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Licenciement fondé sur le sexe : conditions de la discrimination

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2018/AB/23

Mis en ligne le vendredi 29 mai 2020


Cour du travail de Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2018/AB/23

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 septembre 2019, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, la discrimination fondée sur le fait qu’une femme est enceinte constitue une discrimination directe fondée sur le sexe, sans qu’il y ait lieu de rechercher un élément de comparaison.

Les faits

Une employée, en service depuis 2008, annonce à son employeur qu’elle est enceinte, et ce en avril 2012.

Un mois plus tard, elle tombe en incapacité de travail et celle-ci fait l’objet d’un contrôle de la part de l’employeur. Elle est absente lors de la visite, ce qui entraîne le refus du paiement du salaire garanti, question qui sera cependant régularisée quelque temps après.

Suite à une fausse couche et à une incapacité de travail liée à celle-ci, l’intéressée reprend le travail pour une courte période en juillet de la même année et est ensuite absente de l’entreprise pendant 16 mois, ayant alors donné naissance à un enfant et ayant pris ses congés de maternité, ses congés légaux et des congés de maladie.

Pendant son absence, elle a déposé plainte pour harcèlement, plainte qui s’est clôturée par une conclusion du conseiller en prévention selon laquelle les éléments faisaient défaut pour retenir celui-ci.

Lors de la reprise du travail, une réunion de conciliation est prévue entre l’employée et d’autres membres du personnel, suite à laquelle des engagements réciproques sont pris.

Après une période de deux semaines de congé (congé social dû à la maladie de son enfant et congé normal), l’intéressée est licenciée moyennant paiement d’une indemnité de rupture. Le motif donné est que la collaboration opérationnelle et organisationnelle est très difficile.

Appuyée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, l’employée fait valoir auprès de la société que le licenciement constitue une discrimination fondée sur le sexe.

La procédure qu’elle introduit devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre) est infructueuse et elle interjette appel.

La décision de la cour

La cour va réformer le jugement.

Elle se fonde, pour ce, sur les principes contenus dans la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, rappelant qu’en vertu de son article 4, § 2, une distinction directe fondée sur la grossesse, l’accouchement et la maternité est assimilée à une distinction directe fondée sur le sexe.

Une telle distinction ne peut être justifiée que sur la base d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Est exigée une caractéristique déterminée liée au sexe, en raison de la nature spécifique de l’activité professionnelle concernée ou du contexte de son exécution. En outre, l’exigence doit reposer sur un motif légitime et être proportionnée par rapport à celui-ci. Licencier une personne en raison de son sexe est dès lors une discrimination prohibée, sauf s’il y a une justification eu égard à une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Sur le plan de la preuve, la cour s’attarde à l’élément de la disposition y relative dans la loi (article 33), qui contient le principe du partage de la charge de la preuve, étant que, si une personne s’estime victime de discrimination et qu’elle invoque des faits devant le juge, permettant de présumer l’existence de celle-ci, le défendeur doit prouver que celle-ci n’existe pas. Pour ce qui est du terme « invoque », il convient de distinguer ce terme de celui de « allègue ». Il s’agit de prouver des faits, ceux-ci permettant de présumer l’existence d’une discrimination. Elle renvoie ainsi à deux arrêts des cours supérieures (Cass., 18 décembre 2008, n° C.06.0351.F et C. const., 11 mars 2009, n° 39/09).

Ceci est une application du droit civil, étant qu’une présomption est une conséquence que la loi (ou le juge) tire d’un fait connu à un fait inconnu. La présomption doit avoir comme point de départ un fait connu et non simplement allégué.

Toujours en vertu du même article 33 de la loi, les faits permettant de présumer l’existence d’une discrimination directe sont par exemple (la cour soulignant que la liste n’est pas exhaustive) (i) les éléments qui révèlent une certaine récurrence de traitement défavorable à l’égard de personnes du même sexe (dont des différents signalements isolés auprès de l’Institut ou de l’un des groupements d’intérêts) ou (ii) les éléments qui révèlent que la situation de la victime du traitement plus défavorable est comparable avec la situation de la personne de référence.

