d’une double mission, dans le cadre des maladies de la liste d’une part et dans celui des maladies hors liste, de l’autre.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège permet les investigations, via l’expertise judiciaire, tant dans le cadre d’une maladie de la liste que dans celui d’une maladie hors liste.

La suppression du code 1.605.12 et son remplacement par le code 1.605.03 ont en effet des conséquences importantes, et ce notamment sur le plan de la preuve. L’on peut renvoyer sur la question à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 6 mai 2016 (C. trav. Liège, div. Liège, 6 mai 2016, R.G. 2015/AL/461), qui a bien exposé les plus grandes difficultés, sur le plan de la preuve, à faire admettre l’existence d’une maladie hors liste dans cette situation.

La cour a en effet considéré que le retrait du code 1.605.12 et son remplacement par le code 1.605.03 n’ont pas pour conséquence que l’affection dont la victime peut être atteinte ne peut être reconnue comme maladie professionnelle hors liste. Dans cette hypothèse, une fois établie l’exposition professionnelle, doit encore être démontré, sur le plan strictement médical, le lien déterminant et direct qu’entretiendrait cette maladie telle qu’elle est décrite avec l’exercice de la profession exercée, dans les conditions concrètes dans lesquelles l’intéressé a accompli ses prestations de travail.

Le retrait de la liste de la maladie professionnelle initialement reconnue fait obstacle à ce que la victime bénéficie, dans le cadre de l’action introduite pour en faire constater l’aggravation, de la présomption légale de causalité qui s’attachait jadis à cette maladie reconnue sur la base de l’ancien code.

La victime doit dès lors établir le lien déterminant et direct, à savoir que la cause déterminante est celle sans laquelle la maladie ne se serait aucunement déclarée ou ne se serait pas déclarée au moment où elle est apparue et que la cause directe est celle qui se trouve directement à l’origine de la maladie, sans maillon intermédiaire. Le lien de causalité n’exige cependant pas que l’exercice de la profession soit la cause unique de la maladie, la loi n’excluant pas l’existence d’une prédisposition et n’imposant pas à la victime l’obligation d’établir le degré d’influence de celle-ci (renvoi à Cass., 2 février 1998).


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