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Travailleur migrant résidant dans un Etat membre et prestant dans un autre Etat : conditions du droit aux prestations de sécurité sociale dans l’Etat de résidence

Commentaire de C.J.U.E., 19 septembre 2019, Aff. n° C-95/18 et C-96/18 (SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ VAN DEN BERG e.a.)

Mis en ligne le lundi 2 mars 2020


C.J.U.E., 19 septembre 2019, Aff. n° C-95/18 et C-96/18 (SOCIALE VERZEKERINGSBANK c/ VAN DEN BERG e.a.)

Terra Laboris

Travailleur migrant résidant dans un Etat membre et prestant dans un autre Etat : conditions du droit aux prestations de sécurité sociale dans l’Etat de résidence

Par arrêt du 19 septembre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne rend un deuxième arrêt dans des affaires dont elle a déjà connu précédemment, s’agissant des droits en matière de pension de vieillesse et d’allocations familiales pour des travailleurs migrants soumis à la législation d’un Etat d’emploi qui n’est pas l’Etat de résidence, alors que l’Etat d’emploi ne leur confère aucun droit à celles-ci.

Rétroactes

L’affaire concerne plusieurs défendeurs.

La situation du premier (GIESEN) fait l’objet du dossier n° C-95/18. Son épouse avait travaillé en Allemagne au cours de l’année 1970 et, ensuite, entre mai 1988 et mai 1993. Elle exerçait une activité dite « mineure » (vendeuse d’un magasin de prêt-à-porter engagée dans le cadre d’un contrat occasionnel, avec un maximum de deux ou trois journées de travail par mois). M. GIESEN introduisit une demande de pension de vieillesse et d’allocations de partenaire auprès de la sécurité sociale des Pays-Bas (pays où il réside). Celle-ci est réduite, dans la mesure où, pendant sa période d’occupation en Allemagne, son épouse n’était pas assurée au régime de sécurité sociale néerlandais. Il y a recours en ce qui concerne la réduction de cette allocation.

Etant dans une situation analogue, un deuxième défendeur, M. VAN DEN BERG, a quant à lui travaillé en Allemagne pendant de brèves périodes en 1972 et de 1990 à 1994. Vu la modicité des revenus perçus, il n’a pas dû cotiser en Allemagne. Lorsqu’il a demandé sa pension de vieillesse aux Pays-Bas, celle-ci a également été réduite, dans la mesure où, pendant sept années, il n’avait pas été assuré aux Pays-Bas.

Une troisième défenderesse, visée dans le dossier n° C-96/18, Mme FRANZEN, a perçu des allocations familiales aux Pays-Bas pour sa fille. Elle a presté en Allemagne depuis janvier 2001, travaillant comme coiffeuse à raison de vingt heures par semaine. Vu également la modicité de ses revenus, elle n’a été affiliée dans cet Etat que pour le secteur des accidents du travail et n’a aucun droit dans les autres régimes de sécurité sociale. L’institution néerlandaise lui a retiré le bénéfice des allocations familiales à partir du 1er octobre 2002.

Ces situations ont déjà été évoquées devant la Cour de Justice.

Par arrêt du 23 avril 2015 (C.J.U.E., 23 avril 2015, Aff. n° C-382/13, FRANZEN e.a. c/ RAAD VAN BESTUUR VAN DE SOCIALE VERZEKERINGSBANK), la Cour de Justice, qui avait été saisie sur question préjudicielle posée par le Centrale Raad van Beroep (Pays-Bas), a rappelé que des exceptions peuvent être admises au principe d’unicité de la loi applicable, l’Etat membre qui n’est pas compétent pouvant, sous certaines conditions, octroyer des prestations de sécurité sociale à un travailleur migrant en application de son droit national. Se fondant sur l’article 13, § 2, sous a), du Règlement n° 1408/71, lu en combinaison avec son § 1er, la Cour avait donné son interprétation, selon laquelle, dans les circonstances telles que celles qui lui étaient soumises, le Règlement ne s’oppose pas à ce qu’un travailleur migrant, soumis à la législation de l’Etat membre d’emploi, perçoive, en vertu d’une législation nationale de l’Etat membre de résidence, les prestations relatives au régime d’assurance vieillesse et les allocations familiales de cet Etat.

Suite à cet arrêt, le Centrale Raad van Beroep a statué, faisant application des clauses d’équité prévues dans le droit national, et a fait droit, dans les deux affaires, aux demandes des intéressés. L’institution de sécurité sociale néerlandaise s’est pourvue en cassation devant le Hoge Raad der Nederlanden contre les arrêts rendus.

