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Maladie professionnelle : point de départ de l’indemnisation et règle de prescription

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 23 avril 2019, R.G. 2016/AN/110

Mis en ligne le vendredi 15 novembre 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 23 avril 2019, R.G. 2016/AN/110

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 avril 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur) rappelle la distinction à retenir en ce qui concerne le point de départ de l’indemnisation d’une maladie professionnelle et les règles de paiement, soumises à la prescription de l’article 2277 du Code civil.

Les faits

Une demande d’indemnisation d’une maladie professionnelle est introduite par un travailleur en février 2007. Elle porte sur une maladie de la liste (farinose). Dans une décision du 15 avril 2008, FEDRIS (à l’époque Fonds des Maladies Professionnelles) refuse l’indemnisation au motif que le travailleur n’était pas atteint de la maladie en cause. Cette décision n’est pas contestée. Une nouvelle demande est introduite aussitôt et, en mai 2010, FEDRIS admet qu’il y a lieu de reconnaître l’existence de cette maladie professionnelle. L’Agence assume la prise en charge des soins de santé et fixe l’incapacité de travail permanente à 2% (1% d’incapacité physique et 1% de facteurs socio-économiques). L’intéressé est également écarté définitivement du milieu professionnel et il accepte cette proposition. L’écartement devient définitif dans une décision rendue ultérieurement et il se voit octroyer une indemnisation de 100% pour une période de 3 mois et de 7% pour la suite.

Un recours est introduit, portant sur le pourcentage de l’incapacité de travail ainsi que la prise de cours de l’indemnisation. L’intéressé conteste également le point de départ de la décision d’écartement.

Le Tribunal du travail de Liège (division Namur) a statué par un jugement du 2 février 2016, disant pour droit que l’intéressé est atteint d’une incapacité permanente de 6% (1% de facteurs physiques et 5% de facteurs socio-économiques). Pour ce qui est du point de départ du paiement des indemnités, il a conclu à la prescription pour la période antérieure au 21 avril 2006. Il a par ailleurs confirmé la date de la décision d’écartement.

Appel est interjeté par FEDRIS.

La position des parties devant la cour

FEDRIS renvoie à sa décision du 15 avril 2008 (refus d’indemnisation). Cette décision n’a pas été contestée, de telle sorte qu’il ne peut être octroyé une indemnisation pour la période qui la précède. L’Agence conteste également les facteurs socio-économiques, considérant qu’il ne faut pas renvoyer à la profession habituelle (boulanger) mais au marché général de l’emploi, d’autres critères (âge et problèmes médicaux d’une autre nature) ne devant pas être pris en compte. Elle sollicite également la confirmation de la période d’écartement et estime qu’une partie de la demande à cet égard est également prescrite.

Quant à l’intimé, il estime que le taux fixé par le tribunal, sur la base des conclusions de l’expert, est bas. Il rappelle ses qualifications (réduites) et son expérience (limitée au travail de boulanger). Enfin, sur le point de départ de l’incapacité permanente, elle doit être, selon lui, celle de l’apparition de la maladie, soit en septembre 2004, et l’écartement définitif devrait dès lors intervenir à partir de cette date elle-même.

La décision de la cour

La cour règle en premier lieu la question de la prise de cours de l’indemnisation de l’incapacité permanente, rappelant l’article 35 des lois coordonnées du 3 juin 1970 : lorsque l’incapacité est permanente dès le début, l’allocation annuelle déterminée d’après le degré de cette incapacité est reconnue à partir de cette incapacité, ne pouvant cependant rétroagir de plus de 120 jours avant la date d’introduction de la demande.

La question a été examinée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 30 janvier 2007 (C. const., 30 janvier 2007, n° 25/2007), qui a conclu à l’inconstitutionnalité de la disposition en tant qu’elle traite différemment les victimes d’une maladie professionnelle du secteur privé et celles du secteur public (pour lesquelles la limitation en cause n’existe pas).

La cour, renvoyant à la doctrine de P. DELOOZ et de D. KREIT (P. DELOOZ et D. KREIT, Les maladies professionnelles, Larcier, 2008, p. 86), écarte l’application de cette disposition, la prise de cours devant être reconnue à partir du début de l’incapacité permanente.

