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Un gérant de société peut-il être considéré comme « entreprise » et ne pas être admissible à la procédure en règlement collectif de dettes ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 3 avril 2019, R.G. 2019/BU/4

Mis en ligne le vendredi 7 février 2020


Cour du travail de Liège (division Neufchâteau), 3 avril 2019, R.G. 2019/BU/4

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 avril 2019, la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) rappelle que la notion de « commerçant » reprise à l’article 1675/2 du Code judiciaire a fait place à celle d’« entreprise » au sens du Code de droit économique.

Les faits

Une requête en règlement collectif de dettes est déposée devant le Tribunal du travail de Liège le 19 décembre 2018. L’intéressé déclare des revenus de dirigeant d’entreprise de l’ordre de 2.000 euros par mois. Son endettement est de plus ou moins 129.000 euros. Il concerne trois créanciers, dont, essentiellement, la caisse d’assurances sociales.

Le tribunal du travail va rejeter la demande, la déclarant irrecevable, au motif que le demandeur a indiqué dans sa requête être entrepreneur. Il est gérant d’une SPRL et a un statut d’indépendant. Sa dette de cotisations sociales est de l’ordre de 100.000 euros.

Le tribunal conclut à son incompétence, l’intéressé ayant la possibilité de faire aveu de faillite devant le tribunal de l’entreprise.

Appel est interjeté par l’intéressé, qui a été débouté de sa demande.

La décision de la cour

La cour examine le seul point soumis dans le cadre de la recevabilité de la requête, étant de savoir si le demandeur a ou non la qualité de commerçant.

L’article 1675/2 du Code judiciaire permet à toute personne physique qui n’a pas la qualité de commerçant au sens de l’article 1er du Code de commerce d’introduire devant le juge une requête en vue d’obtenir un règlement collectif de dettes. Si elle a eu cette qualité par le passé, elle ne peut introduire ladite procédure que six mois au moins après la cessation de son commerce et, si elle a été déclarée en faillite, après la clôture de la faillite.

La notion de « commerçant » a été redéfinie en droit commercial par la loi du 15 avril 2018 portant réforme des entreprises (M.B., 27 avril 2018). Son article 254 prévoit que la notion de « commerçant » au sens de l’article 1er du Code de commerce doit désormais être comprise comme « entreprise » au sens de l’article I.1. du Code de droit économique. Le texte doit dès lors être lu comme visant toute personne physique qui n’a pas la qualité d’entreprise au sens de l’article I.1. du Code de droit économique. La notion actuelle se veut très large, se basant sur un critère « organique » ou « formel » et abandonne le critère matériel qui est celui de l’activité économique.

Le tribunal renvoie ici, pour une lecture critique de cette nouvelle notion, à la doctrine de N. THIRION et A. AUTENNE (N. THIRION et A. AUTENNE, « La nouvelle ‘’définition générale’’ de l’entreprise dans le Code de droit économique : deux pas en avant, trois pas en arrière », J.T., 2018, pp. 826 à 831) ainsi qu’à celle de H. JACQUEMIN (H. JACQUEMIN, « La fin du Code de commerce et de la théorie de la commercialité : état de la question et perspectives », J.T., 2018, p. 832). Il s’agit de couvrir tous les acteurs actifs sur le plan économique.

Au sens du Code de droit économique (article I.1., 1°, (a)), une personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant est une organisation. Le caractère professionnel et indépendant de l’activité exercée est la pierre d’angle, celui-ci supposant son caractère durable. Pour une personne physique, il implique le concept d’organisation, sans autres conditions. Y sont opposées l’activité d’amateur ou l’activité gratuite, ainsi que de la gestion normale du patrimoine personnel (les exemples étant donnés de la simple souscription, de l’acquisition ou de la détention d’actions, de titres ou de parts dans une société dotée de la personnalité juridique).

La cour renvoie encore longuement aux travaux préparatoires, selon lesquels les activités durables dans le cadre de l’économie collaborative sont également comprises dans la définition, pour autant qu’elles constituent une activité professionnelle. Dès lors que cette activité comprend un réseau qui réunit l’offre et la demande afin d’ouvrir la valeur des biens et services sous-utilisés et que ceci n’est pas fait pour accumuler un revenu, il ne sera plus question d’une activité professionnelle, et donc non plus d’une entreprise (Ch., 2017-2018, doc. n° 54-2828/001).

Toute activité d’une personne physique ne tombera cependant pas dans la notion.

Sont expressément visés dans les travaux préparatoires les mandataires de société, le terme « organisation » se concevant dans le chef de la seule personne physique et par rapport au contenu de l’activité professionnelle qu’elle exerce et qui est inhérente à l’exercice de ce mandat. Cette forme d’organisation d’entreprise (personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant et pouvant donc concerner le mandataire de société) n’est cependant pas soumise à toutes les obligations qui s’imposent aux entreprises.

