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Exercice d’une activité illégale en A.M.I. : influence sur le délai de prescription ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 18 mars 2019, R.G. 18/905/A

Mis en ligne le vendredi 27 septembre 2019


Tribunal du travail du Hainaut, division Mons, 18 mars 2019, R.G. 18/905/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 18 mars 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division Mons) rappelle d’une part qu’une activité illégale est visée par la loi du 14 juillet 1994 en son article 100 mais, d’autre part, que ce caractère illégal de l’activité n’est pas en soi de nature à porter la prescription de l’action du délai en recouvrement à cinq ans.

Les faits

Un assuré social perçoit des indemnités d’incapacité de travail depuis mai 2014. Il fait l’objet de poursuites concomitamment devant le Tribunal correctionnel du Hainaut pour détention et vente de cannabis. Il bénéficie, dans un jugement du 30 juin 2016, de la suspension du prononcé de la condamnation, le tribunal retenant que les faits concernent une période de près d’un an, à partir de décembre 2014.

Son organisme assureur lui réclame, en conséquence, les indemnités versées, s’agissant d’un montant de l’ordre de 9.300 euros. Il fait également valoir qu’il y a eu des manœuvres frauduleuses, et ce eu égard à la condamnation pénale. La mutuelle introduit une procédure, en demande de condamnation de l’intéressé. Celui-ci se retrouve dès lors défendeur.

Position des parties

La partie demanderesse maintient le montant du remboursement exigé (sous réserve d’une légère modification), considérant que les manœuvres frauduleuses sont établies par la condamnation pénale.

Le défendeur s’en réfère, quant à lui, à justice.

La décision du tribunal

Se pose essentiellement la question de la prescription de l’action, les faits étant établis.

En vertu de l’article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, pour être reconnu incapable de travailler, des conditions précises sont exigées, étant notamment d’avoir cessé toute activité. Rappelant la doctrine de la Cour de cassation à cet égard (Cass., 19 octobre 1992, n° 7.952), le tribunal indique que l’assuré social reconnu incapable de travailler interrompt son incapacité indemnisable quand il reprend un travail (salarié ou non). Il y a lieu de déterminer la notion d’activité figurant dans cette disposition légale. La jurisprudence considère qu’il faut viser par là toute occupation orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui. Il importe peu à cet effet que cette activité soit occasionnelle, voire même exceptionnelle.

Pour ce qui est de la prescription de l’action en récupération d’indu, celle-ci est de deux ans à compter de la fin du mois au cours duquel le paiement des prestations a été effectué, et ce conformément à l’article 174, alinéa 1er, 5°, de la loi. Ce délai est porté à cinq ans en cas de manœuvres frauduleuses (même disposition, alinéa 3).

Le tribunal relève que la notion de fraude ou de manœuvres frauduleuses n’a pas été définie par le législateur dans ce secteur de la sécurité sociale.

De manière générale, par dol, il faut viser tous les cas de surprise, de fraude, de finesse, de feintise, ainsi que toute autre mauvaise voie destinée à tromper quelqu’un.

La fraude fait l’objet d’une définition plus large, portant sur les agissements malhonnêtes aux yeux de la loi (abstention, omission, agissement volontairement illicite) en vue d’obtenir indûment l’octroi ou le maintien de prestations. N’est pas visée la simple erreur administrative. Il faut que l’assuré social ait conscience de ce que ses actes ou son abstention ont pour conséquence la perception d’un indu (il est renvoyé ici à plusieurs décisions de la Cour du travail de Mons, dont C. trav. Mons, 23 avril 2015, R.G. 2014/AM/185, et à la doctrine de M. MORSA, « De la prescription de l’action en récupération en matière d’assurance maladie-invalidité », C.D.S., 2013, p. 513 notamment).

Le tribunal fait sienne la position de la Cour du travail de Mons, pour qui est visée la manière dont sont introduites certaines demandes de prestations, les candidats sachant ou se doutant qu’ils n’y ont pas droit (ou du moins dans la mesure où elles sont demandées) et qui donnent des informations sciemment inexactes ou omettent volontairement des renseignements, aux fins d’obtenir une décision administrative non conforme à leurs droits.

Après ce rappel des principes, il examine la situation de l’intéressé, qui a vendu du cannabis. Il s’agit d’une activité au sens de la loi, l’intéressé cessant ainsi de remplir les conditions de l’article 100. L’indu est dès lors avéré.

Sur le plan de la prescription, pour le tribunal, il n’est nullement établi que, lorsque l’intéressé exerçait l’activité de vente de cannabis, il aurait été conscient de l’incidence que ceci pouvait avoir sur son droit aux indemnités. Par ailleurs, s’il a effectué cette activité, ce n’est pas dans le but d’obtenir des indemnités d’incapacité de travail, puisqu’il en bénéficiait déjà.

Le tribunal s’écarte de l’avis de l’auditeur du travail (qui avait conclu à l’existence de manœuvres frauduleuses), et ce au motif qu’un comportement pénalement répréhensible, comme en l’espèce, n’est pas en soi constitutif de telles manœuvres à l’égard des institutions de sécurité sociale. Il appartient à l’organisme assureur de rapporter la preuve d’une intention dolosive, ce qu’il ne fait pas.

En l’occurrence, la décision de récupération d’indu étant notifiée en dehors du délai de deux ans, la mutuelle, qui demande le bénéfice du délai de cinq ans, est déboutée, le tribunal considérant que c’est le délai de deux ans qui était applicable.

Intérêt de la décision

Ce bref jugement rappelle la notion d’activité, au sens de la législation A.M.I., étant qu’il doit s’agir de toute occupation – lucrative ou non – orientée vers la production de biens ou de services permettant directement ou indirectement de retirer un profit économique pour soi-même ou pour autrui, l’activité pouvant être occasionnelle ou même exceptionnelle. Il a également été admis que l’activité illégale est visée et l’on peut rappeler à cet égard un arrêt de la Cour du travail de Mons du 14 mai 2009 (C. trav. Mons, 14 mai 2009, R.G. 19.839 – précédemment commenté) rendu à propos d’une incarcération suite à l’exercice d’un trafic de stupéfiants.

L’intérêt particulier du jugement est d’avoir dissocié le caractère illégal de l’activité de la condition de manœuvres frauduleuses exigée aux fins d’allonger la prescription du délai de l’action en recouvrement de deux à cinq ans. Les manœuvres frauduleuses interviennent uniquement dans ce cadre et la seule circonstance qu’il s’agisse d’une activité illégale en elle-même n’est pas de nature à avoir cette incidence sur le délai de prescription.


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