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Chômage : conséquence d’une faute de l’administration sur la récupération de l’indu

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 21 février 2019, R.G. 2015/AN/23

Mis en ligne le mardi 10 décembre 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 21 février 2019, R.G. 2015/AN/23

Terra Laboris

Par arrêt du 21 février 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur), après avoir constaté le caractère indu de prestations de chômage payées à un assuré social, condamne l’ONEm à l’équivalent financier de celles-ci, vu une faute commise dans l’instruction du dossier.

Les faits

Un musicien entre dans le régime de la prépension en 2007, après avoir vérifié ses droits, tenant compte d’une activité d’organiste qu’il effectue pour le compte de deux fabriques d’église. Il a mentionné cette activité sur le formulaire C1. Le profit de celle-ci est de l’ordre de 350 euros par mois.

Trois ans plus tard, l’ONEm l’auditionne, après avoir contacté les fabriques d’église en cause, celles-ci ayant confirmé l’assujettissement à la sécurité sociale.

Une décision d’exclusion est prise pour tous les dimanches se situant dans la période de référence. Le montant de la récupération est de l’ordre de 3.300 euros et une exclusion est prononcée (avec sursis) pour quatre semaines, l’ONEm faisant grief à l’intéressé d’avoir négligé de s’informer préalablement auprès de son organisme de paiement. Une nouvelle décision est prise dans la foulée, accordant, pour l’avenir, le droit aux allocations de chômage mais réduisant l’indemnisation d’une unité pour chaque prestation du dimanche.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Dinant, qui confirme la décision, en retenant cependant une faute de gestion tant au niveau de l’ONEm que de l’organisme de paiement, ce dernier se voyant reprocher une négligence administrative, au motif qu’il n’aurait pas fait signer à l’intéressé le formulaire ad hoc (C1A). Quant à l’ONEm, le tribunal estime que sa faute consiste dans le fait de ne pas avoir réagi.

En conséquence, le tribunal condamne chacune de ces deux institutions à verser au demandeur la moitié du dommage subi.

L’organisme de paiement interjette appel.

Les décisions de la cour

Un premier arrêt a été rendu le 8 janvier 2015, confirmant la décision administrative (la première) et constatant l’absence de faute dans le chef de l’organisme de paiement. Par contre, la cour a maintenu qu’il y avait une faute dans le chef de l’ONEm, qui avait négligé de prendre une décision administrative autorisant le cumul avec l’activité accessoire d’organiste.

La cour retient que la décision administrative a été prise sur des bases erronées, le dossier de l’organisme de paiement démontrant que l’intéressé avait correctement rempli les formulaires C1 et C1A. Quant au délai entre l’introduction du dossier et la réaction de l’ONEm (trois ans plus tard), elle considère qu’il y a eu des défaillances évidentes.

La cour rappelle qu’elle a jugé dans son premier arrêt que l’Office avait failli à sa mission en ne notifiant pas préalablement sa décision administrative sur le cumul qui avait été demandé entre l’activité accessoire et la perception d’allocations de chômage. La cour reprend l’article 17 de la Charte de l’assuré social, article dont la Cour constitutionnelle a rappelé, dans un arrêt du 21 décembre 2005 (C. const., 21 décembre 2005, n° 196/2005), qu’il doit s’appliquer à une décision de récupération prise par l’organisme de droit privé lorsqu’une erreur de droit ou matérielle a été commise.

Après avoir insisté à diverses reprises sur la totale bonne foi de l’intéressé ainsi que sur la transparence des démarches qu’il a effectuées, la cour conclut qu’il faut trouver un équilibre entre le caractère d’ordre public des prestations allouées indûment et la prise en compte de la bonne foi de l’assuré social.

Après avoir rappelé la position des parties et les deux décisions déjà intervenues, la cour statue en deux temps. Elle examine d’abord la situation vis-à-vis de l’ONEm, constatant que le caractère indu des prestations est évident, les conditions d’octroi n’étant pas remplies. Cependant, dès lors que la bonne foi est retenue et que l’ONEm a manqué au devoir de bonne information ou de la Charte, les conséquences dommageables pour l’assuré social doivent être réparées, la cour constatant que celui-ci se limite à demander à ne pas devoir être tenu à rembourser ou, subsidiairement, à ne devoir le faire que dans les limites de l’article 169, alinéa 2, de la réglementation.

