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Programmes de formation, d’insertion et de reconversion professionnelles et conclusion de contrats à durée déterminée

Commentaire de C.J.U.E., 11 décembre 2019, C-483/19 (Ville de Verviers c/ J)

Mis en ligne le mercredi 15 avril 2020


C.J.U.E., 11 décembre 2019, C-483/19 (Ville de Verviers c/ J)

Programmes de formation, d’insertion et de reconversion professionnelles et conclusion de contrats à durée déterminée.

Dans un arrêt du 11 décembre 2019, la Cour de Justice admet la validité de la législation belge qui exclut du champ d’application de la législation nationale de transposition, conformément à la faculté qui lui est reconnue par la clause 2 de l’accord-cadre du 18 mars 1999, une certaine catégorie de contrats, les travailleurs relevant de celle-ci ne devant dès lors pas bénéficier de la protection garantie par l’accord-cadre, étant en-dehors des objectifs poursuivis par celui-ci.

Les faits

La Ville de Verviers avait engagé un travailleur, pendant une période d’un peu plus de cinq ans (avril 2009 – octobre 2014) dans le cadre d’un projet social subventionné par des fonds publics européens et régionaux, dont un des objectifs essentiels était la lutte contre les discriminations. L’intéressé a dès lors été engagé dans le cadre d’un contrat d’adaptation professionnelle visant à promouvoir l’égalité des chances des personnes handicapées sur le marché de l’emploi.

Ensuite il fut engagé dans le cadre d’un programme de transition professionnelle (par trois contrats de travail à durée déterminée successifs).

Enfin, après une interruption d’un mois, l’engagement s’est poursuivi dans le cadre d’une mesure adoptée en faveur de l’emploi visant à augmenter le taux de l’embauche de certains groupes de travailleurs, via un emploi subventionné (l’intéressé ayant encore ici trois contrats à durée déterminée successifs).

Suite à la fin du versement des subventions européennes, le programme devant être poursuivi sur fonds propres, la Ville de Verviers n’a pas renouvelé le contrat de l’intéressé et l’a remplacé par un autre agent qui a bénéficié de la même mesure pour l’emploi.

Devant le tribunal du travail, l’intéressé plaida que les contrats à durée déterminée successifs n’avaient pas de justification, n’étant pas nécessités par la nature du travail ni par d’autres raisons légitimes. Il estimait dès lors qu’il y avait contrat à durée indéterminée. Il postulait également une indemnité pour licenciement abusif, ayant été licencié sans audition préalable.

Le Tribunal du travail fit droit à la demande sur le premier poste. Appel fut interjeté et la Cour du travail de Liège fut saisie.

Par arrêt du 14 juin 2019, elle interrogea la Cour de justice par plusieurs questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La Cour répond à la première des questions posées, sa réponse rendant sans objet les deux autres.

Il s’agit en substance de dire si la clause 2, point 2, sous b) de l’accord-cadre du 18 mars 1999 (figurant en annexe de la Directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999) sur le travail à durée déterminée doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un législateur national qui a exclu (conformément à la faculté dont il dispose selon cette disposition) du champ d’application de sa législation nationale de transposition une certaine catégorie de contrats soit dispensé d’adopter des mesures nationales de nature à garantir aux travailleurs relevant de cette catégorie le respect des objectifs poursuivis par l’accord-cadre.

Position de la Cour

La Cour rappelle que le champ d’application de l’accord-cadre est large, s’agissant de viser les travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans les Etats membres.
La définition des contrats et des relations de travail auxquels il s’applique relève cependant non de celui-ci ou d’autres dispositions du droit de l’Union mais du droit interne, pour autant qu’elle n’aboutisse pas à exclure arbitrairement une catégorie de personnes du bénéfice de la protection offerte.

La Cour renvoie ici à deux de ses arrêts visant spécifiquement la question : C.J.U.E., 15 mars 2012, C-157/11, Sibilio et C.J.U.E., 3 juillet 2014, C-362/13, C-363/13 et C-407-13, Fiamingo.
Les Etats membres (et les partenaires sociaux) peuvent soustraire du domaine d’application de l’accord-cadre à la fois les relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage et les contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, d’insertion et de reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu pour les pouvoirs publics.

Il y a une marge d’appréciation conférée aux Etats membres, dont les critères d’appréciation doivent cependant être transparents et susceptibles d’être contrôlés, aux fins de vérifier s’il n’est pas porté atteinte à la protection des travailleurs.

Renvoyant encore à son arrêt Sibilio, elle rappelle que la disposition en cause ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit qu’une relation déterminée ne relève pas du champ d’application de l’accord-cadre notamment lorsqu’il a été fait état de la faculté reconnue au point 2 de la disposition. Le champ d’application de l’accord-cadre n’est pas sans limites et obliger les Etats à garantir que tous les travailleurs puissent bénéficier de la protection qu’il offre revendrait à les priver de la marge d’appréciation qui leur est conférée.

La Cour considère que, à partir des éléments dont elle dispose, il est avéré que la catégorie de contrats en cause a été exclue du champ d’application de l’accord-cadre et qu’il n’apparaît pas que le législateur belge aurait utilisé la marge d’appréciation dont il dispose de manière arbitraire ou qu’il aurait privé un travailleur de la protection qui lui était assurée.

La Cour répond dès lors que la clause 2 point 2, sous b) de l’accord-cadre ne s’oppose pas à ce que le législateur national, usant de la faculté qui lui est reconnue par cette disposition, exclue du champ d’application de la législation interne transposant la Directive 1999/70 et l’accord-cadre une certaine catégorie de contrats et qu’il soit ainsi dispensé d’adopter des mesures nationales de nature à garantir aux travailleurs relevant de cette catégorie le respect des objectifs poursuivis par l’accord-cadre.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice est régulièrement amenée à se prononcer sur l’interprétation de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée.

C’est en général sur la clause 4 qu’elle est saisie (relative aux conditions d’emploi).

Le litige tranché en l’espèce concerne la clause 2, qui concerne le champ d’application de l’accord : il s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque Etat membre.

Ceux-ci, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux eux-mêmes peuvent prévoir que l’accord ne s’applique pas aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage ainsi qu’aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics.

La Cour a renvoyé à juste titre à son arrêt Sibilio du 15 mars 2012, où elle a été saisie à propos de la même disposition. Il s’agissait en cette espèce de personnes effectuant des « travaux socialement utiles » auprès des administrations publiques (affaire italienne). La réglementation nationale excluait l’existence d’une relation de travail et établissait une différence entre l’allocation payée aux travailleurs socialement utiles et la rémunération perçue par les travailleurs à durée déterminée et/ou indéterminée engagés par les administrations elles-mêmes et effectuant les mêmes travaux.

Elle a conclu que la clause 2 de l’accord-cadre ne s’oppose pas à une réglementation qui prévoit qu’une telle relation de travail ne relève pas du champ d’application de l’accord-cadre dans la mesure où les travailleurs en cause ne bénéficient pas d’une relation de travail telle que définie par la législation, les conventions collectives ou les pratiques nationales.

L’intéressé faisait pour sa part valoir que les clauses 3, point 1 et 4, point 1 de l’accord-cadre s’opposaient à une réglementation nationale refusant de considérer les travailleurs socialement utiles comme des travailleurs exerçant un emploi à durée déterminée et les excluait du champ d’application de l’accord-cadre, déniant ainsi les protections qui en découlent et entraînant un traitement moins favorable à leur égard que celui dont bénéficient les travailleurs à durée indéterminée exerçant les mêmes fonctions avec la même ancienneté.


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