Terralaboris asbl

Complément aux allocations familiales et cotisations de sécurité sociale

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 7 février 2019, R.G. 2018/AB/240

Mis en ligne le vendredi 15 novembre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 7 février 2019, R.G. 2018/AB/240

Terra Laboris

Dans un arrêt du 7 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles renvoie à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 février 2016 concernant les conditions dans lesquelles un complément aux allocations familiales légales octroyé par l’employeur peut être considéré comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale.

Les faits

Une société, active dans le secteur des systèmes de ventilation d’espaces intérieurs (cuisines, salles), a reçu en 2015 la visite de l’Inspection sociale, qui menait une enquête à propos de toute une série d’avantages octroyés par la société à son personnel, avantages sur lesquels elle ne payait pas de cotisations de sécurité sociale. Un règlement est intervenu sur divers postes, mais un désaccord a persisté entre l’employeur et l’Inspection en ce qui concerne des compléments aux allocations familiales.

L’Inspection rédige un rapport, dans lequel elle constate que l’employeur a indiqué sur le compte individuel (code 350) la mention « allocations familiales complémentaires », et ce pour un montant net. Celui-ci correspond à l’allocation familiale légale. L’inspecteur précise que la ligne suivie par son administration est de limiter le montant octroyé à 50 euros par mois et qu’en cas de dépassement, la totalité de la somme versée est considérée comme du salaire. Il ajoute que l’employeur est en désaccord, considérant que ce type d’indemnité est exempt de cotisations de sécurité sociale, celui-ci produisant comme seul document un courriel adressé par son gérant à un ami avocat, demandant des renseignements, l’avocat répondant à la question posée qu’il s’agit d’un complément à un avantage de sécurité sociale et qu’il n’y avait pas lieu de retenir des cotisations sociales sur celui-ci.

L’Inspection sociale joint à son rapport la totalité des comptes individuels pour une année (ouvriers et employés), relevant notamment qu’il n’y a aucun lien entre le montant versé et le nombre d’enfants à charge, que certains travailleurs ont reçu des montants arrondis (100 ou 125 euros), et même qu’un travailleur sans enfant a bénéficié de cette indemnité. Par contre, des travailleurs avec enfant(s) (trois employés et dix ouvriers) n’ont rien reçu.

L’O.N.S.S. contacte l’employeur, suite à ce rapport, considérant qu’il y a lieu de retenir des cotisations de sécurité sociale, ce que la société conteste. Elle effectue le paiement des cotisations lui réclamées, mais introduit une action en justice en récupération.

Son action est rejetée par un jugement du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles du 22 décembre 2017.

Appel est interjeté.

La décision de la cour

La cour s’appuie d’abord très longuement, en droit, sur l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 15 février 2016 (Cass., 15 février 2016, n° S.14.0071.F), dont elle reprend des très larges extraits. La Cour de cassation avait rejeté trois moyens invoqués dans le pourvoi.

  • Le premier moyen, qui soutenait que, lorsqu’un avantage complétant les allocations familiales perçues par les enfants de leur ménage est réservé aux travailleurs satisfaisant par ailleurs à des conditions de fonction et d’ancienneté étrangères aux conditions d’octroi des allocations familiales, cet avantage ne peut être considéré comme un complément aux avantages accordés pour cette branche de la sécurité sociale, manque en droit. Pour la Cour suprême, doit être considérée comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale l’indemnité qui a pour objet de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement des dépenses provoquées par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale, même si son octroi est soumis par ailleurs à des conditions étrangères à ces risques. La Cour de cassation tire cette conclusion de l’examen de l’article 14, §§ 1er et 2, de la loi du 27 juin 1969, ainsi que de l’article 2, alinéa 1er, 1° et 3°, ainsi que alinéa 3, 1°, c), de la loi du 12 avril 1965.
  • Le deuxième moyen est rejeté, dans la mesure où il repose sur le soutènement contraire de la règle de l’article 2, alinéa 3, 1°, c), de la loi du 12 avril 1965, qui exclut, sans restriction de la notion de rémunération, les indemnités, payées, directement ou indirectement, par l’employeur, qui doivent être considérées comme un complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale. Pour la Cour de cassation, cette disposition exclut donc l’indemnité payée, directement ou indirectement, par l’employeur en complément d’un des avantages accordés par une des branches de la sécurité sociale, même si cette indemnité est réservée à certains travailleurs en violation de l’article 45 de la loi du 27 juin 1969.
  • Enfin, le troisième moyen est également rejeté, étant contraire à la même disposition (article 2, alinéa 3, 1°, c), de la loi du 12 avril 1965, qui exclut, sans restriction de la notion de rémunération, les indemnités qu’elle vise et, ainsi, l’indemnité, payée, directement ou indirectement, par l’employeur en complément d’un avantage accordé par une des branches de la sécurité sociale, même si cette indemnité est réservée à certains travailleurs en violation des règles prohibant la discrimination.

