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Accident du travail dans le secteur public : rôle du médecin de recours

Commentaire de Cass., 2 décembre 2019, n° S.19.0023.F

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour de cassation, 2 décembre 2019, n° S.19.0023.F

Terra Laboris

Dans un arrêt du 2 décembre 2019, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège, qui avait conclu à l’écartement partiel de l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, dans la mesure où il ne permet pas l’assistance d’un médecin de recours, formalité obligatoire dans le secteur privé.

Les faits de la cause

Les faits (accompagnatrice de bus scolaire ayant fait un faux mouvement en tentant de porter un enfant) sont reconnus par l’administration comme constitutifs d’un accident du travail. Suite aux conclusions du MEDEX (fixant les périodes d’incapacité temporaire, la date de consolidation et un taux d’I.P.P. de 9%), l’intéressée est invitée à marquer son désaccord éventuel, ce qu’elle ne fait pas. La conclusion définitive du MEDEX est alors adressée à la Région wallonne. Celle-ci forme une proposition de rente et l’intéressée marque accord sur celle-ci. L’incapacité est reconnue sur la base de 9%. La rente est fixée à un montant de l’ordre de 1.150 euros.

Par la suite, l’intéressée (toujours en arrêt de travail) introduit un recours, produisant un rapport médical en vertu duquel la poursuite de l’incapacité temporaire doit être mise à charge de l’accident. Tout en considérant que la consolidation ne peut de ce fait pas encore être acquise, le médecin de recours estime qu’un taux d’incapacité permanente de 25% doit être réservé. Il précisera ensuite qu’il y a une décompensation psycho-affective des suites de l’accident et que celle-ci n’a pas été prise en compte.

Une autre procédure ayant opposé l’intéressée à son organisme assureur AMI, la persistance de l’incapacité temporaire est reconnue. Il ressort d’un rapport d’un sapiteur désigné par l’expert judiciaire dans cette procédure que l’intéressée présente un état dépressif marqué, lié notamment aux douleurs chroniques en rapport avec les séquelles d’une intervention cervicale.

La procédure devant les juridictions du travail

Dans le cadre de la procédure en réparation des séquelles de l’accident, le tribunal du travail a rendu un jugement le 7 septembre 2016. Il estime que l’accord sur la proposition de rente est nul, et ce au motif que la nature des lésions, telle que figurant à l’article 9, § 3, de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, n’est pas reprise dans celui-ci.

Un expert judiciaire est désigné.

L’arrêt de la Cour du travail de Liège

Appel a été interjeté par la Région wallonne, qui demande que le recours originaire soit déclaré irrecevable ou, à tout le moins, non fondé.

Dans son arrêt, la cour du travail a considéré que, dans le cadre de son contrôle de légalité, elle doit vérifier tous les vices de légalité, tant interne qu’externe. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 15 mars 2012, R.G. 2008/AB/51.642), elle précise qu’il relève de sa mission de vérifier si, en appliquant la réglementation dans un cas particulier, l’autorité administrative n’a pas violé une norme qui s’impose à elle, notamment le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination.

L’intéressée a, en l’espèce, fait l’objet d’un traitement sensiblement moins favorable que celui auquel ont droit les travailleurs du secteur privé. L’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 viole dès lors le principe d’égalité et de non-discrimination contenu aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette disposition est écartée et la cour conclut qu’il ne peut être donné aucun effet à la proposition de rente adressée à l’intéressée par l’administration, non plus qu’à l’accord qu’elle a marqué sur celle-ci.

Le pourvoi en cassation

Le pourvoi en cassation, qui contient un moyen unique, se fonde sur les articles 10, 11 et 153 de la Constitution, 19, alinéa 1er, et, pour autant que de besoin, 17, § 2, de la loi du 3 juillet 1967, l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969, les articles 1108 et 1134 du Code civil, ainsi que, pour autant que de besoin, les articles 2, 3, 4 et 5 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 fixant les modalités et les conditions de l’entérinement des accords par FEDRIS (l’article 4 dans sa version applicable avant sa modification par un arrêté royal du 17 juillet 2014).

Le pourvoi fait grief à la cour du travail d’avoir déclaré l’action de la victime recevable et ordonné une expertise médicale au motif que la travailleuse était en droit de soumettre au tribunal du travail sa contestation portant sur la détermination de son incapacité de travail et qu’aucun effet ne pouvait être donné à son accord sur la proposition de rente faite par la Région wallonne.

La cour du travail y avait en effet vu une discrimination par rapport aux travailleurs du secteur privé, où le médecin de la victime est systématiquement associé à la procédure qui précède la conclusion de l’accord et doit également prendre position par rapport à la description des lésions, à défaut de quoi le dossier est incomplet et l’accord ne peut être entériné par FEDRIS. Cette garantie n’existe pas dans l’arrêté royal du 24 juillet 1969. Aucun effet ne pouvait, en conséquence, être donné à la proposition de rente adressée à la victime et aucun effet ne pouvait davantage l’être à son accord sur cette proposition ni à l’arrêté du Gouvernement wallon qui s’en est suivi.

La première branche du moyen fait valoir que le traitement « sensiblement moins favorable » retenu par la cour du travail ne découle pas d’une différence de traitement entre deux catégories de personnes, à savoir les travailleurs du secteur privé d’une part et ceux du secteur public de l’autre, en ce qui concerne la procédure administrative précédant la conclusion d’un accord relatif aux indemnités, mais de l’état particulièrement vulnérable de la personne. L’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 applicable en l’espèce ne fait pas de distinction entre les travailleurs qui se trouvent dans un état vulnérable et ceux qui ne le sont pas. La décision de la cour du travail n’est dès lors pas légalement justifiée.

