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Limitation du montant de la rente d’accident du travail avec une pension anticipée et paiement du tiers de la rente en capital

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 mai 2019, R.G. 2018/AL/257

Mis en ligne le mardi 10 décembre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 mai 2019, R.G. 2018/AL/257

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) examine les effets de deux causes de limitation de la rente d’accident du travail, étant d’une part la prise d’une pension anticipée (avec les règles spécifiques de cumul) et d’autre part l’octroi, par procédure judiciaire, d’un tiers de la rente en capital : les obligations d’information sont ici particulièrement vérifiées, eu égard aux conséquences sur la décision de l’assuré social.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu en 1994, Madame D. perçoit une allocation annuelle de 25%. En 2012, elle demande à bénéficier d’une pension anticipée, qui prendra cours le premier jour du mois suivant son 60e anniversaire, le 1er mars 2013.

En mars 2014, elle sollicite l’octroi du tiers en capital de la rente, celle-ci étant d’un montant mensuel net de l’ordre de 600 euros. Lui est alors versé un montant de près de 27.000 euros.

Suite à la pension anticipée, elle connaît une diminution du montant de la rente, de 222 euros par mois. Vu l’octroi du tiers en capital, une deuxième réduction intervient, étant une limitation à hauteur du montant forfaitaire mensuel net (32,36 euros), calculé en fonction du taux de 25% d’I.P.

Le Fonds des Accidents du Travail (actuellement FEDRIS) réclame, par une décision du 18 juin 2015, le remboursement pour une période de 13 mois, le paiement ayant été poursuivi pendant celle-ci, alors que le jugement ayant octroyé le tiers en capital avait été rendu.

Les parties ne contestent pas le calcul de la somme réclamée. Elles sont cependant en désaccord sur l’obligation pour l’intéressée de rembourser, celle-ci contestant avoir reçu une information exacte de la part de son assureur-loi lorsqu’elle a pris sa décision de demander le bénéfice de la pension anticipée. L’information donnée était, en substance, qu’elle percevrait la rente jusqu’à la fin de sa vie et que c’était au niveau de la caisse des pensions qu’il y aurait une diminution, dans la mesure où le cumul n’était pas autorisé. L’assureur conseillait à l’intéressée de prendre contact avec « eux » (le SPF Pensions manifestement).

Celle-ci fait valoir que l’information donnée a été déterminante dans son choix d’opter pour la pension de retraite anticipée. Elle procède à la comparaison des revenus qu’elle aurait eus en restant dans le secteur AMI (indemnités AMI + rente d’accident du travail, soit un net de l’ordre de 1.970 euros), alors que la pension de retraite majorée de la rente réduite lui a causé un préjudice mensuel de l’ordre de 375 euros.

Elle demande dès lors l’annulation de la décision de récupération et la condamnation de l’assureur-loi au paiement d’une somme de 6.400 euros en réparation du préjudice subi.

Le jugement du Tribunal du travail de Liège (division Liège) du 14 mars 2018

En première instance, elle est déboutée de la totalité de ses demandes.

Le tribunal a conclu à l’obligation de rembourser, vu la situation et l’absence d’information erronée ayant pu engendrer un indu. Il est encore précisé que, après le contact avec l’assureur-loi, Madame D. s’est également informée auprès du SPF Pensions.

L’appel

Elle interjette appel, demandant que l’assureur-loi soit condamné au paiement des dommages et intérêts qu’elle a fixés et, en ce qui concerne FEDRIS, elle sollicite que la cour dise pour droit, par application de la Charte de l’assuré social, qu’elle n’est pas tenue au remboursement de l’indu.

La décision de la cour

La cour reprend l’échange de correspondance intervenu entre l’intéressée et FEDRIS, de même qu’avec le SPF Pensions, dont il ressort qu’un certain nombre de courriers sont intervenus.

Sur le plan juridique, elle rappelle les dispositions légales applicables, étant celles de la loi du 10 avril 1971 relatives à la limitation du cumul entre une rente d’accident du travail et une pension, ainsi que celles de la Charte de l’assuré social relatives aux révisions des décisions d’octroi et à l’indu. Elle aborde enfin les règles contenues dans l’article 1382 du Code civil, vu la demande de mise en cause de la responsabilité de l’assureur-loi, pour l’information donnée.

