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Notion de travailleur au sens de l’article 49 du T.F.U.E. : un important arrêt de la Cour de Justice

Commentaire de C.J.U.E., 19 septembre 2019, Aff. n° C-544/18 (HER MAJESTY’S REVENUE AND CUSTOMS c/ DAKNEVICIUTE

Mis en ligne le mercredi 25 mars 2020



C.J.U.E., 19 septembre 2019, Aff. n° C-544/18 (HER MAJESTY’S REVENUE AND CUSTOMS c/ DAKNEVICIUTE

Terra Laboris

Notion de travailleur au sens de l’article 49 du T.F.U.E. : un important arrêt de la Cour de Justice

Par arrêt du 19 septembre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne pose la règle selon laquelle il y a lieu d’étendre aux activités non salariées les principes dégagés dans l’hypothèse d’une activité salariée aux fins de définir la notion de travailleur figurant à l’article 49 du T.F.U.E., s’agissant en l’espèce d’une ressortissante d’un Etat membre qui avait cessé son activité non salariée en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades d’une grossesse et aux suites de l’accouchement.

Les faits

Une ressortissante lituanienne prestant en tant que salariée au Royaume-Uni entreprend une activité non salariée (esthéticienne) à partir de la fin de l’année 2013, ayant appris qu’elle était enceinte. Elle prestait précédemment de nuit.

Suite à la naissance de son enfant, elle a connu une période d’inactivité de trois mois et a marginalement continué à poursuivre son activité non salariée pour enfin mettre un terme à celle-ci. Elle a alors fait une demande d’allocations de demandeur d’emploi en février 2015, avant de reprendre une activité salariée deux mois plus tard.

Entre-temps, elle avait introduit une demande d’allocations familiales hebdomadaires pour enfant à charge, allocations qui lui ont été refusées au motif qu’elle ne disposait pas d’un droit de séjour suffisamment établi.

Suite à un recours introduit devant le First-tier Tribunal (Tribunal de première instance), la décision administrative a été annulée. L’institution ayant introduit un appel devant l’Upper Tribunal (Administrative Appeals Chamber – Tribunal supérieur – Chambre des appels administratifs), le jugement a été annulé (vu une erreur de droit). Pour ce qui est de l’activité, la Chambre a considéré que celle-ci était marginale, l’intéressée ayant cessé d’être économiquement active. Le juge anglais admet par ailleurs que la cessation de toute activité était due aux contraintes physiques liées aux derniers stades de la grossesse et aux suites de l’accouchement et, par ailleurs, que le parcours en vue de revenir à une activité économique a été fait dans une période de temps raisonnable.

Renvoyant à l’arrêt SAINT PRIX (C.J.U.E., 19 juin 2014, Aff. n° C-507/12, SAINT PRIX c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS), concernant la situation d’une femme qui avait cessé de travailler ou de chercher un emploi vu ces mêmes contraintes, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si la solution qui a été dégagée peut être transposée aux personnes qui ont exercé leur liberté d’établissement en vertu de l’article 49 T.F.U.E.

Vu l’arrêt GUSA (C.J.U.E., 20 décembre 2017, Aff. n° C-442/16, GUSA c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION e.a.), intervenu en cours de procédure, des observations supplémentaires ont été soumises à la Cour, les parties en tirant cependant des conclusions opposées, dans la mesure où, pour l’administration britannique, la solution n’est pas transposable, et, pour la travailleuse, tel est cependant le cas.

Une question est dès lors posée à la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question posée est, sommairement, de savoir si l’article 49 T.F.U.E. doit être interprété en ce sens qu’une femme, qui cesse d’exercer son activité non salariée en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades de sa grossesse et aux suites de son accouchement, conserve sa qualité de personne exerçant une activité non salariée pourvu qu’elle reprenne cette activité ou trouve une autre activité non salariée ou un emploi durant une période de temps raisonnable suivant la naissance de l’enfant.

La décision de la Cour

La Cour reprend l’enseignement de l’arrêt SAINT PRIX, où elle a jugé que l’article 7, § 3, de la Directive n° 2004/38/CE (qui précise les cas dans lesquels un citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité – salariée ou non– conserve néanmoins cette qualité ainsi que le droit de séjour qui lui correspond) ne couvre pas le cas d’une femme qui cesse temporairement de travailler en raison des derniers stades de sa grossesse et des suites de son accouchement. La Cour rappelle qu’elle a néanmoins considéré que cette disposition n’énumère pas de manière exhaustive les circonstances dans lesquelles un citoyen de l’Union qui n’exerce plus d’activité dans l’Etat membre d’accueil conserve la qualité de « travailleur » aux fins du § 1er, sous a), de cette disposition et, partant, le droit de séjour qui découle de cette qualité.

