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C.P.A.S. incompétent territorialement et renvoi vers le C.P.A.S. compétent

Commentaire de Cass., 28 octobre 2019, n° S.19.0010.F

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour de cassation, 28 octobre 2019, n° S.19.0010.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 28 octobre 2019, la Cour de cassation se prononce sur les obligations de la cour du travail résultant de l’article 47, § 4, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale lorsque le C.P.A.S. saisi de la demande est incompétent.

Les faits de la cause et la procédure devant les juges du fond

Le tribunal du travail a débouté M. E.B.L. de sa prétention à voir le C.P.A.S. de Seraing condamné à lui payer un revenu d’intégration entre le 12 mars 2014 et le 7 mai 2015 au motif qu’il n’établissait pas la compétence de ce centre au sens de l’article 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’aide sociale.

L’arrêt attaqué, rendu le 12 novembre 2018 par la Cour du travail de Liège, confirme ce jugement. Nous ne disposons pas de la procédure devant les juges du fond et reproduisons donc ici les motifs de cet arrêt repris dans la requête en cassation, étant que :

« En vertu de l’article 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’aide sociale, le centre compétent est celui de la commune sur le territoire de laquelle ‘’se trouve’’ la personne qui a besoin d’assistance ;

Sous réserve du cas particulier du sans-abri, le territoire de la commune où se trouve l’intéressé doit s’entendre de l’endroit où il a sa résidence habituelle, soit du lieu où il a la disposition effective d’une habitation, qu’il occupe réellement et dans l’intention d’en faire son principal établissement, où il participe à la vie sociale, se retire pour sa vie privée, où se situe le centre de sa vie familiale ;

La question est si [M. E.B.L.] occupe réellement sa résidence sérésienne dans l’intention d’en faire son principal établissement et si Seraing constituait le centre de sa vie familiale et sociale ;

La charge et le risque de la preuve de la résidence reposent sur [M. E.B.L.] ;

(Or, celui-ci) n’apporte en réalité aucun élément qui permette d’accréditer la thèse de sa résidence réelle et effective à Seraing ;

Il est absolument exact qu’un bénéficiaire de l’aide du centre public d’aide sociale n’est pas assigné à résidence et qu’il peut se mouvoir comme il l’entend ;

Néanmoins, lorsque sept visites à domicile étalées sur deux périodes de respectivement un mois puis une semaine sont négatives, que toutes les absences lors de ces visites sont justifiées par des rendez-vous en région bruxelloise, qui est la région de domiciliation de l’intéressé tant avant qu’après la période litigieuse, que l’intéressé reconnaît lui-même y être très souvent présent pour rendre visite à ses amis et pour ses rendez-vous médicaux et que, de surcroît, les consommations d’énergie sont particulièrement faibles, le logement ne peut être retenu au titre de résidence habituelle. Il doit être considéré comme, dans le meilleur des cas, un pied-à-terre de transit où sa présence est tellement fugace qu’elle ne permet pas de considérer qu’il ‘se trouve’, au sens de la loi, sur le territoire de Seraing. »

Le moyen de cassation

Le moyen est pris essentiellement de la violation de l’article 47, § 4, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale. Le demandeur ne conteste pas la décision de la cour du travail en ce que le C.P.A.S. de Seraing n’était pas compétent au sens de l’article 1er, 1°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d’action sociale. Il fait grief à l’arrêt attaqué de ne pas avoir convoqué d’office le centre présumé compétent conformément à cet article 47, § 4, alors que les éléments qui lui étaient présentés mettaient en évidence les liens du demandeur avec Bruxelles.

L’arrêt commenté

La Cour de cassation rejette ce moyen en relevant que :

« L’application de l’article 47, § 4 (de la loi du 26 mai 2002), suppose que les éléments de la cause permettent de présumer compétent un autre centre public d’action sociale que celui qui est impliqué dans l’affaire.

D’une part, l’arrêt constate que les absences du défendeur lors de sept visites rendues à son domicile de Seraing ont été ‘’justifiées par des rendez-vous en région bruxelloise, qui est [sa] région de domiciliation tant avant qu’après la période litigieuse’’ et où ‘’il reconnaît [...] être très souvent présent pour rendre visite à ses amis et [se rendre à] ses rendez-vous médicaux’’, mais ne relève aucun élément permettant de présumer quel centre public d’action sociale de cette région qui compte dix-neuf communes pourrait être compétent.

D’autre part, le moyen ne précise pas les éléments qui auraient permis à la cour du travail de déterminer le centre public d’action sociale présumé compétent. »

Intérêt de la décision

Cet arrêt nous permet d’attirer l’attention sur l’article 47, § 4, de la loi du 26 mai 2002, en ce qu’il vient au secours d’un demandeur d’aide n’ayant pas demandé cette aide au C.P.A.S. compétent mais aussi sur les limites de cette disposition, qui doit être replacée dans le cadre plus général des obligations des C.P.A.S. prévues tant par cette loi que par la Charte de l’assuré social et des obligations du demandeur d’aide dans le cadre de l’instruction de son dossier.

