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Indemnité compensatoire de préavis et avantages contractuels à caractère rémunératoire

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 30 septembre 2019, R.G. 18/2.121/A

Mis en ligne le mercredi 15 avril 2020


Trib. trav. fr. Bruxelles, 30 septembre 2019, R.G. 18/2.121/A

Indemnité compensatoire de préavis et avantages contractuels à caractère rémunératoire

Dans un jugement du 30 septembre 2019, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne les conditions de paiement d’un bonus sur performances et, notamment, la condition d’être en service au moment de l’octroi ou du paiement convenu de la rémunération variable.

Les faits

Un employé, entré en fonction en février 2005 auprès d’une société relevant de la commission paritaire de l’industrie du gaz et de l’électricité (n° 326), fait l’objet d’un transfert vers une société à laquelle les activités de trading de celle-ci ont été cédées. Il s’agit d’un cas d’application de la convention collective n° 32bis.

En 2017, il notifie sa démission, avec préavis à prester de treize semaines. Six semaines plus tard, la société met elle-même un terme définitif au contrat, payant l’indemnité de congé correspondant au solde du préavis de démission.

L’intéressé introduit une procédure, demandant paiement de diverses sommes. Il s’agit essentiellement d’une importante indemnité de congé (de l’ordre de 14.700 euros), de jours de vacances, de bonus, de remboursement de retenues et autres chefs plus factuels.

La décision du tribunal

Le tribunal examine en premier lieu le chef de demande relatif à l’indemnité de congé complémentaire. Ce qui fut payé par la société correspond à huit semaines de rémunération, soit un montant de l’ordre de 36.280 euros bruts. L’intéressé réclame un complément, s’appuyant sur la composition de sa rémunération annuelle de référence. Il s’agit de déterminer l’inclusion et la valorisation de certains éléments.

Le tribunal les passe en revue.

Il y avait usage privé d’un véhicule de société et, pour ce poste, le tribunal rappelle la jurisprudence (renvoyant notamment à C. trav. Liège, 12 mai 2005, J.T.T., 2006, p. 206 et C. trav. Bruxelles, 10 octobre 2006, J.T.T., 2007, p. 145) selon laquelle cet avantage doit être évalué à concurrence de sa valeur réelle et non de la valeur convenue ou de celle qui a été déclarée fiscalement. L’avantage peut être estimé forfaitairement en tenant compte du bénéfice matériel fait par le travailleur, appréciation dans laquelle intervient également le type de véhicule. Vu, en l’espèce, l’octroi d’un véhicule haut de gamme, avec une carte de carburant illimitée et des frais de péage autoroutier, le tribunal admet un montant de 550 euros par mois.

L’intéressé bénéficiant d’une indemnité forfaitaire de frais, le tribunal rappelle que celle-ci n’a en principe aucun caractère rémunératoire parce qu’elle ne constitue pas la contrepartie du travail mais le remboursement d’une dépense exposée pour l’employeur. Elle n’est en principe pas non plus un avantage acquis en vertu du contrat de travail et n’entre par conséquent pas en considération pour l’indemnité de congé. Cependant, elle acquiert un caractère rémunératoire et doit être prise en compte lorsqu’elle ne couvre pas des frais réellement exposés ou que ceux-ci donnent déjà lieu à un remboursement intégral.

En l’espèce, le montant perçu était indépendant du nombre de jours de vacances et autres absences ainsi que des jours réellement prestés par mois. Le montant en cause ne couvre dès lors pas des frais propres à l’employeur.

Se pose également un problème de rémunération variable, eu égard à l’article 39, § 1er, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978. Le tribunal renvoie ici aux travaux parlementaires ayant abouti à la loi du 26 décembre 2013 concernant le statut unique, pour ce qui est de la période à prendre en compte pour établir la moyenne mensuelle. Il s’agit des douze mois précédant la rupture ou, le cas échéant, la partie de ces douze mois au cours de laquelle le travailleur a été en service. Le tribunal retient dès lors les montants dus au titre de rémunération variable dont le droit au paiement était exigible pendant cette période de douze mois.

Il procède dès lors au calcul de la rémunération annuelle de référence et conclut qu’un solde revient au travailleur.

Dans ses chefs de demande, celui-ci a également sollicité le paiement de jours de vacances annuelles non pris ainsi que de jours de congé supplémentaires « RTT » non pris. Le tribunal fait droit à la fois à la demande de paiement de journées de vacances annuelles ainsi qu’à ces jours supplémentaires non pris et dus par la société en vertu d’une convention collective de travail sectorielle du 29 septembre 2003.

