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Abandon de poste et rupture du contrat de travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 7 juin 2019, R.G. 18/390/A

Mis en ligne le vendredi 10 janvier 2020


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 7 juin 2019, R.G. 18/390/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 juin 2019, le Tribunal du travail de Liège (div. Dinant) reprend les principes permettant de retenir qu’un abandon de poste peut entraîner la rupture du contrat ou la résolution judiciaire de celui-ci, constatée par l’employeur.

Les faits

Un commis de cuisine est engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée en avril 2017. En août, soit environ quatre mois plus tard, l’employeur lui envoie un courrier faisant état d’un abandon de poste ainsi que de non respect du personnel et lui demande d’envoyer sa lettre de démission. Le travailleur va ensuite adresser différents certificats médicaux, le couvrant jusqu’au 8 octobre 2017. Entre-temps, son organisation syndicale conteste l’abandon de poste et demande le paiement du salaire garanti (outre la délivrance des fiches de paie).

Le 20 septembre, le travailleur envoie sa lettre de démission moyennant préavis de deux semaines, préavis qui se terminera à la fin de la période d’incapacité de travail.

Une procédure est introduite en paiement du salaire garanti (ou de dommages et intérêts équivalents) ainsi qu’en délivrance des fiches de paie.

La décision du tribunal

La première question posée est celle de l’abandon de poste, qui, pour l’employeur est un acte équipollent à rupture.

Pour le tribunal, qui rappelle la doctrine (L. DEAR, « La théorie de l’acte équipollent à rupture », in Le Droit du travail dans tous ses secteurs, Anthemis, Liège, 2008, p.167), en cas d’abandon de poste établi – quod non – il y a manquement mais ce constat n’implique pas en soi la volonté de rompre. La seule constatation que le travailleur n’a plus fourni de prestations de travail ne peut permettre à l’employeur de considérer que celui-ci a rompu.

En outre, le tribunal retient en l’espèce la transmission de certificats médicaux, démarche qui est en contradiction avec une volonté de rompre le contrat. Par ailleurs, l’employeur a émis des fiches de paie et est constatée également via le document C4, la rupture à une date ultérieure. L’abandon de poste ne peut être retenu.

L’employeur se fonde également, pour justifier le non-paiement du salaire garanti, sur le fait que le contrat avait été résolu (par le constat de l’absence du travailleur). Il demande au tribunal de prononcer la résolution judiciaire à cette date.

La figure de la résolution judiciaire repose dans l’article 1184 du Code civil, auquel l’article 32 de la loi du 3 juillet 1978 permet de renvoyer, puisque sont admis les modes généraux d’extinction des obligations.

Dans la jurisprudence de la Cour de cassation, il est admis de longue date que les parties peuvent demander au juge la résolution judiciaire du contrat de travail par application de cet article (le tribunal renvoyant à Cass., 26 octobre 1981, 6382 notamment).

Ce mode de rupture suppose cependant une inexécution grave des obligations contractuelles, qui ne s’identifie pas avec la faute grave de l’article 35 de la loi du 3 juillet 1978. Cette inexécution doit être imputable au débiteur de l’obligation.

La résolution opérant avec effet rétroactif, en principe à la date de conclusion du contrat, figure une exception dans l’hypothèse où les prestations effectuées ne peuvent être restituées. Ceci est le cas dans la matière des prestations de travail. La Cour de cassation a par conséquent admis dans ces contrats que la résolution n’opère avec effet rétroactif qu’à partir du moment où il n’y a plus eu poursuite de l’exécution et où, dès lors, il n’y pas lieu à restitution (le tribunal renvoyant à l’arrêt du 25 février 1991, 8971).

Pour pouvoir être retenue, la résolution doit être demandée en justice.

Le tribunal rappelle cependant la jurisprudence de la Cour de cassation dans deux arrêts du 2 mai 2002 (Cass., 2 mai 2002, C.99.0277.N et C.01.0185.N) où celle-ci a posé le principe qu’une partie à un contrat synallagmatique peut décider de sa propre autorité et à ses propres risques de ne plus exécuter ses obligations et de notifier à son cocontractant qu’elle considère le contrat résolu. L’appréciation de la régularité de cette décision est soumise au contrôle du juge par l’introduction ultérieure d’une demande tendant à la résolution judiciaire. Le juge peut alors décider qu’eu égard au manquement de la partie adverse, la partie contractante n’a pas commis de faute en considérant unilatéralement le contrat comme résolu.

Il y a dès lors contrôle judiciaire postérieur, l’auteur de la rupture ayant notifié celle-ci « à ses propres risques », puisque la résolution du contrat peut ne pas être retenue par le juge. La doctrine (J. CLESSE & F. KEFER, « Contrats de travail – Examen de jurisprudence (2002-2011) », R.C.J.B., 2012, p.272) considérant que ce faisant le cocontractant a engagé sa responsabilité contractuelle, non seulement vu que sa prétention est mal fondée mais également vu l’inexécution injustifiée de ses propres obligations durant la période précédant la décision judiciaire, il s’expose dès lors à des dommages et intérêts.

Ce rappel des principes étant fait, le tribunal considère que la résolution judiciaire ne peut être prononcée, d’autant qu’elle requiert une inexécution grave des obligations contractuelles, celle-ci n’étant pas constatée en l’espèce, puisque le travailleur a quitté son travail pour des raisons médicales.

Après avoir fait droit à la demande de salaire garanti, le tribunal examine encore la question relative à la demande des documents sociaux et notamment à une fiche de paie rectificative. En vertu de l’article 15 de la loi du 12 avril 1965, l’employeur doit délivrer un décompte lors de chaque règlement définitif. Pour le tribunal, ceci implique que s’il effectue un paiement à la suite d’une condamnation, il doit délivrer à nouveau une fiche de paie. Cette action, en vue d’obtenir la délivrance des documents sociaux, n’est pas une action en exécution du contrat de travail. Il peut dès lors être fait droit à la demande d’astreinte formée par le travailleur en vue d’obtenir ce document.

Intérêt de la décision

Les parties se sont opposées, dans cette affaire où les circonstances de la rupture sont relativement simples, sur deux arguments avancés par l’employeur aux fins d’être exonéré de l’obligation du paiement du salaire garanti.

A été invoqué d’une part un abandon de poste, mode de rupture sur lequel le tribunal répondu en droit, étant que, même s’il est établi, il y a manquement contractuel mais ce constat n’implique pas en soi la volonté de rompre.

Par ailleurs, le tribunal a réservé des développements assez fouillés sur la question de la résolution judiciaire, également invoquée par l’employeur pour être dispensé du respect de cette obligation.

Il est fait référence à la jurisprudence de la Cour de cassation dans ses deux arrêts du 2 mai 2002, où elle a admis que le contrat n’était point résolu de plein droit en vertu de l’article 1184, alinéa 2 du Code civil, la résolution devant être demandée par le juge. Ceci ne fait pas obstacle à ce qu’une partie prenne le risque « de sa propre autorité et à ses propres risques » de ne plus exécuter ses obligations et de notifier à son cocontractant qu’elle considère le contrat résolu, chose qui devra ultérieurement être soumise à l’appréciation du tribunal. Celui-ci pourra – on non – prononcer la résolution judiciaire. Le tribunal renvoie très judicieusement à la doctrine de J. CLESSE et F. KEFER sur la question, étant que ce faisant la partie qui dénonce la résolution du contrat à tort engage sa responsabilité contractuelle. Des dommages et intérêts peuvent dès lors être réclamés en justice.


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