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Accident du travail : paiement d’avances et conditions de l’interruption de la prescription

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 19 novembre 2019, R.G. 2017/AL/21

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour du travail de Liège (division Liège), 19 novembre 2019, R.G. 2017/AL/21

Terra Laboris

Par arrêt du 19 novembre 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle les modes généraux et spécifiques d’interruption de la prescription dans la matière des accidents du travail, les paiements effectués sans réserve, en application de l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 constituant une telle cause d’interruption.

Les faits

Un accident du travail s’est produit le 7 mars 2012, aucune procédure n’étant introduite aux fins d’en fixer les séquelles.

Le 19 novembre 2013, l’assureur-loi adresse un projet d’accord-indemnité (un rappel sera envoyé le 29 juillet 2014), qui fixe la période d’incapacité temporaire de la date de l’accident au 31 août 2013, une consolidation le jour suivant et 7% d’I.P.P.

La victime ne donnant pas suite, l’assureur dépose une requête en date du 4 décembre 2017, aux fins d’entendre dire son offre d’indemnisation satisfactoire. Dans le cadre de la procédure, la victime dépose un rapport médical, qui conclut à un taux d’I.P.P. supérieur (15%), faisant ainsi une demande reconventionnelle.

Le Tribunal du travail de Liège, saisi de la requête de l’assureur, rend un premier jugement le 18 avril 2018, ordonnant une réouverture des débats portant notamment sur le délai de prescription, eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation dans son arrêt du 16 mars 2015.

Dans un second jugement, du 12 décembre 2018, il considère que l’action est prescrite (action originaire de l’assureur-loi) et qu’il en va de même de l’action reconventionnelle. Pour le tribunal, le délai de prescription est de 3 ans. Le fait que des paiements soient intervenus sur pied de l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 ne peut être considéré comme une reconnaissance de dette ou de droit. Ces paiements (intervenus jusqu’en 2018) sont une conséquence de la loi, étant obligatoirement prévus par le texte.

Moyen des parties devant la cour

L’appelant fait essentiellement valoir qu’il n’aurait pas reçu la proposition d’indemnisation et n’aurait dès lors pas été pleinement informé quant à ses droits eu égard aux obligations de la Charte de l’assuré social. Vu le paiement des indemnités jusqu’au 31 décembre 2018, il y a eu interruption du délai de prescription. Par ailleurs, le paiement effectué sur pied de l’article 63, § 4, de la loi du 10 avril 1971 suppose une reconnaissance préalable du droit qui intervient volontairement dans le chef de l’assureur-loi.

A titre subsidiaire, il demande des dommages et intérêts, estimant que la responsabilité de l’assureur-loi est engagée.

Quant à ce dernier, il se fonde sur l’article 69, § 1er, de la loi du 10 avril 1971 (qui contient la règle de prescription de 3 ans). Il fait valoir que les paiements ne seraient pas interruptifs de prescription, dans la mesure où ils ont un caractère obligatoire et qu’ils ne peuvent impliquer une reconnaissance du droit. Si celle-ci devait exister, ça ne peut être qu’à concurrence de ce qui a été payé pour le passé. Il considère enfin n’avoir commis aucune faute, dans la mesure où il n’était pas tenu d’agir en justice.

La décision de la cour

La cour procède à un imposant rappel des dispositions applicables, quant à la procédure de règlement administratif de l’accident (article 65 L.A.T. et arrêté royal du 10 décembre 1987 fixant les modalités et les conditions de l’entérinement des accords par FEDRIS). Elle reprend ensuite le mécanisme des avances prévues à l’article 63, § 4, L.A.T., étant qu’en cas de litige quant à la nature ou au taux d’incapacité de travail ou au degré de nécessité de l’assistance de tiers, l’assureur est tenu de payer au titre d’avance l’allocation journalière ou encore annuelle (prévue aux articles 22 à 24 de la loi). La cour rappelle que cette obligation de paiement existe même en-dehors d’une action judiciaire (Guide social permanent, Sécurité sociale : commentaires, version en ligne, r. 1320) et qu’elle suppose l’existence d’un litige entre les parties quant à la fixation des séquelles.

Pour ce qui est du point de départ du délai de prescription, le délai prend cours au moment où le droit à la réparation est né. Ce point de départ est unique. Il ne dépend pas de la décision de l’assureur de reconnaître ou non l’accident du travail ou d’accorder ou de refuser les indemnités postulées par la victime (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015, n° S.12.0102.F). Pour ce qui est de l’action en paiement des indemnités, le droit naît et la prescription commence dès lors à courir au début de l’incapacité de travail.

La prescription peut cependant être interrompue ou suspendue, conformément à l’article 70 de la loi. Deux modes d’interruption spécifiques existent, étant d’une part l’envoi d’une lettre recommandée à la poste et d’autre part l’action en paiement du chef de l’accident fondée sur une autre cause (ou une action judiciaire en établissement de la filiation).

Parmi les modes généraux visés aux articles 2242 et suivants du Code civil, la cour évoque plus spécifiquement la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrit. Celle-ci ne doit pas nécessairement porter sur l’indemnité qui fait l’objet de l’action mais peut se limiter à viser le droit de la victime à obtenir, conformément à la loi, la réparation du dommage subi (la cour renvoyant ici, outre au Guide social permanent, à deux anciens arrêts de la Cour de cassation, étant Cass., 28 mars 1963, R.G.A.R., 1964, n° 7229 et Cass., 23 novembre 1961, R.G.A.R., 1963, n° 7024, ainsi qu’à un arrêt de la Cour du travail de Gand du 18 juin 1981, R.D.S., 1981, p. 519).