Se pose enfin une question de bonus. La société s’oppose au paiement de la seconde partie d’un bonus (performances 2016 – dont la première partie fut payée avant la rupture), au motif que l’intéressé n’était plus présent dans l’entreprise au moment du paiement. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles essentiellement (dont C. trav. Bruxelles, 11 mars 2016, J.T.T., 2016, p. 227), le tribunal considère qu’il peut être retenu que le fait d’être en service au moment de l’octroi ou du paiement convenu d’une rémunération variable peut être mis comme condition au droit à l’octroi ou au paiement de celle-ci. Cette condition est régulière et elle ne contrevient pas davantage à l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978. Elle ne constitue pas, dans le chef de l’employeur, une condition purement potestative (le tribunal renvoyant à Cass., 30 avril 1990, n° 6.999).

En l’espèce, cependant, le travailleur a signé pour accord un document prévoyant le versement de la deuxième partie de son bonus après la rupture, d’autres conditions à son octroi étant également admises (absence d’octroi en cas de résiliation dans le chef du travailleur ou prestation d’un préavis de démission au moment de – ou préalablement à – la date à laquelle la tranche en cause aurait été payable). Le travailleur considérant qu’il n’aurait pu renoncer à l’avance à une rémunération non encore devenue exigible (ce qui entraînerait la nullité de la renonciation), le tribunal rappelle qu’il y a eu accord pour la modalisation et la fixation de conditions pour le paiement.

Pour l’année suivante, étant 2017 (la rupture étant intervenue définitivement le 20 novembre de cette année, avec paiement d’un solde de préavis de huit semaines), la société se fonde sur une « clause de libéralité » figurant chaque fois dans les systèmes de bonus, empêchant ainsi l’existence d’un usage.

Le tribunal renvoie ici à un arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2000 (Cass., 18 septembre 2000, n° S.00.0031.N), selon lequel l’usage ne peut être invoqué lorsqu’un contrat individuel l’a explicitement ou implicitement exclu, étant donné que, conformément à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968, il occupe un rang inférieur au contrat de travail individuel dans la hiérarchie des sources de droit. Pour le tribunal, une « clause de libéralité » peut être insérée dans un document contractuel avec pour effet que l’employeur ne sera pas lié à l’avenir même s’il a octroyé un avantage au travailleur de manière stable, constante et générale. Cette clause empêche la naissance d’un usage pour l’année suivante et le tribunal en constate l’existence dans les éléments du dossier.

Intérêt de la décision

Cette affaire pose essentiellement la question de l’inclusion et de l’évaluation d’avantages contractuels dans la rémunération de base de l’indemnité compensatoire de préavis. Certains postes sont aisés à régler, tant sur la question de l’inclusion que de l’évaluation. Il en va ainsi du véhicule de l’entreprise mis à disposition pour usage privé. Le tribunal rappelle les critères à prendre en compte en vue de déterminer l’évaluation forfaitaire de cet avantage, étant le type de véhicule et l’étendue de l’avantage lui-même (carte de carburant illimité, frais de péage d’autoroute, etc.).

Pour ce qui est de l’indemnité forfaitaire de frais, cette question est récurrente et les juridictions du travail sont régulièrement amenées à déterminer s’il s’agit ou non d’une rémunération déguisée.

L’on peut à cet égard renvoyer à deux décisions récentes de la Cour du travail de Bruxelles.

Dans un arrêt du 14 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 14 mars 2017, R.G. 2015/AB/124), celle-ci a considéré que constitue une rémunération déguisée à prendre en compte pour le calcul de l’indemnité de préavis l’indemnité forfaitaire de frais payée à un travailleur dont la fonction, d’une part, ne l’amène pas à visiter ou rencontrer la clientèle – de telle manière que l’existence de frais de représentation n’est pas justifiée – et, d’autre part, n’est pas de nature à rendre vraisemblable que, en raison de l’exécution de son contrat, l’intéressé aurait dû disposer d’un bureau à domicile ou exposer des frais liés à l’usage du véhicule de société, tels, par exemple, des frais de parking.

Dans un autre arrêt, quasi-concomitant, du 21 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 21 mars 2017, R.G. 2015/AB/783), elle a jugé que le fait que la société paie à un cadre réellement exposé à des frais (de voyage, de restaurant, de représentation) dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail une indemnité forfaitaire mensuelle dont le versement est maintenu, probablement pour des raisons de simplicité, pendant des périodes d’inactivité au cours desquelles elle n’était pas due, ne suffit pas pour en déduire qu’il ne s’agissait pas d’une indemnité de frais, mais d’une rémunération déguisée faisant partie du salaire de base pour le calcul de l’indemnité de préavis.

Cette question est dès lors délicate et doit faire l’objet d’une appréciation au cas par cas, dans laquelle il doit être tenu compte d’un autre paramètre, que le tribunal a également examiné, à savoir si existe à côté de ce paiement de frais forfaitaires un remboursement réel et intégral de frais payés, qui ont pu être exposés par le travailleur et qui constituent ainsi des frais qui, normalement, devaient être pris en charge par l’employeur.

Enfin, le jugement reprend les critères à prendre en compte pour le droit au bonus, étant l’exigibilité du paiement de celui-ci. Il rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard relative à la condition d’être en service au moment de l’octroi ou du paiement.


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