Ainsi, sur le plan comptable. Toute entreprise qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant en Belgique (entreprise telle que visée au sens de l’article I.1., 1°, (a)) est soumise à l’obligation comptable. Une dérogation existe cependant pour l’exercice d’un ou de plusieurs mandats d’administrateur, la cour renvoyant, pour cette notion, aux administrateurs et mandataires qui exercent une fonction similaire en tant que gérant, représentant fixe d’un administrateur-personne morale, membre d’un comité de direction ou administrateur-délégué à la gestion journalière. Par contre, le gérant ou l’associé d’une organisation sans personnalité juridique est pour sa part tenu à ces obligations comptables (simplifiées).

Il s’agit d’une exclusion spécifique concernant l’obligation comptable formelle, de telle sorte que l’on ne peut soutenir que les mandataires de société seraient exclus de l’obligation comptable parce qu’ils n’exercent pas une activité professionnelle à titre indépendant et ne seraient donc pas des entreprises.

Pour la cour, ce texte démontre a contrario que ces mandataires peuvent être visés par la notion générale d’entreprise. Celle-ci se décline en deux types d’entreprises, étant l’entreprise soumise à inscription et celle soumise à obligation comptable. Pour la cour, il faut, pour vérifier si la qualification d’entreprise peut être retenue pour les mandataires de société, procéder à une analyse concrète des circonstances de la cause (renvoyant à une abondante jurisprudence, dont C. trav. Bruxelles, 9 octobre 2018, R.G. 2018/BB/12 – inédit).

En l’espèce, l’appelant considère que sa fonction de gérant ne peut être qualifiée d’entreprise (absence d’inscription à la Banque-Carrefour à titre personnel, absence d’assujettissement à la TVA, perception de revenus qualifiés de « revenus de dirigeant d’entreprise » soumis au précompte professionnel et absence de développement d’une organisation en nom propre distincte de celle de la société dont il est mandataire).

Pour la cour, ces indices ne sont pas pertinents pour l’analyse de la condition litigieuse.

Elle rejette l’argumentation de l’appelant, considérant essentiellement qu’il est associé et mandataire actif, rémunéré d’une société elle-même active, qu’il exerce effectivement, vu qu’il s’agit de sa seule activité et qu’elle lui procure des revenus, une activité professionnelle en étant assujetti au statut social des travailleurs indépendants. La cour retient encore que son passif est essentiellement constitué de sa dette vis-à-vis du régime (ainsi qu’un découvert financier sur un compte professionnel). Il répond donc à la définition de l’article I.1., 1°, (a), du Code de droit économique. Il n’est en conséquence pas admissible à la procédure de règlement collectif de dettes.

Intérêt de la décision

Cet arrêt donne la notion d’entreprise au sens de l’article 1675/2 du Code judiciaire, s’agissant de l’admissibilité à la procédure de règlement de dettes. Celui-ci dispose en effet que la requête visant à obtenir un règlement collectif de celles-ci peut être introduite par toute personne physique qui n’a pas la qualité de commerçant au sens de l’article 1er du Code de commerce, et ce si elle n’est pas en état, de manière durable, de payer ses dettes exigibles ou encore à échoir et dans la mesure où elle n’a pas manifestement organisé son insolvabilité.

Il y a lieu, depuis la loi du 15 avril 2018 portant réforme des entreprises (M.B., 27 avril 2018, disposition entrée en vigueur le 1er novembre 2018) de passer de la notion de « commerçant » au sens de l’article 1er du Code de commerce à celle d’« entreprise » au sens de l’article I.1. du Code de droit économique.

Cet arrêt, dûment documenté sur la question, rejoint la jurisprudence selon laquelle la qualification d’entreprise, dans l’hypothèse des mandataires de société, doit être analysée concrètement sur la base des circonstances de la cause.

La cour cite encore un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 15 décembre 2016 (C.J.U.E., 15 décembre 2016, Aff. n° C-256/15, DRAGO NEMEC c/ REPUBLIQUE DE SLOVENIE), arrêt repris dans une décision de la Cour d’appel de Mons du 5 février 2019 (R.G. 2018/RQ/24), qui a considéré que la notion d’entreprise repose souvent sur le critère d’organisation et a conclu qu’une activité professionnelle doit être exercée de manière structurée et stable pour répondre à la notion d’entreprise-organisation. La Cour de Justice oppose dans cet arrêt la notion d’« organisation » à celle de « particulier » (un des critères déterminants étant le fait que la personne en cause agisse sous son nom commercial ou professionnel et que la transaction conclue donne lieu à l’établissement d’une facture) et la notion de « structurée et stable » à celle de « ponctuelle et isolée ».


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