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Mise au travail par le C.P.A.S. (article 60, § 7) et modes de rupture

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Tournai), 4 octobre 2019, R.G. 18/177/A

Mis en ligne le lundi 29 juin 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), 4 octobre 2019, R.G. 18/177/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 4 octobre 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (div. Tournai) rappelle que les contrats de travail conclus dans le cadre de l’article 60 de la loi du 8 juillet 1976 organique des C.P.A.S. sont soumis aux règles habituelles des contrats de travail régies par la loi du 3 juillet 1978, ainsi, pour la rupture d’un contrat de travail à durée déterminée.

Les faits

Un C.P.A.S. engage une ouvrière dans le cadre de l’article 60, § 7, de la loi organique, via des contrats de travail à durée déterminée successifs. Le premier contrat porte sur des fonctions de technicienne de surface et les deux suivants reprennent celles d’aide de cuisine.

L’intéressée devait, en effet, pouvoir récupérer ses droits aux allocations de chômage et, pour ce, travailler pendant une période de 21 mois à concurrence de 312 jours. La période couverte par les trois contrats successifs couvre une année complète.

Suite à un accident de la vie privée, survenu en cours du troisième contrat, l’intéressée est en incapacité de travail et celle-ci est prolongée. Vu son absence, le C.P.A.S. considère que le travail d’insertion professionnelle ne peut plus se poursuivre. Un courrier est envoyé par recommandé (mais ne pourra être réceptionné à temps) en vue de l’auditionner lors de la séance du Conseil de l’Action sociale à laquelle son dossier sera examiné.

Une semaine plus tard, le C.P.A.S. transmet à l’intéressée sa décision, étant la rupture du contrat de travail à dater de la fin du mois en cours, étant le terme de l’incapacité de travail justifiée par certificat médical. La motivation donnée est que, l’intéressée étant en incapacité de travail depuis un peu plus de 3 semaines à l’époque (incapacité devant encore se prolonger pendant une dizaine de jours), l’autorité précisé que « il n’est pas possible de poursuivre la mission d’insertion socio-professionnelle liée à votre contrat de travail et (…) le travail social ne peut être valablement réalisé dans de telles conditions ». L’intéressée est informée de son droit de recours dans les 3 mois.

Elle est, ultérieurement, invitée à restituer son matériel et à venir retirer son document C4. Suite à l’intervention de son organisation syndicale, les documents sont envoyés. Le C4 mentionne « incapacité supérieure à un mois – impossibilité de travailler l’insertion (article 60) ».

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division Tournai), la demanderesse sollicitant la condamnation du C.P.A.S. à une indemnité compensatoire de préavis ainsi qu’à des dommages et intérêts, d’une part pour absence d’audition et, d’autre part, pour abus de droit.

La décision du tribunal

Le tribunal rappelle que le contrat conclu en application de l’article 60, § 7, de la loi du 8 juillet 1976 est un contrat régi par la loi du 3 juillet 1978. En conséquence, il prend fin selon les hypothèses de droit commun ou selon les modes fixés par celle-ci. Il peut toujours être mis un terme au contrat de travail pour autant que soient respectées les règles en la matière. Le tribunal renvoie à une Circulaire du Ministre fédéral des affaires sociales datée du 17 juin 2015, où a été précisé qu’une mise à l’emploi entamée est régie par un contrat de travail auquel sont applicables toutes les règles du droit du travail, celle-ci ne pouvant être interrompue sans raison.

Le tribunal reprend, ensuite, le texte de l’article 40 de la loi du 3 juillet 1978, relatif à la rupture des contrats de travail à durée déterminée ou de ceux conclus pour un travail nettement défini. Est due en cas de rupture unilatérale avant le terme une indemnité égale au montant de la rémunération qui restait à échoir jusqu’à celui-ci, avec un maximum, étant le double de la rémunération correspondant à la durée du délai de préavis applicable en cas de contrat à durée indéterminée. Pendant la première moitié de la durée convenue, chacune des parties peut encore résilier le contrat avant terme et sans motif grave, à certaines conditions.