Dans l’hypothèse cependant où la discrimination directe est fondée sur le fait qu’une femme est enceinte, il n’y a pas lieu de déterminer un élément de comparaison. La cour renvoie à la jurisprudence constante de la Cour de Justice, dont l’arrêt de principe DEKKER, qui a posé ce principe : lorsqu’un préjudice subi par une personne est dû au fait qu’elle est enceinte, ce préjudice doit être considéré comme constituant une discrimination directe fondée sur le sexe sans qu’il y ait lieu de déterminer un élément de comparaison. Pour déterminer si l’exigence d’un lien de causalité entre le traitement moins favorable et la caractéristique protégée est satisfaite, il faut se poser la question de savoir si la personne aurait été traitée de manière différente si elle avait été de sexe différent (ou de race différente) ou si elle avait eu un autre âge, ou encore si elle n’avait pas présenté une particularité correspondant à l’une des autres caractéristiques protégées (8e feuillet, point 7). Si la réponse est positive, le traitement moins favorable est imputable à la caractéristique visée.

Le lien causal peut être partiel, une discrimination pouvant être identifiée si le traitement défavorable est en lien causal avec simultanément un critère protégé et d’autres motifs.

En l’espèce, la cour reprend la chronologie de la relation professionnelle et souligne que la lettre de rupture a mentionné comme cause du licenciement qu’il s’agissait entre autres d’une collaboration organisationnelle et opérationnelle très difficile. Ceci vise les absences fréquentes de l’intéressée, et notamment pour cause de maternité. Pour la cour, il y a un faisceau d’indices convergents permettant de présumer que le motif pour lequel l’intéressée a été licenciée est sa maternité.

Pour ce qui est de la preuve à apporter par la société, qui plaide que le motif était dû à une relation difficile avec sa collègue et qu’il était impossible d’organiser le travail sans que ces deux personnes ne travaillent ensemble, la cour rappelle les engagements qui avaient été pris lors du retour au travail, retour qui a rapidement été suivi de son licenciement.

Elle conclut que la société n’apporte pas la preuve qui lui incombe et, rappelant que le lien causal entre le critère protégé et le traitement défavorable peut être partiel (étant que d’autres motifs peuvent exister), qu’elle n’établit pas que la distinction directe a été justifiée sur la base d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la loi.

Intérêt de la décision

Cet arrêt examine essentiellement le régime de la discrimination directe et son point essentiel est de rappeler la jurisprudence de la Cour de Justice, dont l’arrêt DEKKER du 8 novembre 1990 (C.J.U.E., 8 novembre 1990, DEKKER c/ STICHTING VORMINGSCENTRUM VOOR JONG VOLWASSENEN (VJV-CENTRUM) PLUS, Aff. n° C-177/88). Dès lors qu’il s’agit d’une discrimination fondée sur la circonstance qu’une femme est enceinte, il n’y a pas lieu de trouver un « élément de comparaison » adéquat. Le préjudice subi doit être considéré comme constituant une discrimination directe fondée sur le sexe. Dans son arrêt DEKKER, statuant dans le cadre des articles 2 et 3 de la Directive n° 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, la Cour de Justice avait examiné un refus de conclure un contrat de travail, la candidate ayant été jugée apte à l’exercice de l’activité concernée et le refus d’engagement étant fondé sur les conséquences possibles, dommageables pour l’employeur, de l’engagement d’une femme enceinte, résultant des règles existant en matière d’incapacité de travail, qui assimile l’empêchement d’exercer une activité pour cause de grossesse et d’accouchement à l’empêchement d’exercer une activité pour cause de maladie.

La Cour y avait notamment retenu que ce mécanisme vaut même en l’absence de la preuve d’une faute. Si la responsabilité d’un employeur pour violation du principe de l’égalité de traitement était subordonnée à la preuve d’une faute qui lui fut imputable et à l’absence de toute cause d’exonération reconnue par le droit national, la cour conclut que l’effet utile des principes dégagés dans la Directive serait sensiblement affaibli. Elle avait également souligné que le refus d’engagement pour cause de grossesse ne peut être opposé qu’aux femmes et constitue dès lors une discrimination directe fondée sur le sexe. Or, un refus d’engagement dû aux conséquences financières d’une absence pour cause de grossesse doit être regardé comme fondé essentiellement sur le fait de la grossesse. Une telle discrimination ne saurait être justifiée par des motifs tirés du préjudice financier subi par l’employeur en cas d’engagement d’une femme enceinte, pendant la durée de son congé de maternité.

Dans cette affaire également, la Cour de Justice avait été amenée à répondre à une question relative à l’absence de candidat masculin : lorsque le motif réside dans la circonstance que l’intéressée est enceinte, la décision est directement liée au sexe du candidat. Dans ces conditions, l’absence de candidat masculin ne saurait avoir une incidence sur la réponse à apporter à la discrimination constatée.


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