Terralaboris asbl

Conditions d’indemnisation de la veuve, en cas de décès survenu alors que le FMP avait préalablement reconnu l’existence d’une maladie professionnelle

Commentaire de C. trav. Brux., 25 juin 2007, R.G. 48.432

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Bruxelles, 25 juin 2007, R.G. n° 48.432

TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan

Dans un arrêt du 25 juin 2007, la Cour du travail de Bruxelles a rappelé les principes régissant l’hypothèse où la maladie a entraîné la mort de la victime. Elle a également statué sur la question de la motivation de la décision administrative.

Les faits

Monsieur Z., de nationalité italienne, décéda à l’âge de 81 ans en Italie. Il avait, dans sa vie professionnelle, travaillé en Belgique et souffrait de silicose, maladie pour laquelle il avait été indemnisé sur la base d’un taux de 60% depuis février 1999.

Le décès intervenant en décembre 2002, sa veuve introduisit une demande de réparation.

Celle-ci fut rejetée au motif suivant : « le décès n’a pas été provoqué ou influencé par la maladie professionnelle (Article 33 des lois coordonnées) ».

La position du tribunal

La veuve introduisit un recours contre cette décision, demandant condamnation du FMP au paiement de l’allocation annuelle prévue par l’article 33 des lois coordonnées, la rente de veuve au taux préférentiel, ainsi que l’indemnité pour frais funéraires.

Le tribunal déclara la demande recevable mais non fondée et en débouta l’intéressée.

La position des parties en appel

La demanderesse originaire demandait à titre principal de dire pour droit que la maladie professionnelle (silicose) était la cause ou l’une des causes du décès de son mari et, en conséquence, de condamner le Fonds à lui payer les indemnités ci-dessus (elle demandait de réserver à statuer sur la rente de veuve au taux préférentiel). A titre subsidiaire, elle sollicitait la production de la totalité du dossier médical du Fonds et la désignation d’un expert.

L’intéressée considérait, en premier lieu, que la décision administrative était illégale, pour absence de motivation (violation de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs). Elle tirait comme conséquence de cette illégalité qu’il y avait lieu de prononcer la nullité de la décision administrative, celle-ci ne pouvant, de ce fait, légalement fonder le rejet de la demande d’indemnisation. Elle poursuivait que, lorsque la décision administrative est annulée, le juge devait se prononcer sur le droit aux prestations et vérifier si l’intéressée remplissait les conditions pour en bénéficier.

Sur le fond, elle faisait valoir qu’en cas de décès, le droit à la réparation existe dès qu’il y a une influence – même indirecte – de la maladie professionnelle sur le décès. Le lien de causalité ne peut être écarté que lorsqu’il est certain que le décès serait survenu dans les mêmes délais et circonstances si la victime n’avait pas été atteinte de la maladie.

Elle poursuivait que le lien de causalité peut être prouvé par les ayants droit par présomptions de l’homme, à savoir des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes. Elle considérait que le lien causal ressortait de plusieurs éléments, étant, d’abord l’aggravation fulgurante du taux de la maladie professionnelle durant les dernières années de la vie du mineur, un rapport médical du médecin local, retenant comme cause du décès une insuffisance respiratoire et cardiaque dans un contexte de cancer pulmonaire dû à la silicose, ainsi que l’existence vraisemblablement déjà connue par le service médical d’un cancer du poumon, lorsque le Fonds fut amené à indemniser, en 2002, sur la base du taux de 60% avec effet rétroactif au 5 février 1999 – raison pour laquelle elle sollicitait la production du rapport médical.

Enfin, elle faisait valoir que la littérature médicale admet de manière générale que la silicose est un facteur de risque du cancer du poumon et que, dans le cadre d’une silicose chronique compliquée, des problèmes d’insuffisance respiratoire et de cœur peuvent surgir.

Quant au FMP, il considérait que la silicose n’intervenait nullement dans la cause du décès, celle-ci étant une hématémèse massive ayant entraîné une hémorragie gastro-intestinale.
Il demandait également confirmation du jugement, qui avait écarté le moyen d’annulation de la décision administrative, et ce sur la base d’une jurisprudence qu’il avait déposée, selon laquelle un acte administratif non correctement motivé ne peut être annulé que s’il est établi que l’absence de motivation préjudicie le destinataire de l’acte, le préjudice résidant dans le fait de ne pas pouvoir apprécier l’opportunité d’un recours en justice contre l’acte administratif querellé.

Pour le FMP, l’appelante n’avait subi aucun préjudice, puisqu’elle avait introduit un recours contre la décision, et ce sans se tromper d’objet. Enfin, il contestait que le lien entre silicose et cancer pulmonaire ait été établi par la littérature médicale.

La position de la Cour

La cour trancha, ainsi, d’abord une question de motivation de la décision et, ensuite, le fond de l’affaire.

Sur la motivation, reprenant les principes, elle précisa que le juge du fond doit apprécier si la motivation de l’acte administratif est adéquate et que lors de ce contrôle il ne peut violer la notion légale de l’obligation de motiver incombant aux autorités (Cass., 11 septembre 2003, R.G. n° C010114N, notamment).

En l’espèce, elle releva que les motifs ne manquaient pas de clarté, qu’ils étaient en rapport avec la demande de réparation introduite et étaient de nature à en justifier le refus. Elle précisa que la décision ne devait pas reprendre les éléments du dossier médical du défunt et, s’appuyant sur un arrêt de la Cour du travail de Liège en matière AMI (C. trav. Liège, 22 septembre 2005, R.G. n° 32775-04), elle adopta la position selon laquelle, lorsque des données médicales sont en jeu, une motivation succincte d’une décision administrative peut être suffisante eu égard au respect de la vie privée et au secret professionnel. La décision prise, conforme à l’article 4 de la loi, devait être approuvée.

Sur le fond, reprenant l’article 33 des lois coordonnées selon lequel si la maladie a entraîné la mort de la victime, il y a lieu de se reporter aux dispositions correspondantes de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail, elle releva que les ayants droit ont la charge de prouver le lien de causalité. Il n’est pas requis que la maladie professionnelle soit la cause unique du décès, et lorsqu’il y a une influence - même indirecte – de cette maladie sur le décès, celle-ci est réputée être responsable de l’entièreté du dommage subi par les ayants droit, principe découlant, pour la Cour, de la réparation forfaitaire. Quant à la preuve, celle-ci peut résulter de simples présomptions de l’homme.

En examinant les éléments factuels du dossier, la Cour aboutit à la conclusion que la contestation médicale élevée par l’appelante n’était étayée par aucune pièce qui soit de nature à justifier la désignation d’un expert, le Fonds établissant qu’il avait accordé un taux de 60% en raison d’une aggravation importante de la maladie professionnelle mais qu’il n’était pas établi que le cancer – connu à l’époque – était dû à celle-ci, ni que le décès avait été provoqué ou influencé par ladite maladie.

Intérêt de la décision

L’intérêt est double. D’une part, la Cour rejoint la jurisprudence qui considère que les décisions administratives avec contenu médical sont suffisamment motivées lorsqu’elles sont rédigées dans les termes ci-dessus et, d’autre part, elle rappelle utilement les principes régissant la preuve du lien de causalité entre une maladie professionnelle reconnue et le décès de la victime.


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