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C.C.T. n° 109 et théorie de l’abus de droit

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 3 mai 2019, R.G. 17/250/A

Mis en ligne le vendredi 29 novembre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 3 mai 2019, R.G. 17/250/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 3 mai 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) rappelle que la C.C.T. n° 109 interdit le cumul de l’indemnisation qu’elle prévoit avec d’autres sommes dues par l’employeur lors de la rupture, mais que cette interdiction ne vaut pas dès lors qu’est réclamée, dans le cadre d’un abus de droit, la réparation d’un autre dommage ayant une autre cause que le motif lui-même.

Les faits

Un contrat est conclu entre un ouvrier et une société active dans le secteur du chauffage sanitaire. Ce contrat est à durée déterminée et à temps plein. Il porte sur une période de cinq mois.

Le travailleur conteste, après la rupture, la nature du contrat et réclame une indemnité compensatoire de préavis de quatre semaines. Il sollicite également l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement abusif, fixés ex aequo et bono à 5.000 euros.

Les décisions du tribunal

Le tribunal a rendu un premier jugement, le 11 janvier 2019, concluant à l’existence d’un contrat à durée indéterminée. Il s’est fondé sur la circonstance que les deux contrats produits en original mentionnent comme date de signature le 27 avril 2016, alors que l’entrée en service était prévue le 25 avril 2016. Il a considéré que, s’il devait s’agir d’une erreur de plume, elle devrait être prouvée par l’employeur, ce qui n’a pas été fait.

Reste en discussion la question du licenciement abusif.

Le tribunal examine longuement les principes de l’abus de droit, eu égard par ailleurs à l’existence de la C.C.T. n° 109.

Pour ce qui est de l’application de l’abus de droit à l’hypothèse d’un licenciement, il rappelle que le travailleur qui se prétend victime d’un licenciement abusif doit apporter la preuve certaine que l’acte juridique que constitue la rupture est concrètement abusif, que ce soit un motif volontairement inexact, un manque de prudence, un dépassement manifeste de l’exercice du droit, ou encore des circonstances qui accompagnent la rupture.

L’application de cette théorie permet ainsi de considérer abusif un licenciement qui interviendrait pour un motif futile, jetant le doute sur l’honnêteté ou la moralité du travailleur, ou avec une publicité donnée au congé portant à la connaissance du personnel la raison invoquée à l’appui de la rupture du contrat, ou encore avec une publicité dénigrante ou mensongère ou nuisant au reclassement professionnel du travailleur. Il renvoie en ce sens à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 3 janvier 2012 (C. trav. Bruxelles, 3 janvier 2012, R.G. 2010/AB/842), ainsi qu’à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 22 mai 2012 (C. trav. Liège, div. Namur, 22 mai 2012, R.G. 2011/AN/160).

Pour ce qui est de la C.C.T. 109, qui porte exclusivement sur le motif du licenciement, le tribunal rappelle que l’indemnité qu’elle prévoit n’est pas cumulable avec toute autre indemnité due par l’employeur à l’occasion de la fin du contrat de travail, à l’exception d’une indemnité de préavis, d’une indemnité de non-concurrence, d’une indemnité d’éviction ou d’une indemnité complémentaire payée en sus des allocations sociales.

Le travailleur a cependant la possibilité de demander la réparation de son dommage réel, conformément au dispositif du Code civil. Le droit commun de l’abus de droit trouve à s’appliquer en lieu et place de la C.C.T. n° 109. Les commentaires de celle-ci précisent par ailleurs que, si son objet est de vérifier le caractère manifestement déraisonnable du licenciement, il ne porte pas sur les circonstances de celui-ci. En conséquence, le licenciement abusif lié aux circonstances et non au motif de la rupture peut toujours être invoqué, ne s’agissant pas de la même cause ni du même dommage, ce qui exclut toute interdiction de cumul.

Le jugement en vient ainsi aux éléments de fait. Il constate qu’un litige était intervenu deux mois environ après l’entrée en service, suite à un accident du travail. Même si celui-ci a entraîné certaines tensions entre parties relatives aux formalités de déclaration ainsi qu’au paiement du salaire garanti, le tribunal constate que le travailleur ne démontre pas de circonstances abusives liées à la manière dont son licenciement est intervenu. Celui-ci ayant également fait valoir l’absence d’audition préalable, il rappelle qu’il ne s’agit pas d’une obligation en droit positif, celle-ci pouvant cependant découler du principe d’exécution de bonne foi des conventions, d’autant que l’abus de droit s’interprète à la lumière des dispositions internationales (dont l’article 7 de la Convention n° 158 de l’O.I.T. ainsi que l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée).

A défaut de sanction en l’absence d’audition préalable, il y a lieu d’appliquer les règles de droit commun, dont la théorie de l’abus de droit, et ce d’autant que celle-ci peut reposer notamment sur les circonstances du licenciement. Vu la signature, cependant, d’un contrat à durée déterminée, le tribunal relève que l’employeur n’avait pas à entendre le travailleur, ne s’agissant pas d’un licenciement mais d’une fin d’occupation.

Le chef de demande est dès lors rejeté.

Intérêt de la décision

La demande portait sur l’octroi de dommages et intérêts fixés ex aequo et bono pour « licenciement abusif ».

Le jugement ne reprend pas le fondement invoqué par la partie demanderesse, à savoir qu’il s’agirait du non-respect de la C.C.T. n° 109, ou d’une demande de dommages et intérêts dans le cadre de la théorie générale de l’abus de droit.

Il rappelle à très juste titre que, si une interdiction de cumul figure dans la C.C.T. eu égard à d’autres sommes qui pourraient être payées lors de la rupture, ceci ne concerne pas des demandes qui auraient une autre cause et un autre dommage.

La question s’est posée de savoir si le recours à la C.C.T. n° 109 pouvait se faire cumulativement ou alternativement avec une demande de dommages et intérêts. La réponse est claire, étant que, dans la mesure où la C.C.T. n° 109 vise uniquement le contrôle du motif, toute contestation relative à celui-ci est en principe à instruire dans ce cadre. Rien n’empêche, cependant, de recourir à la théorie générale de l’abus de droit (qui n’a certes pas disparu depuis l’entrée en vigueur de la C.C.T. n° 109) et d’en demander l’application. Le mécanisme de la C.C.T. n° 109 est cependant de nature à faciliter la vérification du motif, raison pour laquelle il est très généralement recouru à celle-ci dans ce type de litige. Il est à noter que – comme le relève la décision du tribunal –, si l’indemnisation est « tarifée » (encore qu’avec une très large fourchette), il n’est pas exclu, dans le cadre du mécanisme de cette convention collective, de réclamer la réparation du préjudice réel. Celui-ci devra cependant être établi.

Enfin, pour tout ce qui ne concerne pas le contrôle du motif de licenciement, la théorie de l’abus de droit subsiste encore, avec les règles civilistes habituelles, et notamment sur le plan de la charge de la preuve. La réparation de l’abus de droit peut consister en un dommage matériel et/ou moral et l’évaluation peut intervenir, à défaut de critères de référence pertinents, en équité.


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