L’article 47, § 4, vient au secours de la personne qui a besoin d’assistance en permettant la mise en cause du C.P.A.S. compétent, dans le cadre d’une demande introduite auprès d’un C.P.A.S. qui ne l’est pas.

Le C.P.A.S. compétent est celui qui dessert le territoire de la commune où la personne qui a besoin d’assistance est habituellement présente (cf. Cass., 25 mai 1998, Bull., 1999, n° 272 et Cass., 24 mai 2004, n° S.020129.F) mais il n’est pas toujours aisé de le déterminer que ce soit au moment de la demande d’aide ou dans le cours du litige. Le lecteur en trouvera des illustrations dans les arrêts de cours du travail publiés sur www.terralaboris.be et notamment l’arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 19 février 2019 (R.G. 2018/AN/2 et 2018/AN/118), dans l’hypothèse d’un demandeur vivant dans une caravane et voyageant d’une commune à l’autre.

Le moyen de cassation est essentiellement rejeté par la Cour parce que l’application de l’article 47, § 4, « suppose que les éléments de la cause permettent de présumer compétent un autre centre public d’action sociale que celui qui est impliqué dans l’affaire », ce qui n’est pas le cas en l’espèce, la référence à la région bruxelloise étant insuffisante compte tenu de ce que Bruxelles compte 19 communes.

Il ne semble pas ressortir de la requête en cassation que la question du renvoi au C.P.A.S. compétent ait été soulevée devant les juges du fond, ce qui explique sans doute que l’arrêt attaqué ne contienne pas les éléments de fait permettant de fonder une critique sur l’article 47, § 4, et que la requête en cassation n’ait pu les préciser, les éléments de fait non constatés par l’arrêt attaqué ne pouvant être invoqués pour la première fois devant la Cour de cassation.

Une autre disposition protectrice du demandeur d’aide est l’article 18, § 4, de la loi du 26 mai 2002. Ainsi que le souligne l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (5 avril 2018 R.G. 2017/AB/480) : « En vertu de l’article 18, § 4, de la loi du 26 mai 2002, le C.P.A.S. doit, lorsqu’il estime ne pas être compétent, faire parvenir dans les 5 jours calendrier la demande qui lui a été adressée, et ce au Centre qu’il considère compétent. La demande est alors validée à la date de réception par le premier Centre. » Le commentaire (Terra Laboris) sous l’arrêt de la Cour du travail de Liège (section de Namur) du 20 novembre 2012 (R.G. 2012/AN/70) souligne également que : « Par ailleurs, à supposer que le C.P.A.S. saisi s’estime incompétent, il a l’obligation, en vertu de l’article 18 de la loi du 26 mai 2002, de renvoyer au C.P.A.S. compétent, la demande étant validée à la date de l’introduction de la demande. La cour rappelle que ceci doit intervenir dans les cinq jours et, à défaut, le centre est débiteur du revenu d’intégration (et non de dommages et intérêts). Et la cour de relever que la Charte de l’assuré social prévoit également des obligations de transmission et d’information. »

Les travaux préparatoires de la loi du 26 mai 2002 précisent que la loi nouvelle intègre la Charte de l’assuré social et renforce le droit des usagers notamment sur le droit à l’information et les obligations du C.P.A.S. incompétent. Plus particulièrement à propos de cet article 18, § 4, ils insistent sur la nécessité de résoudre le problème de compétence dans un bref délai, ce qui justifie la sanction imposée au C.P.A.S. saisi de la demande qui manque à l’obligation de transmission et d’information dans le délai, à savoir l’obligation d’octroyer le revenu d’intégration à partir du jour de la demande jusqu’au jour de la transmission de celle-ci au C.P.A.S. compétent (Doc. parl., Chambre sess. 50, 1603/1, pp. 9 et 27).

Quant aux obligations que la Charte de l’assuré social impose aux institutions de sécurité sociale, et plus particulièrement ses articles 3, qui traite de l’obligation d’information, et 9, qui impose à une institution de sécurité sociale qui s’estime incompétente de transmettre sans délai la demande à l’institution qu’elle estime compétente et qui contient également une obligation d’information de l’assuré social, le lecteur trouvera des développements dans l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 12 octobre 2011 (R.G. 2010/AB/638) publié sur www.terralaboris.be avec un commentaire.

Encore faut-il que l’institution de sécurité sociale puisse déterminer quel est le C.P.A.S. compétent. Ceci nécessite généralement une collaboration active de l’assuré social dans l’instruction de son dossier, ce qui ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.


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