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Prestations de l’assurance soins de santé payées indûment : responsabilité du dispensateur de soins

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 18 mars 2019, R.G. 14/845/A

Mis en ligne le mercredi 4 mars 2020


Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 18 mars 2019, R.G. 14/845/A

Terra Laboris

Prestations de l’assurance soins de santé payées indûment : responsabilité du dispensateur de soins

Dans un jugement du 18 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle l’évolution de l’article 164 de la loi coordonnée le 10 juillet 1994, soulignant la responsabilité accrue (solidarité) du dispensateur de soins et de la personne physique ou morale qui a perçu les prestations, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions sociales.

Les faits

Une infirmière a presté dans le cadre d’un contrat de travail d’employée à temps partiel dans une résidence pour personnes âgées (les faits remontant aux années 1993 et 1994). Elle a rempli de façon manuscrite des attestations de soins, avec l’aide de la propriétaire. Il fut constaté par la Chambre restreinte du service de contrôle de l’I.N.A.M.I. qu’il y avait infraction aux dispositions légales et réglementaires, notamment quant à la nomenclature. Il était reproché d’avoir signé et délivré des attestations pour des prestations non attestables ou non effectuées. Le total de l’indu était de l’ordre de 22.000 euros.

Ce montant a été réclamé à l’intéressée, qui, par ailleurs, a été poursuivie pénalement pour des préventions de faux et usage de faux ainsi que d’escroquerie à l’I.N.A.M.I. Par jugement du 12 février 2003, les préventions ont été déclarées établies, l’intéressée se voyant accorder le bénéfice de la suspension du prononcé.

Entre-temps, la société est tombée en faillite et, suite à la clôture de celle-ci pour insuffisance d’actif, un liquidateur a été désigné. Celui-ci confirme l’insuffisance d’actif et le tribunal statue uniquement en ce que la demande reste dirigée contre l’infirmière.

La décision du tribunal

Sur le fondement de la récupération à l’égard de la défenderesse, le tribunal fait un très important rappel quant à l’évolution de l’article 164 de la loi coordonnée (plus spécialement alinéa 2). La situation des prestataires de soins n’ayant pas perçu les prestations pour leur propre compte s’est aggravée après la modification de cette disposition par la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions sociales. A l’époque des faits, était cependant en vigueur la version antérieure, qui prévoyait qu’en régime de tiers-payant, les prestations de l’assurance soins de santé payées indûment sont remboursées par le dispensateur de soins, soit par la personne physique ou morale qui les a perçues pour son propre compte, sauf si le caractère indu de celles-ci résulte de ce que, à l’insu des personnes précitées, celui qui a reçu les soins n’avait pas la qualité de bénéficiaire ou ne s’était pas conformé aux dispositions légales ou réglementaires. Dans ces derniers cas, les prestations sont remboursées par la personne qui a reçu les soins.

Depuis le 2 janvier 1996 (date d’entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 1995), cet alinéa dispose qu’en régime de tiers-payant, les prestations de l’assurance soins de santé payées indûment sont remboursées par le dispensateur de soins qui ne s’est pas conformé aux dispositions légales ou réglementaires. Lorsque les prestations ont été perçues, pour son propre compte, par une personne physique ou morale, celle-ci est solidairement tenue au remboursement avec le dispensateur de soins.

Cette modification implique que le dispensateur est tenu personnellement, depuis la modification légale, dès lors que c’est suite au fait qu’il ne s’est pas conformé aux obligations légales et réglementaires que l’action en récupération est entamée ; quant à la personne physique ou morale qui a perçu ces prestations, elle est tenue solidairement avec lui.

Auparavant, cependant, les prestations devaient être remboursées par le dispensateur ou la personne morale qui les avait perçues pour son propre compte. Le tribunal fait un rappel de la jurisprudence rendue sur cette mouture de la disposition, dont le texte était considéré clair, étant qu’il ne permettait pas le recouvrement à charge d’un prestataire n’ayant pas perçu les honoraires pour les prestations litigieuses.

En l’espèce, le tribunal relève qu’il n’est pas contesté que les prestations ont été réglées dans le régime du tiers-payant. Quant à la détermination de la législation applicable, il rappelle qu’une loi nouvelle s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur, mais également aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi ancienne, qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle, et ce pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. En l’espèce, il estime que les attestations en cause n’ont pas développé d’effet à partir du 2 janvier 1996 et qu’il y a lieu de s’en tenir au texte initial.

