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Intérêts sur allocation annuelle en accident du travail en cas d’inertie procédurale : un rappel des règles

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 2 avril 2019, R.G. 04/74.722/A

Mis en ligne le lundi 23 septembre 2019


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 2 avril 2019, R.G. 04/74.722/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 2 avril 2019, statuant après expertise, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle que les intérêts sont dus de plein droit sur les indemnités et allocations dues en réparation d’un accident du travail, eu égard aux dispositions de la Charte de l’assuré social, et ce même si la procédure a été anormalement longue.

Rétroactes

Suite à un accident du travail, une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles. Par jugement du 25 mai 2004, celui-ci ordonna une expertise médicale et le rapport fut déposé au greffe le 18 mai 2006.

En février 2017, intervint une reprise d’instance, eu égard à la reprise des droits et obligations de l’assureur-loi initial, et ce par une autre entreprise d’assurances.

Le tribunal fixa alors un calendrier de procédure et l’affaire fut mise en état, pour être plaidée en mars 2019.

La décision du tribunal

Le tribunal constate que les conclusions de l’expert judiciaire ne sont pas contestées, mais que se posent d’abord une question relative au salaire de base et, surtout, une autre, concernant les intérêts.

Pour ce qui est du salaire de base, l’intéressé a été considéré comme travailleur à temps partiel et rien n’est venu démentir cette mention au dossier, le demandeur ne déposant pas d’éléments permettant de le considérer comme travailleur à temps plein.

C’est dès lors la rémunération à temps partiel (19 heures par semaine) qui est reprise pour déterminer le montant des indemnités journalières dans le cadre de l’incapacité temporaire. C’est par contre la rémunération à temps plein qui sert de base au calcul de l’allocation annuelle relative à l’incapacité permanente.

Sur les intérêts, se pose la question du très long délai entre le dépôt du rapport d’expertise et la date à laquelle la procédure a été reprise. Il y a entre ces deux dates un hiatus de 10 ans et 8 mois.

L’entreprise d’assurances sollicite, eu égard à cet état de fait, une suspension des intérêts, vu l’inertie du demandeur.

Le tribunal examine ainsi les règles de la loi du 10 avril 1971 concernant ceux-ci. Ils sont prévus par l’article 42 de la loi, qui dispose que les indemnités légales portent intérêt de plein droit à dater de leur exigibilité.

Dans un arrêt du 18 septembre 1996 (Cass., 18 septembre 1996, n° P.960127.F), la Cour de cassation a rappelé que les intérêts compensatoires sont destinés à réparer le préjudice subi par la victime en raison du retard mis par le tiers à réparer son dommage. Dans la mesure où ce retard est imputable à une faute ou à une négligence de la victime elle-même, celle-ci n’est en conséquence pas fondée à demander la réparation, même si le tiers responsable n’a subi aucun préjudice en raison de ce retard. Il est, comme le souligne le tribunal, de jurisprudence constante que le fait pour un créancier de réclamer des intérêts pendant toute la durée de la procédure – anormalement longue du fait de sa propre carence – constitue un abus de droit.

Des circonstances doivent cependant être prises en compte, étant d’une part que les deux parties disposaient de la possibilité de faire plaider l’affaire et que, d’autre part, il y a responsabilité conjointe de celles-ci dans l’inertie constatée.

Malgré ce constat, le tribunal ne conclut pas à la réduction des intérêts, qui aurait pu être décidée, en suspendant ceux-ci pendant la moitié de la procédure, cette solution reviendrait à faire fi d’un élément important, étant la qualité d’institution de sécurité sociale de l’entreprise d’assurances. Celle-ci a des obligations d’information, de conseil et de respect du principe de bonne administration. Il rejette dès lors la demande de suspension formulée.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles rappelle deux règles.

La première est qu’en matière de contrat à temps partiel, la loi du 10 avril 1971 contient une disposition spécifique, étant l’article 37bis. Celui-ci vise à la fois l’hypothèse d’un engagement dans un seul contrat à temps partiel ou de l’existence de plusieurs contrats, mais toujours et uniquement à temps partiel. Cette disposition est dérogatoire et doit être interprétée restrictivement, étant exigé que ce soit l’engagement lui-même qui soit à temps partiel et non que la réduction des prestations soit due à des circonstances intervenues dans le cours de l’exercice du contrat (réduction temporaire de travail, congé parental, etc.). Dans le cadre de l’incapacité temporaire, la référence est faite au contrat à temps partiel lui-même, alors que, pour l’incapacité permanente, il s’agit d’indemniser la perte de capacité concurrentielle du travailleur, ce qui exige que cet examen sorte du cadre de l’engagement du temps partiel existant au moment de l’accident.

Un deuxième point d’intérêt est la question des intérêts judiciaires, dont la suspension était demandée, du fait de l’important hiatus temporel entre le dépôt du rapport d’expertise et la reprise de l’instruction judiciaire. Le tribunal rappelle à juste titre deux principes, qu’il considère comme déterminants en vue de faire échec à la demande de suspension des intérêts (totale ou partielle) pendant cette instruction, étant la circonstance (i) que, dans le cadre de la procédure, chacune des parties peut faire refixer la cause aux fins de vider l’instance et (ii) que l’entreprise d’assurances est une institution coopérante de sécurité sociale au sens de la Charte de l’assuré social. A ce dernier titre, elle a un devoir d’information, de conseil et de respect du principe de bonne administration. C’est à notre sens la première fois que ces obligations sont rappelées dans ce cadre.


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