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Transfert d’entreprise sous autorité de justice : droits du personnel transféré

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 6 mai 2019, R.G. 16/2.628/A

Mis en ligne le vendredi 27 décembre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 6 mai 2019, R.G. 16/2.628/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 6 mai 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que la procédure de transfert prévue par la C.C.T. n° 102 impose un certain formalisme, sur le plan des obligations d’information et de consultation des travailleurs concernés par la reprise. Dès lors que la procédure est menée à bien, le personnel repris est celui dont la liste a été déposée au tribunal de commerce.

Les faits

Une société, active dans le secteur des titres-services, est mise en réorganisation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Liège du 30 septembre 2014. Une offre de reprise du fonds de commerce, des baux et d’une partie du personnel est faite par une autre société, active dans le secteur. Des tractations interviennent afin de finaliser le transfert. Les travailleurs concernés par celui-ci signent un document présenté par le mandataire de justice (« procédure de transfert sous autorité de justice de la SPRL »). Leur accord est demandé sur la teneur du projet. Est ensuite adressée au greffe du tribunal la copie de conventions de transfert dûment signées, avec une liste du personnel (transféré et non transféré). La convention prévoit que cette liste fait partie intégrante de son texte.

Une Dimona d’entrée est faite par le cessionnaire pour la travailleuse demanderesse à la présente cause. Elle preste pendant 4 jours et cette Dimona est ensuite annulée. Le mandataire de justice confirme pour sa part qu’elle figure dans la liste du personnel. Vu l’annonce de la perte de son travail, l’intéressée se rend chez son médecin et un premier certificat médical est remis. L’incapacité de travail sera prolongée et deviendra une incapacité de longue durée (s’étalant sur une période de près de 2 ans). La société cessionnaire lui fait part, via deux courriers, qu’elle ne comprend pas la raison de l’envoi de ces certificats, dans la mesure où elle ne ferait pas partie du « payroll ».

Une contestation intervient et l’organisation syndicale réagit. En fin de compte, une procédure est introduite devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Celui-ci est saisi de l’application de deux corps de règle, étant d’abord le mécanisme de la C.C.T. n° 102 et les règles en matière de transfert qu’elle contient.

Il examine d’abord le respect du formalisme de la C.C.T. n° 102 (information et consultation des travailleurs concernés par la reprise). Le repreneur peut, dans le cadre de ce mécanisme particulier, choisir les travailleurs qui seront repris, conformément à l’article 12 du texte. Sur le plan formel, les obligations imposées par la C.C.T. ont dès lors été respectées. Le tribunal constate que la question posée est uniquement de déterminer si l’intéressée faisait partie des travailleurs repris dans le cadre du transfert, étant de décider s’il y a eu ou non transfert du contrat.

Deux textes sont produits au dossier, le premier étant la déclaration signée par le personnel (dont la demanderesse) dans le cadre de la procédure de consultation et d’information – document qui fait partie de la P.R.J. – et le second étant le texte de la convention de transfert qui a été adressé ensuite au greffe du tribunal. Les deux listes ne sont pas identiques.

La convention de transfert à destination du tribunal de commerce précise que, sur les 67 personnes occupées par le cédant, et ce sur deux sites de la région liégeoise, le cessionnaire reprend 54 contrats. Il s’agit de personnes occupées par le cédant au jour de la prise d’effet de la convention. Ceux qui ne font pas partie de ce transfert sont uniquement les malades « de longue durée ». Une liste est jointe (double liste). Il est précisé, parmi les obligations du cessionnaire, que celui-ci s’engage à supporter la charge du personnel à dater de la prise de cours de la cession, les charges antérieures (en ce compris les primes et pécules) restant à charge du cédant.

Le tribunal s’interroge, en conséquence, sur les raisons de l’existence de deux listes distinctes, le cessionnaire produisant pour sa part une liste sur laquelle ne figurent que 50 travailleurs et non 54. Pour le tribunal, la seule liste valable est celle qui fait partie intégrante de la convention de transfert déposée au greffe. Si la liste initiale ne fait pas apparaître l’ensemble du personnel qui sera repris dans la liste déposée au greffe, la liste définitive ne peut en effet être que celle à destination du tribunal de commerce.

Surabondamment, le tribunal retient encore que l’intéressée a presté quelques jours après le transfert, ce qui est confirmé par la Dimona d’entrée, qui a été annulée, et ceci au premier jour d’incapacité de travail. Ces prestations sont par ailleurs attestées par des tiers.

Dans la mesure où un problème de coût salarial aurait été constaté par le cessionnaire, il appartenait à ce dernier, en conséquence, de licencier moyennant préavis ou indemnité compensatoire.

Le tribunal fait dès lors droit à la demande de l’intéressée, qui se voit allouer l’indemnité de rupture à laquelle elle avait droit, étant 6 mois et 9 semaines, en sus de la rémunération correspondant aux prestations effectuées et aux avantages contractuels.

Enfin, une dernière question est abordée, la demanderesse demandant au tribunal de rejeter toute demande de cantonnement ou de garantie. Le tribunal rappelle à cet égard que la loi « pot-pourri » du 19 octobre 2015 a rendu exécutoires les jugements définitifs, et ce par provision, nonobstant appel et sans garantie, si le juge n’a pas ordonné qu’il en soit constitué une (article 1397 C.J.). Dans sa version actuelle (après la modification apportée par la loi du 19 juillet 2017), cette disposition est d’application immédiate aux litiges en cours.

L’article 1406 du Code judiciaire permettant au juge de décider qu’il n’y a pas lieu à cantonnement pour tout ou partie des condamnations qu’il prononce si le retard apporté au règlement expose le créancier à un préjudice grave, le tribunal exclut le cantonnement, relevant que l’intéressée n’avait pas obtenu ses documents sociaux et n’a pas pu faire valoir ses droits à des allocations de chômage, étant sans revenus depuis 4 ans.

Intérêt de la décision

Cette affaire permet de revenir sur l’intervention des juridictions du travail dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire mise sur pied par la loi du 31 janvier 2009 et la convention collective de travail n° 102 du 5 octobre 2011.

Le tribunal du travail a, dans ce cadre, le contrôle de l’homologation des aspects sociaux du projet de transfert d’entreprise sous autorité de justice.

Signalons que – si la jurisprudence n’est pas très importante sur la question –, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) a par jugement du 9 mai 2017 (R.G. 17/2/K), refusé l’homologation d’un plan, au motif de clauses conventionnelles incompatibles avec des dispositions impératives de la loi du 3 juillet 1978, étant les droits des travailleurs en matière de rémunération. Le tribunal y a renvoyé à la hiérarchie des sources de droit, dans laquelle les dispositions impératives se trouvent au premier rang, les conventions collectives rendues obligatoires conclues au sein du C.N.T. (comme la C.C.T. n° 102) venant ensuite. Dès lors qu’un volet social contient des dispositions contraires à la loi, il ne peut être homologué.

Dans la présente espèce, le tribunal a l’occasion de rappeler que les seules conditions légalement admises quant au transfert sont celles qui ont été approuvées par le tribunal de commerce.


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