Cette juridiction estime qu’il est impossible, sur la base de l’arrêt de la Cour de Justice, de répondre, sans nourrir un doute raisonnable, à la question de savoir si le droit de l’Union non seulement permet, mais surtout impose, dans les circonstances visées, d’écarter le droit national qui prévoit qu’un résident des Pays-Bas est exclu des assurances sociales de cet Etat membre si le travail dans un autre Etat est soumis sur le fondement de l’article 13 du Règlement n° 1408/71 à la législation de sécurité sociale de celui-ci.

Des questions (« à tiroirs ») sont posées concernant la conformité de la législation néerlandaise en matière de pension de vieillesse et d’allocations familiales aux articles 45 et 48 T.F.U.E.

La décision de la Cour

La Cour rappelle les principes fondamentaux qui régissent l’égalité de traitement, appliqués à la sécurité sociale. Le Règlement n° 1408/71 a mis sur pied un système de règles de conflit et a soustrait, en conséquence, au législateur de l’Etat membre le pouvoir de déterminer à sa guise l’étendue et les conditions d’application de sa législation nationale quant aux personnes qui y sont soumises et au territoire à l’intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets. Elle rappelle à cet égard l’arrêt DE RUYTER (C.J.U.E., 26 février 2015, Aff. n° C-623/13, DE RUYTER).

Le principe d’unicité de législation applicable en matière de sécurité sociale, qui est un des fondements de la coordination, ne peut cependant priver un Etat membre qui n’est pas compétent, en vertu des dispositions pertinentes du Règlement, de la faculté d’octroyer, sous certaines conditions, des prestations familiales ou une pension de vieillesse à un travailleur migrant en application de son droit national. Le Règlement n’a en effet pas vocation d’empêcher l’Etat membre de résidence d’une personne d’octroyer de telles prestations à cette personne, même si, en application de l’article 13, § 2, sous a), du Règlement, celle-ci est soumise à la législation de l’Etat membre où elle exerce une activité salariée.

Constatant qu’en l’espèce, la législation néerlandaise exclut l’affiliation à la sécurité sociale néerlandaise d’une personne résidant sur le territoire lorsqu’elle travaille dans un autre Etat membre, la Cour de Justice se livre à un examen des deux dispositions du Traité, dans leur finalité et dans les moyens mis en œuvre, et conclut que celles-ci ne sauraient être interprétées en ce sens qu’elles obligent l’Etat membre de résidence, dans les circonstances telles qu’examinées, à octroyer des prestations sociales à un travailleur migrant lorsque celui-ci n’a pas droit à de telles prestations en application de la législation de l’Etat membre d’emploi, compétent en application de l’article 13 du Règlement.

Ceci n’empêche que celui-ci envisage la possibilité pour deux Etats membres de prévoir d’un commun accord et dans l’intérêt de certaines catégories de personnes (ou de certaines personnes) des exceptions au principe d’unicité de la législation applicable. Cette possibilité est particulièrement indiquée dans le cas d’espèce, où l’Etat membre d’emploi n’a conféré au travailleur migrant aucun droit à une pension de vieillesse ou aux allocations familiales, alors qu’il aurait pu bénéficier de ces droits s’il était resté sans emploi dans son Etat de résidence.

Cependant, les articles 45 et 48 T.F.U.E. ne s’opposent pas à la législation d’un Etat membre en vertu de laquelle un travailleur migrant, qui réside son territoire et qui a été soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat membre d’emploi, n’est pas assuré au titre des assurances sociales de l’Etat de résidence, quand bien même la législation de l’Etat d’emploi ne lui confère aucun droit à une pension de vieillesse ou aux allocations familiales.

Dans l’affaire n° C-95/18, une question complémentaire doit être examinée, à propos de l’article 13 du Règlement n° 1408/71, le juge néerlandais demandant si cette disposition s’oppose à ce qu’un Etat membre sur le territoire duquel réside un travailleur migrant et qui n’est pas compétent au titre de cet article, conditionne l’octroi d’un droit à une pension de vieillesse à ce travailleur migrant à une obligation d’assurance (impliquant des cotisations).

La Cour renvoie ici essentiellement à son arrêt BOSMANN (C.J.U.E., 20 mai 2008, Aff. n° C-352/06, BOSMANN). Elle souligne qu’existe un risque, au cas où une obligation d’assurance impliquant le paiement de cotisations serait imposée par l’Etat membre non compétent, de contraindre le travailleur migrant à cotiser dans deux Etats, ce qui est contraire au principe d’unicité de législation.

