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Non-délivrance d’une quittance constatant le paiement de la rémunération : caractère irréfragable de la présomption légale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 février 2019, R.G. 2017/AB/230

Mis en ligne le jeudi 30 janvier 2020


Cour du travail de Bruxelles, 6 février 2019, R.G. 2017/AB/230

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles, saisie d’une question de preuve du paiement de la rémunération de la main à la main, rappelle l’exigence légale de la délivrance d’une quittance – quittance qui doit être certaine – et conclut que, à défaut de respect des obligations correspondantes, il y a absence de paiement de la rémunération.

Les faits

Une employée, engagée en qualité d’esthéticienne depuis le 1er octobre 2013, est licenciée en mai 2014 moyennant un préavis à prester. Une rupture d’un commun accord intervient rapidement après le licenciement et des paiements sont effectués, au titre de salaire et de solde de pécule de vacances.

L’intéressée introduit une procédure devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, demandant essentiellement, au titre de réparation en nature du dommage résultant du non-paiement de la rémunération, des montants pour les mois d’octobre 2013 à mai 2014, sous déduction d’un net versé sur son compte bancaire après la rupture. Elle sollicite également réparation du dommage subi suite au non-paiement du pécule de vacances (complet), ainsi que des frais de déplacement.

La décision du tribunal

Par jugement du 28 novembre 2016, le tribunal du travail condamne la partie défenderesse au paiement des sommes réclamées par l’employée, s’agissant essentiellement de la réparation du préjudice subi suite au non-paiement du salaire pour les mois ci-dessus, ainsi que des pécules et frais de déplacement.

L’employeur interjette appel.

La décision de la cour

Le nœud du litige, relatif aux arriérés de rémunération, pécules et frais de déplacement, réside dans le fait que l’intéressée prétend n’avoir jamais été payée pendant le cours du contrat de travail, alors que l’employeur affirme avoir payé la rémunération de la main à la main. La cour examine dès lors l’obligation de délivrer une quittance, ainsi que les conséquences qu’y attache la loi.

La cour reprend l’article 5, § 1er, alinéa 3, de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs. Cette disposition impose à l’employeur de soumettre à la signature du travailleur une quittance de paiement. Elle reprend la définition juridique de la quittance, étant l’écrit par lequel un créancier déclare qu’il a perçu de son débiteur une somme d’argent en paiement de tout ou partie de la dette dont ce dernier était redevable. Cette quittance ne doit pas revêtir une forme particulière, seul étant exigé qu’elle soit écrite et qu’elle soit signée par le travailleur. Tout document peut dès lors valoir quittance s’il remplit ces conditions. La cour précise encore que la déclaration du travailleur selon laquelle il a reçu une somme d’argent déterminée doit être certaine.

En l’occurrence, seules étant produites des copies de feuilles de paie avec le décompte de la rémunération et la signature de l’intéressée à côté du montant net, sans aucune autre mention manuscrite, la cour retient que ces documents ne constituent pas des quittances au sens de la loi, les feuilles de paie ne précisant par ailleurs pas le mode de paiement de la rémunération.

Le seul fait d’apposer sa signature sur une feuille de paie peut avoir plusieurs significations (accusé de réception de la feuille de paie, notamment).

Vu l’absence de quittance constatée par la cour, celle-ci reprend ensuite l’article 47bis de la même loi, telle qu’en vigueur depuis le 1er juillet 2011. Cette disposition prévoit qu’en cas de violation de l’obligation légale, la rémunération est considérée comme n’étant pas payée. L’employeur plaidant qu’il a payé les rémunérations en cause, la cour ajoute que, à supposer que ceci soit le cas, ce paiement est intervenu en violation de l’article 5 de la loi, qui impose la signature de la quittance par le travailleur.

