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Stress et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 8 août 2019, R.G. 18/156/A

Mis en ligne le jeudi 14 mai 2020


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 8 août 2019, R.G. 18/156/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 août 2019, le Tribunal du travail (division Verviers) fait un point très utile sur la relation entre un stress (stress qui perdure ou état de stress qui surgit) et les conditions de l’accident du travail.

Les faits

Un enseignant est convoqué par son préfet aux fins de prendre connaissance de sa fiche individuelle, convocation qui lui est relayée par une collègue éducatrice. Il signale qu’il ne peut donner suite à celle-ci, n’ayant pu se faire accompagner par un témoin adéquat ou un délégué syndical. Le préfet lui ayant demandé de « choisir un témoin » parmi ses collègues et l’intéressé s’y étant refusé, un procès-verbal de carence est rédigé. L’intéressé remet trois jours plus tard un certificat médical le mettant en incapacité de travail pendant une période de cinq semaines au motif de stress post-traumatique survenu suite à un accident du travail. Cette incapacité durera encore plusieurs mois.

La Communauté française refuse l’accident au motif d’absence d’événement soudain.

Le tribunal du travail est saisi par l’enseignant, qui postule la reconnaissance de l’accident.

La thèse des parties

Pour le demandeur, il s’agit d’un choc psychologique qui a entraîné, outre une période d’incapacité temporaire de plusieurs mois, des séquelles au titre d’incapacité permanente (5% étant postulés à la date de la fin de cette incapacité). Il précise également avoir – comme d’autres collègues – des difficultés particulières avec le préfet en cause (alors qu’il n’avait pas eu de telles difficultés avec ses prédécesseurs).

Cette procédure a donné lieu à un jugement du 8 mai 2019, rendu tant à l’encontre du préfet que de la Communauté française. Celle-ci est condamnée au motif qu’elle n’a procédé à aucune analyse des risques psycho-sociaux et qu’elle n’a pris aucune mesure pour faire cesser le harcèlement que subissait l’intéressé.

L’enseignant considère que l’existence d’un harcèlement moral n’est pas exclusive d’un accident du travail.

Pour la partie défenderesse, manquent la preuve d’un événement soudain ainsi que celle d’une lésion liée aux faits survenus le jour litigieux. Ceux-ci ne sont, pour elle, que « des faits usuels de la fonction ». Elle considère par ailleurs contradictoire de se fonder sur un stress pour demander la réparation d’un accident du travail, vu l’absence du critère de soudaineté requis.

La décision du tribunal

Les règles générales relatives à la notion d’événement soudain sont rappelées, le tribunal soulignant que celui-ci est multiforme (et renvoyant sur ce point au Guide social permanent – Sécurité sociale : commentaires, partie I, livre II, titre II, chapitre III, 1). Il rappelle également l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 avril 2008 (Cass., 28 avril 2008, n° S.07.0079.N) : l’événement soudain est un fait déterminable dans le temps, d’une durée relativement brève, qui est associé à une circonstance professionnelle et qui est susceptible de causer ou d’aggraver la lésion. En cas de stress, la victime est placée dans des circonstances particulièrement énervantes et éreintantes. Ceci peut constituer l’événement soudain et est rappelé par des auteurs (M. JOURDAN et S. REMOUCHAMPS, « La notion d’accident (sur le chemin) du travail : état des lieux », Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2011, p. 81).

Cet événement soudain peut être une circonstance liée à la personne du travailleur ou à l’exercice de l’activité professionnelle. Peuvent être constitutifs de cet événement soudain un choc psychologique ou émotionnel sur le lieu du travail, un stress aigu au travail ou d’autres situations auxquelles un travailleur est exposé.

Il y a lieu de rapporter la preuve d’un fait précis qui a pu déclencher la lésion. Le tribunal renvoie à cet égard à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 16 novembre 2016 (C. trav. Bruxelles, 16 novembre 2016, R.G. 2014/AB/1.007). Si la lésion est apparue de manière évolutive au cours d’un événement non instantané, le juge peut néanmoins y voir un événement soudain (le tribunal renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 26 avril 2011, Chron. D. S., 2013, p. 255).

