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Procédure « loi de 1991 » : quid si l’appel n’a pas été dirigé contre l’organisation syndicale présente en première instance ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2019/AB/536

Mis en ligne le mardi 25 février 2020


C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2019, R.G. 2019/AB/536

Terra Laboris

Procédure « loi de 1991 » : quid si l’appel n’a pas été dirigé contre l’organisation syndicale présente en première instance ?

Par arrêt du 10 septembre 2019, la Cour du travail de Bruxelles rappelle quelques règles de procédure dans les litiges mus dans le cadre de la loi du 19 mars 1991, étant saisie d’une question particulière : le travailleur a omis, dans sa requête d’appel, de mettre à la cause l’organisation syndicale – présente en première instance – qui a présenté sa candidature.

Les rétroactes

Une société a introduit devant le tribunal du travail une demande d’autorisation de licenciement d’un travailleur protégé en application de la loi du 19 mars 1991, et ce pour motif grave.

L’action mue par l’employeur a été dirigée contre le travailleur en cause ainsi que l’organisation interprofessionnelle qui a déposé sa candidature (et l’organisation représentative des employés affiliée à cette dernière).

La procédure était régulière devant le premier juge, l’organisation interprofessionnelle étant à la cause.

Le travailleur a interjeté appel du jugement, qui a autorisé le licenciement. Il a cependant omis de mettre à la cause l’organisation syndicale qui avait présenté sa candidature (et a également omis de viser l’organisation affiliée). Sont ainsi seuls présents devant la cour le travailleur et son employeur. L’organisation syndicale a, dans le cadre de la procédure d’appel, déposé une requête en intervention volontaire.

La cour a dès lors posé la question de savoir si l’erreur commise devait entraîner l’irrecevabilité de l’appel ou encore la nullité de la requête d’appel.

L’arrêt du 14 août 2019

Un premier arrêt a été rendu le 14 août 2019, ordonnant la réouverture des débats. L’objet de celle-ci est de décider si le litige constitue un litige indivisible au sens de l’article 31 du Code judiciaire et si l’article 1053 du même Code trouve à s’appliquer.

L’arrêt du 10 septembre 2019

La cour tranche en premier la question de la recevabilité de l’appel.

Elle rappelle les dispositions de la loi du 19 mars 1991 portant un régime de licenciement particulier pour les délégués du personnel aux Conseils d’entreprise et aux Comités de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail, ainsi que pour les candidats délégués du personnel.

Celles-ci sont très précises quant aux mentions que doit reprendre la requête déposée par l’employeur. Pour la cour, il résulte des articles 4, § 2, 3°, 5, § 2, et 6 que l’employeur qui envisage de licencier doit informer de son intention et appeler à la cause, en même temps que le travailleur, l’organisation qui a présenté sa candidature. Il s’agit de l’organisation interprofessionnelle représentative sur le plan national (Conseil Central de l’Economie et Conseil National du Travail). La cour rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard, étant que n’est pas visée l’organisation syndicale affiliée ou faisant partie de l’organisation interprofessionnelle (il s’agit de l’arrêt du 28 janvier 2013, n° S.11.0123.N, la cour renvoyant également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 juillet 2014, R.G. 2014/AB/346).

Pour ce qui est de l’appel, l’article 11, § 1er, alinéa 1er, de la loi prévoit uniquement que la requête est introduite par lettre recommandée à la poste et qu’elle est envoyée par le greffe à toutes les parties.

La cour renvoie, ainsi, au Code judiciaire, dont l’article 1053, relatif à l’indivisibilité du litige, prévoit que l’appel doit être dirigé contre toutes les parties dont l’intérêt est opposé à celui de l’appelant. Celui-ci doit, au plus tard avant la clôture des débats, mettre à la cause les autres parties non appelantes ni déjà intimées ou appelées. A défaut, l’appel ne sera pas admis.

Le Code judiciaire prévoit encore en son article 31 que n’est indivisible, au sens de l’article 1053 ci-dessus, que le litige dont l’exécution conjointe des décisions distinctes auxquelles il donnerait lieu serait matériellement impossible.

Pour ce qui est du cas d’espèce, n’étant pas contesté que la candidature de l’intéressé a été présentée par une organisation syndicale représentative, la cour rappelle que celle-ci a la qualité de partie au litige. Cette notion est en effet définie comme visant l’employeur, le travailleur et l’organisation qui a présenté sa candidature. La Cour de cassation est également intervenue sur cette question, dans un arrêt du 23 avril 2011 (Cass., 23 avril 2011, n° S.00.0176.N), pour considérer que la définition de « partie » donnée à cette disposition vaut pendant toute la procédure.

Il en découle que la requête d’appel devait viser également l’organisation.

Après un examen en droit, la cour conclut cependant que l’article 1053, alinéa 2, du Code judiciaire ne trouve pas à s’appliquer (renvoyant notamment à l’arrêt de la Cour suprême du 17 novembre 2011, n° C.10.0516.N).

Vu l’intervention volontaire de l’organisation syndicale, qui n’a pas comparu en appel pour contourner un délai d’appel oublié mais pour permettre de régulariser la procédure, dans l’hypothèse où la cour aurait dû conclure à l’application de cette disposition du Code judiciaire, la cour rappelle encore un arrêt de la Cour de cassation (Cass., 23 octobre 2015, n° C.14.0322.F), où a été admise implicitement l’existence d’exceptions à l’interdiction pour une partie présente, appelée ou représentée en première instance, d’être reçue comme intervenante volontaire ou intervenante forcée en appel, dès lors qu’elle utilise les termes « en règle ».

Elle considère également que l’article 11 de la loi du 19 mars 1991 n’est pas prescrit à peine de nullité, le but de la disposition étant par ailleurs atteint par la présence in fine de l’organisation. L’omission dans la requête d’appel n’a entraîné aucun préjudice pour l’employeur. La cour rappelle encore la règle « pas de nullité sans grief » (article 861 du Code judiciaire) et conclut à la recevabilité de l’appel.

Pour ce qui est du fond, elle maintient le motif grave, s’agissant d’un fait de la conduite (irrespect envers un membre féminin de la ligne hiérarchique).

Le fait est qualifié de « comportement injurieux et sexiste » et la cour relève encore que le courriel d’excuses qui a été adressé plus tard ne permet pas d’atténuer le caractère injurieux du comportement.

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

C’est évidemment la question de procédure qui fait l’intérêt de cet arrêt, les faits n’ayant qu’un aspect purement factuel.

Dans les règles applicables, la cour est partie des dispositions de la loi du 19 mars 1991 pour se tourner – vu leur silence quant à la question posée – vers le Code judiciaire.

S’agissant de déterminer la place qu’occupe l’organisation représentative de travailleurs dans la procédure, la cour a rappelé deux grands principes, étant d’une part que doit être visée l’organisation interprofessionnelle et non une centrale ou une organisation affiliée et, d’autre part, que la notion de « partie » au sens de l’article 5, § 6, de la loi vise l’employeur, le travailleur et l’organisation elle-même. Celle-ci est dès lors partie à la cause et doit être visée par la requête introductive et par la requête d’appel.

La conclusion de la cour sur la situation dont elle est saisie est d’admettre l’intervention en appel, dans la mesure où il s’agit d’une partie déjà présente en première instance et que l’intervention volontaire n’est pas interdite par le Code judiciaire.


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