De très importants rappels de jurisprudence sont faits sur ces trois points et, particulièrement, sur la responsabilité de l’institution de sécurité sociale au sens de l’article 1382 du Code civil.

Appliquant ces dispositions légales à l’espèce, la cour conclut à l’existence d’une faute commise par l’assureur-loi, étant que l’information donnée aurait dû être assortie de réserves quant au calcul de la rente et quant aux réductions qui pouvaient lui être appliquées d’une part du fait de la prise de pension et de l’autre suite à l’octroi du tiers en capital. La cour estime qu’en cas de doute, l’assureur-loi aurait dû au minimum orienter Madame D. vers FEDRIS. Il s’agit d’une faute qui n’aurait pas été commise par une institution coopérante de sécurité sociale normalement prudente et diligente et, pour la cour, cette faute doit être appréciée avec une certaine rigueur dès lors qu’un contact préalable par l’assureur-loi auprès du service juridique de FEDRIS ou du SPF Pensions aurait assurément permis d’éviter d’induire l’assurée sociale en erreur sur l’étendue de ses droits (20e feuillet).

Une faute est également retenue dans le chef de l’intéressée, qui ne s’est pas de son côté suffisamment informée, cette faute ayant également contribué à la survenance de son dommage. La cour considère que, eu égard au caractère d’institution coopérante de sécurité sociale (qui est un professionnel de la gestion des dossiers d’accident du travail), la responsabilité doit être partagée et que l’assureur-loi est tenu des trois quarts du dommage. Le préjudice subi est cependant limité dans le temps, pour ce qui est du lien causal, puisqu’à partir du moment où il y a eu versement du tiers en capital, la diminution de la rente n’est plus le fruit de l’erreur de l’assureur-loi.

Enfin, pour ce qui est de la récupération par FEDRIS, la cour constate qu’il a été procédé à la régularisation du dossier dès que le jugement accordant le tiers en capital a été transmis (plus d’un an plus tard). Elle fait droit à l’argumentation de FEDRIS selon laquelle, si l’indu s’est accumulé pendant cette période, ce n’est pas dû à une faute de sa part mais à une négligence fautive de l’assureur-loi, qui a omis de transmettre le jugement.

En conséquence, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social. Cependant, la cour accueille la thèse développée à titre subsidiaire par Madame D., étant que la faute commise par l’assureur-loi justifie qu’elle demande sa condamnation à l’indemniser du préjudice subi.

La cour accueille dès lors partiellement l’appel principal, sur la question des dommages et intérêts (qui sont cependant réduits) et sur la condamnation de l’assureur-loi à verser l’équivalent du préjudice subi en réparation du dommage.

Intérêt de la décision

Deux éléments sont intervenus, dans l’espèce, afin de modifier légalement le montant de la rente d’accident du travail. Le premier est l’interdiction de cumul (en réalité une limitation) avec des prestations fournies dans le cadre d’une pension et le second est l’obtention du tiers de la rente en capital, qui peut intervenir à partir d’une I.P. de 10%, et ce à la fin du délai de révision.

Les chiffres donnés dans l’arrêt démontrent la chute considérable de la rente après l’octroi du tiers en capital. L’intéressée bénéficiait, grosso modo, d’une rente mensuelle de 600 euros, qui a été ramenée à 226 euros suite à la prise de la pension anticipée, et ce montant a lui-même été réduit à 32,36 euros après le paiement du tiers de la rente en capital.

Ces chiffres ne sont pas contestés.

L’on sera dès lors attentif, lors de la demande de paiement du tiers de la rente en capital, à solliciter l’estimation correspondante auprès des services compétents de FEDRIS, eu égard à la chute considérable entraînée par le paiement de celui-ci.

L’on notera ici – une nouvelle fois encore – la mise en cause de l’institution de sécurité sociale pour la qualité de l’information donnée, ainsi que pour l’obligation de donner celle-ci de manière complète et exacte. Grief est par ailleurs également fait à l’assurée sociale de ne pas avoir pris toutes les informations requises auprès des deux institutions de sécurité sociale, ce qui réduit le dommage réparable.


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