Par ailleurs, l’Etat membre de résidence peut, sur la base d’un critère de rattachement différent des conditions d’emploi ou d’assurance, octroyer des prestations sociales à une personne résidant sur son territoire, dès lors que la possibilité d’un tel octroi découle effectivement de sa législation.

En l’espèce, pour ce qui est de l’épouse de M. GIESEN, elle était assurée libre aux Pays-Bas en tant que résidente. Le critère de rattachement est dès lors le lieu de résidence. Pour qu’elle puisse bénéficier de prestations de vieillesse, il aurait cependant été nécessaire que des cotisations soient payées, la condition de résidence ne suffisant pas. La Cour invite dès lors le juge de renvoi à vérifier si l’épouse aurait le droit de bénéficier de prestations de vieillesse indépendamment de l’obligation de cotiser.

Pour l’ensemble des considérations qu’elle a développées dans son arrêt, la Cour conclut que l’article 13 du Règlement n° 1408/71 s’oppose à ce qu’un Etat membre sur le territoire duquel réside un travailleur migrant et qui n’est pas compétent au titre de cet article conditionne l’octroi d’un droit à une pension de vieillesse à une obligation d’assurance, impliquant le paiement de cotisations obligatoires.

La réponse aux deux questions est dès lors que les articles 45 et 48 T.F.U.E. ne s’opposent pas à ce qu’un travailleur résidant sur le territoire d’un Etat membre et soumis à la législation de sécurité sociale de l’Etat membre d’emploi n’est pas assuré au titre des assurances sociales de l’Etat de résidence, quand bien même la législation de l’Etat membre d’emploi ne lui confère aucun droit à une pension de vieillesse ou aux allocations familiales.

Par contre, l’article 16 du Règlement n° 1408/71 s’oppose à ce que l’Etat membre sur le territoire duquel réside un travailleur migrant et qui n’est pas compétent au titre de cet article conditionne l’octroi d’un droit à une pension de vieillesse à ce travailleur migrant à une obligation s’assurance, ce qui implique le paiement de cotisations obligatoires.

Intérêt de la décision

Ces affaires revenaient donc pour la seconde fois devant la Cour de Justice. Le premier arrêt rendu par la Cour le 25 avril 2015 (précédemment commenté) a répondu à deux questions. La première était de savoir si un résident d’un Etat membre relevant du champ d’application du Règlement, qui travaille pendant quelques jours par mois sur la base d’un contrat occasionnel sur le territoire d’un autre Etat membre, est soumis à la législation de l’Etat d’emploi et si, dans l’affirmative, ceci couvre également les jours durant lesquels aucune activité salariée n’est exercée. La seconde question portait sur le fait de savoir si la même disposition (lue en combinaison avec son § 1er) doit être interprétée en ce sens que, dans les circonstances décrites, elle s’oppose à ce qu’un travailleur migrant, qui est soumis à la législation de l’Etat membre d’emploi, perçoive, en vertu de la législation nationale de l’Etat de résidence, les prestations relatives au régime d’assurance vieillesse, ou encore les allocations familiales de cet Etat.

La Cour de Justice avait considéré que le temps consacré à l’activité salariée est sans importance en vue de la détermination de l’applicabilité du Règlement n° 1408/71, la personne étant soumise à la législation de l’Etat membre sur le territoire duquel elle exerce son activité salariée. Pour ce qui est du travailleur migrant qui preste quelques jours par mois seulement sur la base d’un contrat de travail occasionnel sur le territoire d’un autre Etat membre, il est soumis à la législation de cet Etat d’emploi tant pendant les jours pendant lesquels il exerce son activité salariée que pendant ceux où il ne l’exerce pas.

Dans l’arrêt du 19 septembre 2019, la Cour a abordé une question plus spécifique, eu égard au fait que le régime légal de l’Etat d’emploi ne permettait pas en l’occurrence au travailleur migrant de prétendre à des allocations familiales (ou à une pension de vieillesse) en raison du volume limité de son activité dans cet Etat. La réponse de la Cour est d’admettre, sur pied des articles 45 et 48 T.F.U.E., qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un travailleur migrant soumis lui-même à la sécurité sociale d’un Etat d’emploi ne soit pas assuré dans l’Etat de résidence, quand bien même il n’a aucun droit aux prestations en cause dans l’Etat d’emploi.

Par contre, sur pied de l’article 13 du Règlement n° 1408/71, elle a conclu que l’Etat membre sur le territoire duquel réside un travailleur migrant, qui n’est pas compétent au titre de cette disposition et qui conditionne l’octroi d’un droit à une pension de vieillesse à ce travailleur migrant à une obligation d’assurance (impliquant le paiement de cotisations), n’est pas conforme au droit européen.


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