Pour le tribunal, cette règle est applicable et le C.P.A.S. ne peut s’y soustraire. Il note que figurait dans le contrat une disposition selon laquelle celui-ci pouvait être résilié sans préavis avant l’échéance du terme si le travailleur ne mettait pas tout en œuvre pour maintenir son droit à l’insertion. Il s’interroge sur la validité de cette clause, dont la mise en œuvre dépend exclusivement de l’appréciation subjective de l’employeur. Il relève cependant que celle-ci doit s’analyser comme une clause résolutoire expresse pour cause de non-exécution et qu’il conserve son plein pouvoir d’appréciation sur celle-ci.

Il constate, dans les faits, que l’intéressée n’a commis aucune faute et que la rupture est en conséquence irrégulière. Celle-ci ouvre le droit à l’indemnité de l’article 40 de la loi du 3 juillet 1978.

Pour ce qui est des dommages et intérêts, le tribunal rappelle que l’autorité publique est tenue de procéder à l’audition du travailleur contractuel, qu’il s’agisse d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée. Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juillet 2017 (C. const., 6 juillet 2017, n° 86/2017) ainsi qu’à la doctrine (dont J. de WILDE d’ESTMAEL, « L’audition préalable au licenciement dans le secteur public : un partout ? », J.L.M.B., 2017/36, pp. 1700-1707).

Il s’agit en l’espèce d’un licenciement fondé sur une absence due à une incapacité de travail, soit un motif lié à la personne de l’intéressée. Dans une telle hypothèse, le C.P.A.S. devait procéder à une audition effective de la travailleuse avant le licenciement. S’est posé le problème d’une convocation tardive, que le tribunal confirme. A raison de ces carences, la convocation en cause ne pouvait permettre une audition préalable effective. Il y a un préjudice distinct de celui qui est réparé par l’indemnité compensatoire de préavis et le tribunal alloue de chef 1.500 euros forfaitaires.

Par contre, pour ce qui est des dommages et intérêts sollicités pour abus de droit de licencier, il rappelle les règles de la théorie générale et souligne notamment que le seul fait de mettre fin au contrat pour un motif inexact ne constitue pas en soi une faute dans le chef de l’auteur du congé. Le licenciement en l’espèce est irrégulier et le préjudice vanté est le même que celui qui a été indemnisé précédemment, étant la perte pour l’intéressée d’une chance de conserver son emploi et d’être réintégrée dans son droit aux allocations sociales.

Intérêt de la décision

L’on notera que la demanderesse n’était pas, en l’espèce, dans les conditions pour solliciter une indemnité dans le cadre de la C.C.T. n° 109. Le contrat conclu en application de l’article 60, § 7, de la loi organique des C.P.A.S. étant soumis aux règles générales des contrats de travail, la rupture aurait pu, si la condition d’ancienneté avait été remplie, faire examiner le caractère manifestement déraisonnable de la rupture, s’agissant d’un motif lié à la personne, à savoir l’incapacité de travail. L’on notera également que celle-ci est directement visée comme motif de licenciement et qu’aurait également pu se poser la question du caractère discriminatoire du licenciement.

Pour le surplus, après le rappel des règles en matière de contrat de travail à durée déterminée, en cas de licenciement avant le terme convenu, le tribunal fait un juste rappel des principes permettant l’examen des dommages et intérêts postulés à la fois eu égard à l’absence d’audition et au caractère abusif du licenciement. Il a souligné, vu les deux chefs de demande introduits suite à une faute de l’employeur, que, en fin de compte, la travailleuse postule deux fois la réparation du même dommage, étant la perte d’une chance. Celle-ci est en l’espèce double, étant d’une part la perte d’une chance de conserver son emploi et d’autre part celle d’être rétablie dans ses droits aux allocations de chômage.


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