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Licenciement manifestement déraisonnable et motif économique

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 24 avril 2019, R.G. 18/716/A

Mis en ligne le mardi 26 novembre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 24 avril 2019, R.G. 18/716/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 24 avril 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) reprend les principes d’analyse de l’existence d’un motif économique valable, autorisant le licenciement d’un travailleur engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée.

Les faits

Une travailleuse engagée dans le cadre de titres-services passe à un autre employeur, suite à une cession d’entreprise intervenue dans le cadre d’un transfert d’entreprise sous autorité de justice. La convention conclue prévoit notamment l’obligation de poursuivre les contrats de travail, l’employeur initial ayant à son service plus de 50 travailleurs au moment du transfert. Un nouveau contrat de travail est signé avec le cessionnaire, aux mêmes conditions, la fonction étant cependant précisée comme visant le « ménage chez particuliers ».

Après une longue période d’incapacité de travail, l’intéressée est autorisée, en avril 2018, à reprendre le travail dans le cadre d’un mi-temps médical.

Entre-temps, vu une baisse d’activité, il y a eu des licenciements successifs et une des deux agences de la société a fermé.

Peu après sa reprise du travail (une semaine), l’ouvrière est licenciée moyennant un préavis à prester. Le motif du licenciement est économique. L’intéressée demande à connaître celui-ci, conformément au mécanisme de la C.C.T. n° 109, et il lui est répondu qu’il lui a déjà été communiqué.

Une procédure est introduite, au motif du caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

Le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) est ainsi saisi.

La décision du tribunal

Il s’agit uniquement, pour le tribunal, de vérifier le caractère manifestement déraisonnable du licenciement, seul élément contesté. Le tribunal en reprend la définition, donnée à l’article 8 de la C.C.T. Deux points de droit sont rappelés, à cet égard. Le premier concerne la définition elle-même, dont la première partie est calquée sur l’ancien article 63 de la loi du 3 juillet 1978. La définition contient cependant une seconde condition, étant que l’exercice du droit de licencier est contrôlé à la lumière de ce que serait l’exercice de ce droit par un employeur normal et raisonnable. Le tribunal rappelle que ce contrôle reste marginal, vu la liberté d’action dont dispose l’employeur eu égard aux impératifs de gestion de l’entreprise. Celle-ci lui permet d’opérer le choix qu’il décide entre des alternatives de gestion raisonnables.

Le tribunal suit la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social 17-18, T. 3, p. 2616), qui considèrent que l’ajout du terme « manifestement » à la notion de « déraisonnable » vise à souligner la liberté d’action de l’employeur et le caractère marginal du contrôle. L’employeur peut choisir entre plusieurs décisions raisonnables de gestion, principe rappelé par une autre doctrine (P. CRAHAY, « Motivation du licenciement et licenciement manifestement déraisonnable », Ors., 2014, p. 9).

Sur le plan de la preuve, il y a application des règles du droit commun, étant les articles 870 du Code judiciaire et 1315, alinéa 1er, du Code civil. La société doit dès lors établir les nécessités de fonctionnement alléguées à l’appui du licenciement.

Le tribunal considère, vu la fermeture d’une des deux agences de la société, que celle-ci est sans incidence, dans la mesure où la travailleuse prestait uniquement chez des particuliers, au contraire d’autres collègues (repasseuses) attachées à l’agence elle-même. Le tribunal rappelle qu’une autre agence continuait à fonctionner.

L’employeur faisant valoir que les clients chez qui prestait l’intéressée auraient choisi une autre ouvrière ou auraient quitté la société (sauf un), le tribunal relève que ce fait n’est nullement établi. En outre, le préavis a été presté (préavis de 40 jours et 15 semaines) et qu’elle n’a pas été mise en chômage économique pendant cette période, ceci signifiant que son travail était assuré.

Il est également relevé que des offres d’emploi pour des aides ménagères ont été passées par l’employeur deux fois, soit quelques semaines avant la reprise du travail en mi-temps médical et, ensuite, 5 mois plus tard (la société ayant annoncé un engagement à durée indéterminée). Le tribunal en conclut que le manque de travail n’était nullement établi, celui-ci étant d’ailleurs infirmé par les déclarations de la gérante de l’entreprise elle-même.

Il n’y a pas motif économique (dû au manque de travail ou à l’obligation de réduire le personnel) lorsqu’un autre travailleur est engagé en remplacement du travailleur licencié, et ce même pour une rémunération inférieure. Renvoyant à de la jurisprudence des cours du travail de Liège et de Bruxelles (C. trav. Liège, 9 septembre 1995, J.T.T., 1995, p. 147 et C. trav. Bruxelles, 27 octobre 2008, J.T.T., 2009, p. 155), le tribunal rappelle le principe selon lequel lorsque les fonctions de l’ouvrier licencié et de celui qui est nouvellement engagé sont identiques, l’employeur ne peut justifier le remplacement vu la possibilité de payer le nouvel engagé moins cher. Il y a, dans cette hypothèse, licenciement abusif.

Il ajoute qu’il en est de même lorsqu’il s’agit de remplacer un ouvrier en C.D.I. par un autre ouvrier en C.D.D.

Le tribunal examine encore le nombre d’heures prestées pendant l’été 2018, époque où des remplacements sont intervenus. Il constate une occupation de 3000 heures, ce qui confirme également l’existence de travail assuré pendant cette période et conclut que, s’il ne lui appartient pas d’apprécier l’opportunité de la mesure de licenciement, il doit cependant contrôler la réalité du motif allégué.

Le licenciement revêt en conséquence un caractère manifestement déraisonnable. La partie demanderesse ayant fixé l’indemnité à 17 semaines et la partie défenderesse n’ayant pas contesté ce montant, c’est donc l’indemnité maximale qui est allouée.

Intérêt de la décision

Dans ce bref jugement, le tribunal rappelle l’essentiel des principes sur la question. Ceux-ci ont été dégagés sous l’empire de l’ancien article 63 L.C.T., qui réservait déjà au juge la possibilité d’exercer un contrôle étendu sur l’existence du motif économique invoqué par l’employeur à la base d’un licenciement.

Les divers principes sont ici rappelés, notamment qu’il n’y a pas motif économique lorsqu’il est établi que le travail était assuré, lorsque l’employeur a placé des offres d’emploi en vue de recruter des travailleurs exerçant les mêmes fonctions et, tout particulièrement, lorsque l’employeur ferait valoir comme motif économique le coût du travail lui-même, coût qui serait inférieur si des travailleurs plus jeunes étaient engagés en remplacement de travailleurs plus âgés.

Ce motif (coût du travail) été critiqué de longue date, dans la mesure où il est en contradiction manifeste avec les conventions collectives de travail, qui réservent généralement une rémunération plus élevée à l’ancienneté (et donc ainsi indirectement à l’âge – même si ce critère ne peut être retenu en tant que tel) du travailleur concerné.

Le tribunal rappelle encore que le remplacement du travailleur « par la suite » est suspect, puisqu’il vient contredire un constat d’absence du travail. Le tribunal ne fixe ici aucun délai. Rappelons que ce délai doit être raisonnable, étant entendu par ailleurs que l’on ne peut faire abstraction de la circonstance que la société soit revenue à meilleure fortune quelque temps après une période de « vaches maigres ».

Ces situations sont examinées en fait.


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