L’appelante plaidant encore qu’il s’agit d’une présomption réfragable de non-paiement et qu’elle peut apporter la preuve contraire (question sur laquelle la partie intimée soutient l’inverse), la cour rappelle l’Exposé des motifs du projet de loi (I) introduisant le Code pénal social, ainsi que du projet de loi (II) comportant des dispositions de droit pénal social (Doc. parl., Ch., 52-166/001 et 1667/001, pp. 326 et 327). Elle reprend l’extrait de ceux-ci, qui renvoient à un arrêt de la Cour de cassation du 14 avril 1986 (Cass., 14 avril 1986, n° 7355). En vertu de cette jurisprudence rendue en matière d’avantages en nature, en cas de non-respect des formalités prescrites par l’article 6, § 1er, alinéa 2, de la loi du 12 avril 1965 auquel est subordonné le paiement de la rémunération en nature, les avantages en nature ne peuvent être considérés comme de la rémunération. L’article 10 généralise ce raisonnement et l’étend à une série de manquements, notamment si l’employeur ne paie pas la rémunération selon les conditions légales. Dans ce cas, elle est considérée comme n’étant pas payée. Des exemples sont donnés, pour ce qui est des hypothèses de non-respect (i) des règles imposant le paiement de la rémunération en espèces ayant cours légal en Belgique, (ii) des règles régissant le paiement de la rémunération en nature, (iii) de celles concernant les conditions du paiement de la main à la main et (iv) du paiement en monnaie scripturale, notamment.

La valeur des avantages en nature ne peut avoir un caractère rémunératoire, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque la partie de la rémunération correspondante n’a pas été préalablement évaluée par écrit et portée à la connaissance du travailleur (la cour renvoyant également à Cass., 15 mars 2004, n° C.03.0444.N).

La jurisprudence de la Cour du travail de Liège a admis le caractère irréfragable de la présomption de non-paiement de rémunération, la cour renvoyant par ailleurs à la doctrine de A. MORTIER (A. MORTIER, « L’impact de l’article 47bis de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs, au regard de la problématique du défaut de quittance du paiement de la rémunération de la main à la main », obs. sous C. trav. Liège, 13 janvier 2016, R.G. 14/662/A, J.L.M.B., 2016/37, p. 1746), pour qui il y aurait plutôt une fiction juridique.

Pour la Cour du travail de Bruxelles, il ne peut en tout cas s’agir d’une présomption réfragable. C’est en effet, eu égard aux règles générales régissant la charge de la preuve, à l’employeur d’établir le paiement. Pour la cour, il serait inutile d’introduire dans la loi une présomption réfragable qui aurait pour effet de faire reposer la charge de la preuve sur l’employeur, alors que tel est déjà le cas en l’absence de celle-ci.

La cour du travail confirme donc le caractère irréfragable de la présomption, admettant également qu’il peut s’agir d’une fiction. En tout état de cause, la rémunération doit en l’espèce être considérée comme n’étant pas payée.

La cour examine ensuite les montants réclamés. Le dossier n’établissant pas que la rémunération a fait l’objet des retenues de sécurité sociale et de précompte professionnel, la cour condamne l’employeur au paiement du montant brut et non du net.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles est important, dans la mesure où il confirme que le mécanisme de l’article 47bis de la loi du 12 avril 1965 peut s’analyser en une présomption ou en une fiction. S’il s’agit d’une présomption, celle-ci a un caractère irréfragable, la cour rappelant à juste titre que, si elle pouvait être renversée, cette présomption ne serait d’aucune utilité, puisqu’en tout état de cause, il appartient à l’employeur d’établir qu’il a payé la rémunération.

Cet arrêt rejoint, dès lors, la jurisprudence de la Cour du travail de Liège selon laquelle, dans deux arrêts du 13 janvier 2016 (R.G. 2015/AL/162 et 2014/AL/662, publiés l’un au J.T.T., p. 288 et l’autre au J.L.M.B., 2016/37, p. 1746), il y a présomption irréfragable de non-paiement de la rémunération. S’il est plaidé que celle-ci aurait malgré tout été payée, mais que la violation des obligations légales est constatée, il faut conclure au non-paiement, la preuve contraire ne pouvant être apportée.


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