Il en va ainsi de tout paiement fait sans réserve. Constituent une telle reconnaissance l’envoi par l’entreprise d’assurances du projet d’accord-indemnité et, de même, toutes les lettres de rappel ultérieures, qu’elles soient adressées par voie recommandée ou par courrier ordinaire.

Il en découle que, tant que durent les paiements, le délai de prescription ne court pas. La cour renvoie à cet égard à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 19 février 2003 (C. trav. Liège, 19 février 2003, Chron. D. S., 2004, p. 228), qui a considéré que le paiement des indemnités est une succession d’obligations et non une obligation à prestations successives. L’obligation de paiement (des indemnités temporaires – dues en même temps que les salaires – et des allocations pour incapacité permanente – allocations annuelles) existe par terme. Par contre, en cas de paiement fait sous réserve, aucune reconnaissance du droit de la victime ne peut être déduite.

Par ailleurs, la procédure médicale et administrative qui précède la procédure d’entérinement d’un accord-indemnité n’est soumise à aucun délai et elle n’a aucun effet suspensif.

En l’espèce, il y a des actes interruptifs, étant d’abord l’envoi de la proposition d’accord-indemnité et son rappel (la cour soulignant que le fait que l’intéressé n’ait peut-être pas reçu ceux-ci est sans incidence), ainsi que les paiements.

L’assureur considérant qu’admettre l’absence de prescription conclurait à l’imprescriptibilité, situation inadmissible, la cour répond que c’est lui qui est l’initiateur de cette situation, du fait des paiements. Il peut d’ailleurs décider de les suspendre et, également, prendre l’initiative de lancer la procédure de règlement définitif des séquelles.

Toute différente serait la situation où l’assureur aurait refusé de reconnaître le droit à l’indemnisation de la victime (article 63, § 1er, de la loi), le mécanisme légal rendant dans cette hypothèse obligatoires des notifications (§§ 2 et 3) et n’emportant aucune obligation de paiement des avances. Celles-ci existent uniquement en cas de litige entre les parties, même en-dehors de l’existence d’une procédure judiciaire, à propos de la nature ou du taux de l’incapacité.

La cour applique l’ensemble de ces principes au cas d’espèce, constatant qu’avant l’introduction de la demande reconventionnelle, il n’y avait pas de litige et que les paiements intervenus l’ont été sans réserve. L’existence de ces paiements implique pour leur part la reconnaissance du droit de la victime à obtenir la réparation des séquelles.

Par ailleurs, répondant à l’argument de l’assureur selon lequel ces paiements sont obligatoires, la cour considère que ceci n’affecte pas la conclusion ci-dessus. Ces paiements ne lient pas l’assureur, étant qu’ils n’emportent pas la reconnaissance du droit à l’indemnité due à un taux précis. Ils n’affectent pas la possibilité de fixer ultérieurement, dans le cadre de l’incapacité permanente, un taux inférieur et donc d’entraîner une récupération. La cour ajoute encore que ceux-ci se basent sur la reconnaissance du droit pour la victime à la réparation des séquelles de l’accident, étant entendu qu’il ne peut y avoir de litige quant à la nature ou quant au taux d’incapacité de travail (ou encore quant au degré de nécessité de l’aide de tiers) sans reconnaissance du droit de la victime à une réparation.

L’action qu’a introduite l’assureur-loi ne peut s’analyser en action en paiement des indemnités légales non plus qu’en action en répétition d’indemnités indues : c’est un acte de reconnaissance du droit, au même titre qu’une lettre de reconnaissance, la fourniture de soins médicaux, un examen médical sans réserve, l’envoi d’un projet d’accord-indemnité, ou encore des paiements également faits sans réserve.

Il n’y a dès lors pas prescription, ni pour ce qui est de l’action originaire ni pour l’action reconventionnelle, vu l’interruption par l’envoi du projet d’accord-indemnité (et son rappel), et, pour la période postérieure, par les paiements.

Intérêt de la décision

Après avoir fixé le cadre légal strict applicable, la cour du travail reprend les modes d’interruption de la prescription en la matière, dont la reconnaissance par le débiteur du droit du créancier.

La cour du travail précise les obligations de l’assurance en cas de reconnaissance de l’accident d’une part et en cas de contestation de celui-ci de l’autre. Dans le premier cas, des avances sont obligatoires, dès qu’il y a désaccord entre les parties sur l’indemnisation elle-même (la cour soulignant que les contestations relatives à l’indemnisation supposent la reconnaissance du droit de la victime à celle-ci). Ce mécanisme d’avance est obligatoire même si une procédure judiciaire n’oppose pas les parties, seule étant exigée l’existence d’un litige entre elles.

Ces paiements, dès lors qu’ils sont faits sans réserve, constituent une cause d’interruption de la prescription au sens des articles 2242 et suivants du Code civil.

En l’absence d’une cause interruptive, les actions – tant l’action originaire que l’action reconventionnelle – auraient été déclarées prescrites, la cour rappelant que la procédure de règlement administratif de l’accident n’a pas d’effet suspensif.


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