Terralaboris asbl

Non prise en charge dans les ressources du demandeur de l’allocation d’intégration de sa mère

Commentaire de Trib. trav. Bruxelles, 15 octobre 2008, R.G. n° 6.142/08

Mis en ligne le mardi 11 février 2020


Tribunal du travail de Bruxelles, 15 octobre 2008, R.G. n° 6.142/08

TERRA LABORIS Asbl – Mireille Jourdan

Dans un jugement du 15 octobre 2008, le tribunal du travail de Bruxelles a rappelé que, dans le calcul des ressources, prendre en compte (l’intégralité de) l’allocation d’intégration d’un ascendant reviendrait à nier le handicap de l’ascendant cohabitant.

Les faits

Une personne d’une quarantaine d’années vit avec son père et sa mère dans un logement social. Du 1er décembre 2006 au 31 janvier 2007, chacun a bénéficié du revenu d’intégration sociale (taux cohabitant). Le CPAS est informé de l’aboutissement d’une demande d’allocations pour personne handicapée, dans le chef de la mère (allocation mensuelle totale d’environ 1.300 € se décomposant en A.R.R de 850 € et d’une A.I. de l’ordre de 440 €) et supprime de ce fait le revenu au motif que les revenus mensuels du ménage, composés de cette seule allocation sont supérieurs au triple du R.I.S. au taux cohabitant.

Le 20 mars 2007, constatant que la demanderesse est sans ressources, le CPAS lui octroie néanmoins le R.I.S. au taux cohabitant à partir du 1er février 2007, ne tenant pas compte des ressources de la mère, qu’elle considère comme n’étant que sa belle-mère.

Quelques mois plus tard, après avoir réalisé que cette dernière était en réalité la mère de la demanderesse et non seulement sa belle-mère, le CPAS revoit son point de vue, prenant en compte l’ensemble des revenus de celle-ci (A.R.R. + A.I.).

L’intéressée introduit un recours contre cette décision.

Position des parties

La demanderesse considère que, lorsque le CPAS décide, en application de l’article 34, § 2 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 (visant la possibilité de prise en compte totale ou partielle des ressources des ascendants et descendants (au 1er degré) cohabitants) de tenir compte des ressources d’un parent, sa décision doit être motivée.

Exposant sa situation de fait, elle explique apporter une aide au quotidien à ses parents, ceux-ci ne pouvant vivre seuls vu leur âge et leur état de santé. Il s’agit d’une application pure et simple de la solidarité intergénérationnelle, qui, par la décision du Centre, se trouve mise à mal. Le raisonnement du CPAS aboutirait, pour elle, à ce qu’elle ait intérêt à vivre seule, ce qui serait néfaste.

Plus particulièrement sur l’allocation d’intégration, elle souligne que celle-ci ne constitue pas une ressource, mais un supplément qui doit permettre de faire face au handicap.

Quant au Centre, il estime avoir motivé sa décision par la circonstance que les ressources du ménage sont trois fois supérieures au revenu d’intégration au taux cohabitant. Il insiste sur le fait que la solidarité familiale doit primer la solidarité collective.

Positon du tribunal

Le tribunal rappelle les conditions d’octroi du R.I.S. et retient qu’est visée dans le cas d’espèce la condition de l’insuffisance des ressources. Il précise que ce terme permet d’englober non seulement les « revenus » du demandeur mais également tout ce dont il dispose et qui peut lui procurer un avantage : il s’agit de l’ensemble de ses moyens d’existence.

Vu les dispositions en cas de prise en compte des ressources des ascendants cohabitants, le revenu d’intégration doit être octroyé fictivement au demandeur et à ses ascendants et/ou descendants majeurs du premier degré. En l’espèce, depuis le retrait du revenu d’intégration sociale, l’intéressée ne dispose plus d’aucune ressource propre. Le tribunal considère dès lors devoir déterminer si et dans quelle mesure les ressources perçues par la mère doivent être prises en compte pour déterminer le droit à l’intégration sociale de la demanderesse.

En ce qui concerne la prise en compte des ressources de l’ascendant, il rappelle d’abord que le Centre exerce une compétence liée. Le législateur a en effet confié au tribunal du travail la compétence en matière de contestations relatives à un droit subjectif face auxquelles le juge a une compétence pleine. Il s’agit d’un contrôle de pleine juridiction. Tout ce qui est soumis à l’appréciation du CPAS peut donc être soumis au contrôle du juge. Le tribunal rappelle par ailleurs les hypothèses où le CPAS a une compétence d’appréciation discrétionnaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Il en résulte que le juge estime pourvoir non seulement contrôler la légalité de la décision mais encore apprécier lui-même les faits et se substituer au Centre en décidant de prendre en compte ou non l’ensemble ou une partie des ressources de l’ascendant cohabitant.

En l’espèce, le juge relève d’abord que la demanderesse se trouve dans une situation tout à fait particulière, vu le grave handicap de sa mère et vu les graves problèmes de santé du père (celui-ci ne bénéficiant toutefois pas d’allocation en tant que personne handicapée), problèmes qui ne lui permettent pas de prodiguer une aide utile à son épouse. Il en résulte que l’aide apportée par la demanderesse à sa mère est importante et, d’ailleurs, cette circonstance lui a valu d’être dispensée de la condition de disponibilité au travail au motif d’équité.

Le juge va suivre la position de la demanderesse en ce qui concerne la finalité des deux allocations octroyées aux personnes handicapées : si l’A.R.R. est un revenu minimum garanti destiné à compenser la perte de capacité de gain, l’A.I. a pour but de faire face à des dépenses supplémentaires issues du handicap. Suivant le Ministère public, le juge relève que prendre en compte pour le calcul des ressources l’intégralité de l’allocation d’intégration reviendrait donc à nier le handicap de l’ascendant cohabitant.

Il conclura que si, en théorie, une prise en compte partielle de l’allocation d’intégration pourrait constituer une solution, vu qu’une partie du coût lié à ce handicap est supporté à la fois par la demanderesse et par le Centre (qui a alloué à chacun la carte pharmaceutique et la carte médicale), vu le lien filial et vu l’aide induite de la présence constante et de la cohabitation, un tel apport n’est pas évaluable en argent puisqu’il dépasse le cadre strict de l’aide matérielle et entre dans le champ de l’affectif et du soutien moral.

Pour le tribunal, en conclusion, il n’y a pas lieu de décourager la solidarité familiale intergénérationnelle, qui a poussé la demanderesse à vivre dans ces conditions difficiles, et de lui refuser (même partiellement) le revenu d’intégration, en tenant compte d’une partie de l’allocation d’intégration dans les revenus du ménage.

Intérêt de la décision

Ce jugement, exemplaire dans son approche des réalités sociales arrive, par un raisonnement nuancé, à la conclusion que, si l’allocation d’intégration peut – théoriquement – être prise en compte en tant que revenu d’un ascendant cohabitant, la solution à laquelle ceci aboutirait serait inéquitable, vu la finalité des mesures de protection des personnes handicapées. Il contient également des développements intéressants sur la nature des allocations dans ce régime.

Pour une autre décision, relative à un cohabitant descendant s’étant vu, à l’âge de 21 ans, supprimer les allocations familiales majorées et accorder une A.R.R. et une A.I., voir Trib. trav. Bruxelles, 22 mai 2008, R.G. 16.142/07.


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