Le même arrêt SAINT PRIX a précisé que la circonstance qu’une personne dans cette situation n’a pas été effectivement présente sur le marché de l’emploi n’implique pas que celle-ci a cessé d’appartenir à ce marché pendant la période en cause, pourvu qu’elle reprenne son travail ou qu’elle trouve un autre emploi dans un délai raisonnable après l’accouchement.

Cette jurisprudence a été rendue dans le cadre de l’article 45 T.F.U.E. et la Cour relève que la juridiction de renvoi demande si elle peut être transposée au cas d’une personne exerçant une activité non salariée au titre de l’article 49. Sur ce point, elle rappelle l’arrêt ROUX (C.J.U.E., 5 février 1991, Aff. n° C-363/89, ROUX c/ ETAT BELGE), où elle a jugé que les articles 45 et 49 assurent la même protection juridique, la qualification du mode d’exercice de l’activité économique étant sans importance. Elle poursuit, reprenant les garanties découlant du principe de libre circulation des personnes ressortissantes de l’Union, étant qu’il s’agit de faciliter l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union. Ce principe s’oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité sur le territoire d’un autre Etat.

Or, tel est le cas en l’espèce. Une citoyenne de l’Union pourrait être dissuadée d’exercer son droit de libre circulation si elle savait qu’elle risquait de perdre la qualité de travailleur non salarié dans l’Etat, lorsqu’elle serait dans l’obligation, suite à sa grossesse, d’arrêter son activité non salariée, ne serait-ce que pour une courte période.

Il y a dès lors lieu de conclure, pour la Cour, que ces personnes doivent pouvoir conserver leur qualité de personnes exerçant une activité non salariée au sens de l’article 49 T.F.U.E. Rappelant encore l’enseignement de l’arrêt GUSA, elle souligne que les personnes qui exercent une activité salariée et celles qui exercent une activité non salariée se trouvent dans une situation de vulnérabilité comparable dans cette hypothèse. Elles ne peuvent dès lors faire l’objet d’une différence de traitement en ce qui concerne le maintien de leur droit au séjour. Elle conclut (considérant 39) qu’une femme qui cesse d’exercer une activité non salariée en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades de sa grossesse et aux suites de son accouchement ne saurait faire l’objet d’une différence de traitement en ce qui concerne le maintien de son droit de séjour dans l’Etat membre d’accueil par rapport à une travailleuse salariée dans une situation comparable. Il est cependant requis qu’elle reprenne son activité ou trouve une autre activité non salariée ou un autre emploi dans une période de temps raisonnable suivant la naissance de son enfant.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour de Justice renvoie longuement à l’arrêt SAINT PRIX du 19 juin 2014 (C.J.U.E., 19 juin 2014, Aff. n° C-507/12, SAINT PRIX c/ SECRETARY OF STATE FOR WORK AND PENSIONS). Se posait dans ce dernier également la définition du « travailleur » au sens cependant de l’article 45 T.F.U.E. Comme dans la présente espèce, l’intéressée, citoyenne de l’Union européenne, avait renoncé à travailler en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades de sa grossesse et aux suites de l’accouchement.

Madame SAINT PRIX, ressortissante française qui exerçait en qualité d’enseignante auxiliaire, s’était inscrite à l’Université de Londres et, étant tombée enceinte pendant son séjour en Angleterre, elle avait finalement travaillé comme intérimaire dans des écoles maternelles, emploi qu’elle avait dû quitter lorsque le travail était devenu trop fatiguant pour elle. Ayant cherché sans succès un travail plus adapté à son état, elle sollicita auprès de l’institution anglaise compétente une demande de complément de revenus. Celui-ci lui fut refusé par l’Upper Tribunal après avoir été accordé en première instance. Après un détour par la Court of Appeal (Cour d’appel), l’affaire était venue devant la Supreme Court, qui a posé la question préjudicielle à la Cour de Justice.

La Cour a considéré en réponse à la question posée que l’article 45 T.F.U.E. doit être interprété en ce sens qu’une personne qui cesse de travailler ou de chercher un emploi en raison des contraintes physiques liées aux derniers stades de sa grossesse et aux suites de l’accouchement conserve la qualité de « travailleur » au sens de cet article, pourvu qu’elle reprenne son travail ou trouve un autre emploi dans une période de temps raisonnable à la suite de la naissance de son enfant.

Cette jurisprudence est transposée, mot pour mot quant à la réponse donnée, dans la présente espèce, où est en cause l’exercice d’une activité non salariée et, dès lors, l’article 49 T.F.U.E. (et non l’article 45).


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