Dans sa seconde branche, le moyen examine les deux systèmes d’indemnisation des accidents du travail (secteur privé et secteur public) afin que la Cour exerce son contrôle sur les conclusions de la cour du travail, qui a déduit qu’une différence de traitement n’est pas objectivement et raisonnablement justifiée (au regard des différences entre les deux secteurs). Le pourvoi insiste sur la logique propre des deux systèmes, relevant que le rôle de MEDEX et de FEDRIS sont très différents mais que leur nature est comparable, s’agissant dans les deux cas d’un organisme d’intérêt public qui dépend de l’Etat fédéral. Le fait que, dans le secteur public, l’accord de la victime ne soit pas subordonné au contrôle de son médecin de recours, alors que tel est le cas dans le secteur privé, est justifié par les différences objectives entre les deux systèmes d’indemnisation, et notamment par la nature de l’organisme dont émane la proposition d’indemnités adressée à la victime. La décision de la cour du travail n’est dès lors pas légalement justifiée.

Enfin, dans une (brève) troisième branche, le pourvoi fait grief à la cour du travail d’avoir ajouté à l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 des conditions qui ne figurent pas dans le texte, dans la mesure où celle-ci avait conclu qu’aucun effet ne pouvait être donné à l’accord sur la proposition de rente au motif que ni le courrier de MEDEX ni la proposition de rente elle-même n’informaient l’intéressée que son acceptation entraînerait la formation d’un véritable contrat qui s’imposerait à elle, sauf vice de consentement ou violation de la loi, et que la victime n’avait pas davantage été informée qu’en apposant sa signature au bas de la proposition, elle renonçait à son droit d’agir en justice.

La décision de la Cour

La Cour répond aux trois branches.

La première est relative à la question de la vulnérabilité de la personne, point sur lequel la Cour constate que l’arrêt a considéré qu’en privant les membres du personnel du secteur public soumis à l’arrêté royal en cause de l’assistance obligatoire de leur médecin de recours, l’article 9 de celui-ci leur inflige sans justification une différence de traitement par rapport aux travailleurs du secteur privé. Pour la Cour, le moyen du pourvoi manque en fait, dans la mesure où il soutient que l’arrêt aurait pris la vulnérabilité comme critère de distinction – ce qu’il n’a pas fait.

Sur la deuxième branche, la Cour conclut que le moyen ne peut être accueilli, la cour du travail ayant énoncé que l’intervention du médecin personnel de la victime a pour but de s’assurer de son consentement libre et de l’éclairer sur les conclusions de l’expertise médicale, et non « d’exercer une tutelle sur les médecins du MEDEX ou d’un assureur-loi ». Par rapport à ce but, la cour du travail avait conclu qu’il importe peu que l’expertise ait été réalisée par une administration ou un assureur privé, la différence de nature entre les organismes ne justifiant pas dans le secteur public l’absence de garantie de l’intervention du médecin personnel de la victime.

Enfin, sur la troisième branche, la Cour constate que l’arrêt a décidé de ne donner aucun effet à l’accord de la défenderesse sur la proposition de rente au motif que celle-ci était elle-même sans effet, vu que l’application au litige de l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 avait été partiellement écartée. Manque également en fait le moyen qui suppose que l’arrêt a pris sa décision en raison d’un défaut d’information de la victime sur les conséquences de son accord.

Intérêt de la décision

L’arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 27 février 2018, R.G. 2016/AL/599) a été précédemment commenté. Nous avions relevé que la comparaison des règles d’indemnisation des accidents du travail dans les deux secteurs a donné lieu à plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle, dans la mesure où les procédures (qui peuvent déjà varier dans le secteur public lui-même) peuvent s’avérer très différentes. La cour du travail avait renvoyé à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 21 janvier 2016 (C. const., 21 janvier 2016, n° 9/2016). Il s’agissait d’une question posée par le Tribunal du travail de Gand (division Bruges) en ce qui concerne le plafond de la rémunération de base.

Rappelant dans cette décision sa jurisprudence sur la question, la cour avait repris l’objectif du législateur (loi du 3 juillet 1967), qui était de donner au personnel des services publics le bénéfice d’un régime comparable à celui qui était déjà applicable dans le secteur privé. Était cependant précisé qu’il n’avait pas été jugé possible ni souhaitable de soumettre les agents des services publics aux mêmes dispositions que les ouvriers et employés du secteur privé, le statut des fonctionnaires comportant des particularités dont il convient de tenir compte et justifiant, dans certains cas, l’adoption de règles propres.

Cependant, s’agissant en l’espèce d’une garantie d’importance dans le cours de l’instruction administrative du dossier, la cour du travail dit ne pas apercevoir la justification de l’absence de cette garantie dans le secteur public. Nous avions souligné qu’il s’agissait d’un très bel arrêt, pouvant certes faire jurisprudence.

L’autorité publique ne s’y est pas méprise, dans la mesure où elle a introduit un pourvoi en cassation le 20 mars 2019, ayant donné lieu à la décision ci-dessus. C’est la première fois que la Cour de cassation est, à notre connaissance, saisie de la question. Elle a, donc, confirmé la position de la Cour du travail de Liège, décision qui est certes d’importance sur le plan de la procédure dans le secteur public, s’agissant non moins que d’un problème de recevabilité du recours.


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