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Analyse de la C.C.T. n° 109 au regard des normes supranationales et de la Constitution

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 26 mars 2019, R.G. 17/1.199/A

Mis en ligne le lundi 14 octobre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 26 mars 2019, R.G. 17/1.199/A

Terra Laboris

Par jugement du 26 mars 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) donne sa lecture de la définition du licenciement manifestement déraisonnable au sens de l’article 8 de la C.C.T. n° 109 et rappelle l’étendue du contrôle judiciaire dans la vérification du motif de licenciement.

Les faits

Un employé, chef du département infirmier d’un centre psychiatrique, est licencié après huit mois d’exécution du contrat.

Quelque temps après son engagement, suite à une inspection des services compétents de la Région wallonne, une mise en conformité est apparue indispensable et l’intéressé s’y attelle. Les relations avec le directeur du centre deviennent assez tendues et des reproches lui sont faits, reproches sur lesquels il s’explique. Il tombe alors en incapacité de travail et reçoit, trois semaines plus tard, notification de la rupture du contrat. Il y est fait état d’une décision prise par le Conseil d’Administration, le motif étant que la personne ne convient pas à la fonction de responsable du département. Une indemnité compensatoire de préavis est payée.

Une procédure sera introduite en demande de paiement d’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision du tribunal

Le tribunal fait un long rappel en droit, se fondant essentiellement sur une précédente décision, rendue le 21 novembre 2016 par le Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Dinant, 21 novembre 2016, R.G. 15/1.020/A). Ce rappel passe par la définition du licenciement, telle que donnée par l’article 8 de la C.C.T., et le commentaire de cette disposition est repris. Rappelant que celui-ci contient deux conditions cumulatives et que la double exigence (motif sans lien avec l’aptitude, la conduite ou les nécessités de fonctionnement de l’entreprise et décision que n’aurait pas prise un employeur normal et prudent), il considère que ceci relève du cas d’école.

Pour le tribunal, appliquer cette disposition de manière stricte heurte à la fois l’article 24 de la Charte sociale européenne et l’article 23 de la Constitution. Il renvoie également à l’article 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont les commentaires se réfèrent à l’article 24 de la Charte sociale. En vertu de la Charte des droits fondamentaux, tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. Il rappelle également le texte 24 de la Charte sociale, tout en soulignant que si la Belgique a ratifié ce texte, elle a fait une réserve précisément sur cet article – qui se base sur la convention n° 158 de l’O.I.T. Il s’agit également d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement et les Etats s’engagent à cet égard à reconnaître au travailleur le droit à ne pas être licencié sans motif valable (avec référence aux séries de motifs repris dans la C.C.T.), ainsi que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

Le jugement aborde également l’article 23 de la Constitution, qui interdit de réduire sensiblement le niveau de protection d’un droit reconnu constitutionnellement, notamment en droit du travail (sauf motif lié à l’intérêt général). Tel est, pour le tribunal, le cas de l’article 8, qui pose deux conditions cumulatives. Seule est admissible, pour le tribunal, une lecture de la C.C.T. sous la forme positive, étant celle compatible avec les dispositions supérieures examinées supra.

Sur le contrôle judiciaire, celui-ci vise la légalité du motif invoqué, sa réalité et le lien de causalité nécessaire entre celui-ci et le licenciement.

Juge des nécessités de l’entreprise, de sa gestion et de la valeur des travailleurs, l’employeur demeure libre de licencier, le tribunal ayant un contrôle marginal de légalité et non un contrôle d’opportunité. Le choix ne peut cependant relever de l’arbitraire.

Dans son examen, le juge doit respecter également un principe de proportionnalité dans l’appréciation du motif, et ce eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation rendue à propos de l’ancien article 63 L.C.T. (Cass., 27 septembre 2010, n° S.09.0088.F ; Cass., 22 novembre 2010, n° S.09.0092.N).

En d’autres termes, le motif doit être légitime, valable et raisonnable.

En l’espèce, le motif est tiré des nécessités de fonctionnement de l’entreprise. Le tribunal retient que le demandeur n’a actionné aucun mécanisme de nature à le décharger du fardeau de la preuve, n’ayant pas demandé les motifs du licenciement et celui-ci n’ayant pas été motivé spontanément. Il a dès lors la charge de la preuve, étant qu’il doit démontrer une faute, un dommage et un lien de causalité directe.

Examinant, à partir d’un important dossier soumis par l’employeur, les (brèves) relations professionnelles, le tribunal retient que si le demandeur avait des fonctions importantes, l’employeur a la responsabilité et le pouvoir de décision quant à la gestion stratégique de l’entreprise et que les fonctions dirigeantes doivent s’y conformer. Ceci vaut également pour les entreprises du secteur non marchand.

Constatant par ailleurs des difficultés relationnelles avec les subordonnés du demandeur, le tribunal retient une impression nette d’une difficulté de dialogue. La remise d’un certificat d’incapacité de travail, couplée à des courriers très circonstanciés dans le contexte de tensions, rendait la relation plus compliquée.

Par ailleurs, les responsabilités de l’intéressé devaient se poursuivre même en son absence et le tribunal conclut que la décision prise n’apparaît pas dénuée de raison, en termes de gestion de l’institution et des intérêts en jeu (s’agissant de l’institution elle-même, des patients et du personnel). Un employeur normal et raisonnable aurait, pour le tribunal, « sans doute » agi de la sorte.

Aucune des deux conditions de l’article 8 n’est en conséquence rencontrée et le demandeur est débouté de sa demande.

Intérêt de la décision

Les décisions rendues à propos du contrôle du motif de licenciement commencent à être très nombreuses, et ce essentiellement au niveau des tribunaux du travail.

Les difficultés de compréhension du texte de la C.C.T. ont donné lieu à diverses interprétations en doctrine, sur plusieurs questions (dont le formalisme de la demande de communication des motifs). L’ambiguïté de la définition donnée par l’article 8 a cependant été l’occasion des commentaires les plus nombreux.

Le jugement cite d’ailleurs à cet égard diverses contributions en doctrine. La conjonction « et » ne peut, selon le courant de jurisprudence rejoint par le Tribunal du travail de Liège dans le jugement annoté, imposer deux conditions cumulatives. Renvoyant aux principes protecteurs contenus dans des textes supranationaux, ainsi qu’à l’article 23 de la Constitution, le tribunal opte pour une lecture moins stricte de la disposition, qui aboutit à transformer le « et » en « ou ».

Il est particulièrement intéressant de noter que l’article 23 de la Constitution a été invoqué aux fins de rappeler que cette double exigence ne figurait pas dans l’ancien article 63 L.C.T., celui-ci – certes applicable uniquement aux ouvriers – ne contenant sur cette question que la définition des sortes de motifs licites, étant ceux liés à l’aptitude ou à la conduite du travailleur, ou encore aux nécessités de fonctionnement de l’établissement, de l’entreprise ou du service.

Par ailleurs, et très utilement, cette jurisprudence renvoie aux deux derniers arrêts rendus par la Cour de cassation à propos de cet article 63, étant les décisions des 27 septembre 2010 et 22 novembre 2010. Le tribunal a rappelé que la Cour de cassation a utilisé les termes suivants (sous l’empire donc de l’ancien texte) : « Il ressort de la genèse de la loi que les règles en matière de licenciement abusif visent à interdire tout licenciement pour des motifs manifestement déraisonnables. Il s’ensuit qu’un licenciement pour un motif lié à l’aptitude ou à la conduite de l’ouvrier est abusif si le motif est manifestement déraisonnable ».


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