La cour du travail examine, ensuite, la situation de chaque travailleur individuellement, tant du point de vue des enfants à charge que du montant des allocations complémentaires payées par la société.

Sur la circonstance que l’ensemble des travailleurs ne bénéficiaient pas de cet avantage, elle note que, pour l’employeur, il s’est agi d’accorder celui-ci aux travailleurs employés à temps plein, mais non aux ouvriers. Elle constate que telle a été la politique de l’entreprise (qui a cependant fait exception pour un ouvrier ayant des charges de famille particulièrement lourdes (six enfants) et pour lequel un complément mensuel de 125 euros a été alloué).

Pour la cour, il est ainsi démontré que l’entreprise a établi une règle interne transparente. Constatant cependant des situations particulières (maintien de l’octroi du complément, alors que les enfants n’étaient plus à charge), elle conclut que, pour ceux-ci, il ne s’agit pas de compenser la perte des revenus du travail ou l’accroissement de dépenses provoqué par la réalisation d’un des risques couverts par les diverses branches de la sécurité sociale. Pour la cour, le risque doit être effectif, ainsi que la charge d’enfants.

Elle va, en conséquence, réformer le jugement, mais ce partiellement, à savoir uniquement pour l’enfant qui n’est plus à charge de sa mère employée (et ce à partir du moment où cette charge a disparu), de même pour les enfants de deux autres employés.

La cour sollicite enfin que les parties refassent un décompte.

Pour ce qui est des intérêts dus par l’O.N.S.S., ceux-ci le sont à partir de la mise en demeure, en l’espèce la citation (ainsi que les conclusions prises étendant la demande de la société).

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait une stricte application de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question, s’appuyant essentiellement sur les principes qui ont été dégagés par celle-ci. Rappelons qu’il s’agissait de vérifier notamment la régularité de l’octroi de ce type d’avantage (non passible de cotisations de sécurité sociale) lorsque l’indemnité était réservée à certains travailleurs en violation de l’article 45 de la loi du 27 juin 1969, qui dispose que l’employeur qui accorde volontairement à son personnel des avantages d’ordre social complémentaires de ceux qui résultent de la loi doit les accorder sans distinction à tous les travailleurs de son entreprise appartenant à une même catégorie.

L’on peut encore renvoyer, sur la question, à un arrêt plus récent de la Cour de cassation, rendu le 25 mars 2019 (Cass., 25 mars 2019, n° S.17.0048.F). Dans celui-ci, elle a considéré en substance que la nature de complément aux avantages accordés pour les diverses branches de la sécurité sociale au sens de l’article 2, alinéa 3, 1°, c), de la loi du 12 avril 1965 (complément aux allocations familiales en l’espèce) ne ressort pas de la constatation que ces « avantages alternatifs » sont exonérés de cotisations sociales, constituant des allocations familiales extra-légales, et que, de ce fait, le travailleur perçoit un montant supérieur (de 13,07%) à celui de sa rémunération brute initiale.


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