Un autre fondement est invoqué par l’Union nationale en vue d’obtenir la récupération de l’indu, celle-ci faisant valoir que la responsabilité civile de l’infirmière est engagée. Elle renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 1989 essentiellement (Cass., 6 novembre 1989, n° 6.711), rendu dans le cadre de la loi du 9 août 1963 (article 97, alinéa 2, de cette dernière). La Cour y a relevé que cette disposition ne contient qu’une réglementation particulière concernant certains paiements indus effectués par les organismes assureurs et qu’elle ne fait pas obstacle à l’application de l’article 1382 du Code civil lorsque les conditions d’application de cet article sont réunies, et ce même à l’égard des dispensateurs de soins et des établissements de soins qui ont perçu le paiement pour leur propre compte.

Dans l’examen de l’application des articles 1382 et suivants du Code civil à la matière, l’on doit cependant tenir compte du tempérament que constitue l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, selon lequel le travailleur ne répond que de son dol, de sa faute lourde et de sa faute légère habituelle.

Il est renvoyé à l’arrêt du 17 février 1999 de la Cour constitutionnelle (C. const., 17 février 1999, n° 20/99), où a été précisée la règle que cette disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu’elle a pour effet qu’un tiers victime d’une faute au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil qualifiée de « légère et non habituelle » est traité différemment selon que le fait fautif a été commis par un travailleur qui, en vertu de cet article 18, bénéficie d’une exonération totale de sa responsabilité ou par un organe de l’autorité non lié par un contrat de travail.

Le tribunal conclut dès lors qu’il faut examiner cette demande, mais en application du régime dérogatoire au droit commun de l’article 18, et ce tenant compte du degré de gravité de la faute.

Il examine longuement les éléments de fait, renvoyant à la motivation du tribunal correctionnel, qui a déclaré les préventions établies mais a accordé la suspension simple du prononcé. Il a ainsi retenu l’élément moral. Pour le tribunal, tout en sachant qu’elle n’avait pas pu effectuer les prestations de soins et en signant celles-ci – ce qui a été reconnu –, l’intéressée a participé à la fraude de son employeur et au moins s’est conformée à des instructions manifestement illégales, dont elle connaissait le caractère, aux fins de permettre à ce dernier d’obtenir des remboursements de soins indus. Il y a, pour le tribunal, une faute tellement excessive qu’elle en est inexcusable. Cette faute est une faute lourde au sens de l’article 18 et elle est de nature à engager la responsabilité de tout travailleur salarié.

Cette faute lourde est retenue pour certains des griefs (prestations de soins attestées et non attestables car non effectuées). Elle ne l’est pas pour les autres griefs (mauvaise indication des numéros de codes spécifiques, absence de notification de prestations de toilettes au médecin-conseil et demandes de remboursement à la fois à l’acte et forfaitaire – cumul non autorisé).

Reste à examiner le dommage en lien causal avec la faute lourde reconnue, étant les manquements commis en signant des attestations relatives à des soins non effectués. Ce montant est fixé et il correspond à celui retenu d’ailleurs par le tribunal correctionnel, à charge de la gérante de la résidence. Celui-ci ayant été payé, le tribunal constate qu’il n’y a plus de dommage en principal.

Sur un dernier point (qui va d’ailleurs faire l’objet d’une réouverture des débats), étant la question des intérêts moratoires pour la période à partir du 22 mars 1999, qui la date de la mise en demeure adressée par l’Union nationale et la date du paiement effectif par la gérante, le tribunal renvoie à l’article 1153 du Code civil, siège de la matière. Vu l’incertitude quant à la durée exacte de cette période, il fixe un calendrier de mise en état.

Intérêt de la décision

Cette saga (qui couvre plus de 25 ans) trouve donc sa conclusion (du moins ceci est à espérer). Le tribunal s’est livré, dans son examen de la cause, à un rappel en droit quant à l’évolution de la réglementation en matière de tiers-payant, l’intéressée bénéficiant en l’espèce de l’ancienne réglementation et non de celle applicable aujourd’hui, qui permet aux organismes assureurs de s’adresser aussi bien au dispensateur de soins qu’à la personne physique ou morale qui a perçu les prestations, ceux-ci étant tenus solidairement responsables.

L’Union nationale invoquait par ailleurs un deuxième fondement, et ce en renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 1989, qui a fait le lien entre l’article 97, alinéa 2, de la loi du 9 août 1963 (applicable à l’époque) et les principes de la responsabilité civile. L’action, en tant que fondée sur les articles 1382 et suivants, doit cependant être examinée eu égard à l’article 18 de la loi sur les contrats de travail. Il est intéressant en l’espèce de noter que le tribunal a retenu une faute lourde (celle-ci ne faisant l’objet d’aucune définition). Il s’est fondé sur la reconnaissance par le tribunal correctionnel de l’élément moral, étant que l’intéressée était parfaitement au courant de la situation et qu’elle a posé des actes précis et indispensables permettant à la gérante de percevoir des remboursements indus, ce qui correspond à un avantage illicite.


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