Dans la mesure où le dossier contenait tous les éléments qui devaient amener l’ONEm à s’inquiéter « promptement », et non après trois années, des suites à réserver au formulaire rempli, d’autant que celui-ci était présenté comme un duplicata et que l’intéressé y confirmait sa déclaration précédente (déclaration précédente qui ne se trouvait pas au dossier), il y a faute manifeste.

Le dommage ne serait pas présenté en l’absence des manquements constatés. La réparation doit être égale à la somme de la récupération, le dommage étant directement causé par la faute. En outre, dans la mesure où l’intéressé ne peut pas se voir reprocher de ne pas avoir fait les déclarations requises, aucune suspension ne peut être retenue sur pied des articles 153 et suivants de l’arrêté royal organique.

Par ailleurs, pour ce qui est de l’organisme de paiement, aucune faute n’est démontrée dans le dossier de celui-ci et sa responsabilité n’est pas retenue.

La cour va dès lors conclure que seul l’ONEm a failli à sa mission et qu’il doit dédommager l’assuré social de son préjudice directement causé par la faute administrative, à savoir qu’il doit être condamné à l’équivalent financier de la récupération des allocations de chômage indues.

Intérêt de la décision

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Liège renvoie à l’article 17 de la Charte de l’assuré social, qui peut fonder (avec l’article 22 et une mise en œuvre du droit de la responsabilité civile) la récupération de l’indu, en ce sus de la disposition spécifique de l’arrêté royal organique, qui est l’article 169. Elle n’évoque pas les articles 3 et 4 de la Charte.

Dans son arrêt du 29 mai 2017 (Cass., 29 mai 2017, n° S.15.0131.F – précédemment commenté), la Cour de cassation s’était prononcée sur les relations entre les manquements au devoir d’information et de conseil prévu par les articles 3 et 4 de la Charte par les services de contrôle de l’ONEm dans la vérification des conditions de l’exercice d’une activité accessoire autorisée et l’article 17, alinéa 2, de la Charte elle-même.

La Cour de cassation avait jugé que l’erreur d’appréciation commise par l’ONEm dans la vérification des déclarations et documents et des conditions requises pour prétendre aux allocations ne constitue pas une erreur de droit ou matérielle entachant la décision de l’Office sur le droit aux allocations de chômage, au sens de l’article 17, alinéa 2, de la Charte. La constatation d’une erreur et la reconnaissance de son caractère fautif ne justifie pas légalement la décision que l’exclusion ne peut rétroagir en application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte.

L’arrêt de la Cour du travail qui a été cassé décidait que la faute de l’institution de sécurité sociale consistait dans le caractère lacunaire de contrôles effectués, s’agissant d’un manquement aux devoirs d’information et de conseil imposés aux institutions de sécurité sociale par les articles 3 et 4 de la Charte. Dans la mesure où ces articles ne contiennent pas de sanction – la matière étant d’ordre public –, il ne peut s’agir de réparer la faute par la suppression de la récupération de l’indu. La révision au sens de l’article 17 implique une erreur de droit ou matérielle entachant la décision de l’Office sur le droit aux allocations. L’alinéa 2 de cette disposition ne vise pas toute faute de l’institution de sécurité sociale mais uniquement la situation où une erreur imputable à celle-ci est à l’origine de la décision rectifiée.

Il peut être consulté sur la question la doctrine de J.-F. NEVEN (J.-F. NEVEN, « Les principes de bonne administration, la Charte de l’assuré social et la réglementation du chômage », in La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, EPDS, 2011/5, p. 607). Cet auteur a souligné que le grand intérêt de l’article 17, alinéa 2, de la Charte est de préciser dans quels cas le principe de légitime confiance justifie que la décision ne produise ses effets que pour l’avenir.


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