Sur le plan de la prescription, cependant, l’article 2277 du Code civil prévoit une règle de prescription de 5 ans, qui est étrangère à la prise de cours de l’allocation elle-même. Elle est sans incidence sur la règle de l’article 35, alinéa 2, de la loi tel que l’arrêt de la Cour constitutionnelle l’a laissé subsister (la cour renvoyant à un autre arrêt à cet égard, étant C. const., 12 mai 2011, n° 73/2011).

Cet article 2277 du Code civil est applicable à l’action en paiement de l’incapacité permanente, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.13.0020.F). Cet arrêt a précisé qu’aucune des dispositions pertinentes des lois coordonnées elles-mêmes ou de l’arrêté royal du 26 septembre 1996 n’exclut cette application.

En l’occurrence, la demande d’indemnisation a été formée le 5 juin 2008. La décision devait statuer sur le droit à l’allocation permanente à compter de la prise de cours de cette incapacité permanente, et ce sans autre limite que la prescription de la demande en justice.

La cour renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 6 mars 2017, R.G. 2016/AB/910), qui a jugé que la circonstance qu’une décision antérieure ait été prise et n’ait pas été contestée ne modifie pas ce constat. Dès lors que FEDRIS est saisie d’une nouvelle demande et qu’elle a réexaminé celle-ci, les effets dans le temps de cette demande et de la saisine des juridictions qui en découle doivent être reconnus dans leur entièreté.

FEDRIS invoquant « l’autorité de chose jugée » de sa première décision, la cour conclut que les juridictions doivent refuser l’application des actes administratifs non contraires aux règles de droit qui leur sont supérieures, obligation découlant de l’article 159 de la Constitution. Ceci s’applique tant aux actes réglementaires qu’individuels, ce contrôle de légalité n’étant par ailleurs pas limité aux irrégularités manifestes.

Elle rejette dès lors la position de FEDRIS, qui entend postposer le point de départ de l’indemnisation. Elle retient dès lors comme point de départ, en appliquant le délai de prescription quinquennal, la date du 21 avril 2006, la demande en justice ayant été introduite le 21 avril 2011.

Pour ce qui est du taux, la cour confirme la position de l’expert, estimant que le rapport est précis, détaillé et argumenté.

Enfin, la cour doit statuer sur une demande de capitalisation des intérêts, introduite en application de l’article 1154 du Code civil. Celle-ci n’ayant été formée qu’en août 2015, elle ne peut avoir d’effet que pour les intérêts relatifs à l’année précédant cette date et non pour les années antérieures.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Liège rappelle la distinction à faire en la matière entre d’une part le point de départ du droit aux allocations d’incapacité permanente et d’autre part la règle de prescription quinquennale du paiement de celles-ci.

Pour ce qui est du point de départ, la cour du travail rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle sur la question, ainsi que l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 mai 2014 (Cass., 12 mai 2014, n° S.13.0020.F – précédemment commenté). La Cour suprême y a rappelé que l’article 2277 du Code civil s’applique aux actions en paiement de toutes les prestations payables de la manière qu’il indique (par année ou à des termes périodiques plus courts) qui ne sont pas soumises à des règles de prescription particulières. La prescription prend cours en règle au moment de la naissance de l’action, c’est-à-dire lorsque l’obligation sanctionnée doit être exécutée par le débiteur. Les dispositions applicables, spécifiques au secteur des maladies professionnelles, à savoir l’article 35, alinéas 1er et 2, des lois coordonnées (qui dispose que l’allocation annuelle est due à partir du jour où l’incapacité présente le caractère de permanence), ainsi que l’article 1er, §§ 2 et 3, de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 (qui prévoit le paiement mensuel ou trimestriel de l’allocation à terme échu), n’excluent pas l’application de l’article 2277 du Code civil pour ce qui est du paiement de cette allocation. Celui-ci n’est pas davantage exclu à l’article 52, alinéa 1er, des lois coordonnées, (qui prévoit que FEDRIS doit statuer sur la demande de réparation de l’assuré social), non plus qu’à l’article 10, alinéa 1er, de la Charte de l’assuré social (qui fixe le délai dans lequel l’Agence doit statuer).

La cour du travail a renvoyé également à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 6 mars 2017 (C. trav. Bruxelles, 6 mars 2017, R.G. 2016/AB/910 – également précédemment commenté), qui a rappelé que l’autorité d’une décision administrative est limitée à ce qui a fait l’objet de la décision. La Cour du travail de Liège a retenu, encore, de cette jurisprudence, que la circonstance qu’une décision antérieure ait été prise et n’ait pas été contestée ne modifie pas la règle relative au point de départ de l’indemnisation.


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