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Saisine du juge en cas de décisions administratives successives en matière de C.P.A.S.

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 9 avril 2019, R.G. 18/1.231/A et 18/1.554/A

Mis en ligne le vendredi 7 février 2020


Tribunal du travail du Hainaut (division Mons), 9 avril 2019, R.G. 18/1.231/A et 18/1.554/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 9 avril 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) reprend les diverses hypothèses déterminant l’étendue de la saisine du juge en cas de décisions administratives successives, certaines étant contestées et d’autres non.

Les faits

Deux recours sont introduits contre des décisions d’un C.P.A.S., ayant pour origine la contestation d’une cohabitation, celle-ci ayant des effets sur le montant perçu par la demanderesse au titre de revenu d’intégration.

Cette dernière a quatre enfants et a perçu un revenu d’intégration sociale au taux chef de famille, suite à sa séparation déclarée avec le père de ceux-ci.

Le C.P.A.S. a constaté la poursuite de la cohabitation (aucun recours n’étant introduit sur cette décision elle-même).

Une nouvelle déclaration de séparation est faite quelques mois plus tard par la demanderesse à la présente cause et le revenu d’intégration sociale est refusé dans un premier temps, au motif de l’existence de revenus (l’intéressée étant en règlement de dettes et percevant un pécule de médiation).

Des décisions sont encore prises ultérieurement, constatant un défaut de collaboration, ainsi que des doutes sur la réalité de la séparation du couple et concluant, en conséquence, au refus du droit au revenu d’intégration au taux famille à charge.

Des recours sont introduits contre deux des décisions rendues (mais non contre la dernière).

La décision du tribunal

Pour le tribunal, se pose la question de l’étendue des pouvoirs du juge en cas de décisions successives. Il renvoie à la doctrine (H. MORMONT et K. STANGHERLIN, « La procédure judiciaire », Aide sociale – Intégration sociale. Le droit en pratique, (dir.) H. MORMONT et K. STANGHERLIN, Bruxelles, La Charte, 2011, p. 743).

Plusieurs hypothèses peuvent en effet se présenter, étant que (i) les deux décisions qui se sont succédé ont le même objet : (ii) elles statuent sur une même aide périodique mais pour une période distincte et (iii) elles ont des objets totalement différents.

Dans la première hypothèse, si seule la première décision a fait l’objet d’un recours recevable, l’adoption de la seconde est sans effet sur les pouvoirs du juge, qui va trancher l’objet commun de celles-ci. Au cas où seule la seconde décision a fait l’objet d’un recours, la recevabilité de la demande requiert que cette seconde décision soit nouvelle, c’est-à-dire consécutive à un nouvel examen de celle-ci et qu’elle ne soit pas purement confirmative.

Dès lors que deux décisions se sont, par ailleurs, succédé et qu’elles statuent sur une même aide mais pour une période distincte, si seule la première a fait l’objet d’un recours recevable, le juge peut trancher la contestation depuis la date d’ouverture du litige jusqu’au jour du prononcé (le tribunal soulignant que cette période n’est pas limitée à la date d’adoption de la seconde décision). C’est un enseignement de la Cour de cassation en matière A.M.I. (Cass., 5 avril 1982, n° 3451). Si seule la seconde a été contestée en justice, l’absence de recours contre la première ne rend pas la demande irrecevable, le juge n’étant cependant saisi que de la période visée à partir de la seconde et non de la première décision.

Enfin, si les objets de deux décisions successives sont totalement différents, la saisine du juge est limitée à l’objet de la décision contestée et n’est pas influencée par une autre. Ceci sans préjudice d’une extension de la demande (demande nouvelle en application de l’article 807 du Code judiciaire).

Par ailleurs, renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Mons du 1er février 2017 (C. trav. Mons, 1er février 2017, n° 2016/AM/195), le tribunal estime que sa saisine s’étend jusqu’au prononcé de la décision judiciaire et qu’elle n’est pas limitée par une décision ultérieure que prendrait le C.P.A.S.

Il constate en l’espèce que l’absence de recours de l’intéressée contre la décision de refus (décision finale) ne limite pas la période litigieuse. Celle-ci fait en effet suite à deux décisions, qui ont elles-mêmes été contestées. La troisième ayant le même objet et le même fondement que la précédente (suspicion de cohabitation), la période litigieuse a pris cours à ce moment et est toujours en cours.

Le tribunal en vient ensuite aux conditions générales d’octroi du revenu d’intégration sociale et à l’incidence de la cohabitation sur le montant de celui-ci, la partie des ressources de la personne cohabitante qui dépasse le montant du revenu d’intégration prévu pour la catégorie de bénéficiaires visée à la loi devant être prise en considération.

De nombreux indices, en l’espèce, viennent étayer la situation de fait, le père des enfants, compagnon de la demanderesse, ayant été hospitalisé pendant de longues périodes. Les discussions sur les réseaux sociaux sont examinées, le tribunal soulignant cependant que la circonstance que la demanderesse entretienne une relation affective – qu’elle soit longue ou courte, stable ou houleuse – avec un tiers n’est pas un critère de cohabitation, dès lors que celui-ci réside effectivement à une adresse distincte.

Cependant, le tribunal nuance dans le temps, étant qu’à partir d’une date donnée, l’effectivité de la séparation et l’absence de vie sous le même toit sont établies.

Il tranche une dernière question, étant l’incidence éventuelle d’une sanction administrative prise contre l’intéressée en 2017 (soit avant la période pour laquelle le revenu d’intégration est accordé) sur la prise de cours du droit.

Cette sanction est prévue à l’article 30, § 1er, de la loi du 26 mai 2002. Le demandeur d’intégration sociale sanctionné reste cependant bénéficiaire du droit à l’intégration sociale, puisque seul le paiement de son revenu d’intégration est suspendu. Il peut dès lors toujours bénéficier du droit à l’intégration sociale par l’emploi et des services ou avantages réservés aux personnes à qui ce droit est reconnu. En cas de besoin, le bénéficiaire du droit à l’intégration sociale qui a fait l’objet d’une sanction peut également formuler une demande d’aide sociale.

En l’occurrence, il s’agit d’une suspension de six mois prononcée « en cas de nouvelle demande aboutissant à un octroi ». Cette décision n’a pas été contestée.

Vu l’importance de la période et l’incidence sur la situation de la demanderesse, le tribunal pose diverses questions et statue à réserver sur ce point. Il s’agit essentiellement de demander au C.P.A.S. les mesures qui devraient être prises pour garantir le droit de l’intéressée et de ses quatre enfants de vivre dans des conditions conformes à la dignité humaine pendant la période de sanction.

Intérêt de la décision

C’est par le rappel de l’étendue de la saisine judiciaire que ce jugement mérite d’être pointé.

Renvoyant en effet à la doctrine autorisée sur la question, le tribunal rappelle qu’en cas de décisions administratives successives, les pouvoirs du juge vont varier, d’une part selon l’objet des deux décisions et d’autre part suivant que c’est la première ou la seconde qui a été contestée.

Non seulement la question a une incidence sur la limite de la saisine dans le temps, mais également sur la recevabilité du recours judiciaire Les deux plans doivent dès lors être examinés.


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