Par contre, une simple instruction donnée par l’employeur, et de même l’exercice de l’autorité dans des conditions normales, ne peuvent constituer un événement soudain. Tel n’est pas le cas lorsque cette autorité est exercée de manière peu respectueuse, voire même humiliante, en sorte que le travailleur se sent amoindri, effondré par le caractère incompréhensible de la décision. Dans ces hypothèses, la situation stressante est générée par la manière dont l’autorité est exercée (jugé ainsi par la Cour du travail de Liège le 26 avril 2013, R.G. 2012/AL/333). Le fait que l’événement invoqué se soit produit dans le contexte d’un vécu de harcèlement n’enlève rien au caractère instantané de l’événement lui-même (étant ici cité un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 11 février 2019, R.G. 2016/AB/1.132).

En l’espèce, la question est de savoir si l’altercation en cause est constitutive d’un choc psychologique ou d’un comportement agressif. Le tribunal vérifie si la preuve de ces éléments est rapportée, c’est-à-dire si les faits invoqués par la partie demanderesse sont établis. Ensuite, il examine si les faits litigieux constituent un événement soudain au sens de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967.

N’étant pas contesté que la situation entre les protagonistes était tendue depuis de nombreux mois, le tribunal renvoie encore à l’examen fait par la Cour du travail de Bruxelles dans un arrêt du 26 octobre 2015 (C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2015, R.G. 2010/AB/89), selon lequel la notion de soudaineté n’est pas synonyme d’imprévisibilité. Le fait que le travailleur ait été en état de stress pendant la période qui précéda l’accident et à cause de tensions avec sa hiérarchie ne doit pas être pris en considération dès lors qu’il est établi qu’un événement précis a engendré la lésion.

En l’espèce, l’existence d’un échange, d’une discussion vive, étant avérée, le jugement retient qu’existe un événement particulier correspondant à la définition de l’événement soudain, et ce même si la perception des événements dans le chef des intéressés est subjective, de sorte qu’il est possible qu’une autre personne placée dans les mêmes conditions ait pu réagir différemment.

Pour ce qui est de la lésion, l’incapacité de travail est avérée et le tribunal rappelle la possibilité pour l’employeur de renverser la présomption de causalité de l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967. Dans la mesure où la Communauté française entend être déchargée de son obligation d’indemniser, elle doit établir que la cause exclusive de la lésion est un état antérieur à l’accident et que celui-ci n’a joué aucun rôle, même infime, dans sa survenance. A défaut de rapporter une telle preuve, il y a lieu à indemnisation.

Intérêt de la décision

Le type de situation exposée dans l’affaire à la base du jugement rendu par le tribunal du travail est assez fréquent. La spécificité du problème juridique posé est de déterminer l’existence d’un événement soudain se greffant sur une situation néfaste qui perdure, à savoir un stress, un conflit, etc. Ce n’est certes pas ce contexte général des relations professionnelles qui est susceptible de constituer l’événement soudain requis, et l’on notera que la Communauté française a fait valoir à juste titre qu’une situation qui perdure ne peut correspondre aux conditions légales de l’événement soudain, dont particulièrement l’exigence de la soudaineté.

A cet égard, le tribunal rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2008, qui a admis que l’événement soudain peut être une situation qui se développe (en l’occurrence position à genoux de plus en plus inconfortable et préjudiciable et s’étendant sur plusieurs heures) et qu’il peut entraîner une lésion elle-même évolutive (apparition progressive d’un flegmon). La Cour y a également énoncé la règle selon laquelle il appartient au juge du fond d’apprécier si la donnée de durée décrite est compatible avec le critère de soudaineté.

En outre, le jugement du Tribunal du travail de Liège fait la distinction entre une situation de stress (qui perdure) et l’apparition d’un stress pouvant lui-même réunir les conditions de l’événement soudain, le cas en l’espèce étant une discussion vive, qui a généré le stress psychologique ayant abouti à une incapacité de travail.


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