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Un policier peut-il introduire une demande d’indemnisation pour un burnout ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 7 février 2019, R.G. 17/32/A

Mis en ligne le mardi 10 septembre 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 7 février 2019, R.G. 17/32/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 7 février 2019, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) ordonne une expertise judiciaire, demandée par un membre d’une Zone de police, dans le cadre d’une action en réparation des séquelles d’une maladie professionnelle qualifiée de burnout. La décision est rendue dans la stricte ligne de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016.

Les faits

Un policier, au service d’une Zone de police depuis 1996, introduit une demande d’indemnisation d’une maladie ne figurant pas sur la liste, en date du 10 décembre 2014. La maladie visée est un burnout. FEDRIS a communiqué ses conclusions (négatives) sur cette demande et la Zone de police a conclu dans ce sens, l’intéressé – qui avait reçu le projet de décision en date du 1er septembre 2015 – n’ayant pas fait d’observations dans le délai légal de 30 jours.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail, le demandeur sollicitant qu’il soit dit pour droit qu’il est affecté d’une maladie professionnelle donnant lieu à réparation, par application de la loi du 7 décembre 1998 organisant les services de police intégrés structurés à deux niveaux, ainsi que de l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant sur le statut juridique du personnel des services de police, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 (concernant certains membres du personnel appartenant aux administrations provinciales et locales) et de la loi-cadre du 3 juillet 1967. Subsidiairement, il sollicite la désignation d’un expert. La demande porte également, au cas où le tribunal devrait estimer que le burnout ne constitue pas une maladie professionnelle, sur l’indemnisation d’une maladie en relation avec le travail.

La procédure

Suite à l’action mue par le policier contre la Zone de police, FEDRIS est intervenue comme partie intervenante volontaire.

Position des parties devant le tribunal

Pour le demandeur, le burnout est une maladie hors liste. Il établit qu’il est atteint de celle-ci et que l’exposition au risque est présumée (le demandeur estimant que, si la présomption ne devait pas jouer, il apporte la preuve du lien causal).

La Zone de police reprend l’argumentation de FEDRIS, qui considère que, dans la mesure où l’intéressé impute l’existence de sa pathologie à des faits de harcèlement émanant de sa hiérarchie, l’indemnisation est à rechercher dans le cadre de la loi du 4 août 1996 et non dans la législation des maladies professionnelles. A titre subsidiaire, si l’examen devait intervenir eu égard à celle-ci, l’Agence considère que les conditions d’indemnisation de l’article 30bis ne sont pas réunies. FEDRIS aborde successivement les points relatifs à l’atteinte, à l’exposition au risque, au lien causal direct et déterminant et au dommage.

Pour ce qui est de l’atteinte, FEDRIS estime que le demandeur ne précise pas la pathologie exacte dont il est atteint (burnout ?, dépression ?, angoisse et stress ?). Celui-ci ayant par ailleurs été déclaré définitivement inapte à l’exercice de la profession pour une durée de 6 mois par la Commission d’aptitude du personnel des services de police le 20 février 2014, FEDRIS estime que cette décision ne lui est pas opposable et qu’elle ne précise pas la pathologie exacte, dans la mesure où elle invoque également des troubles dépressifs. Pour l’Agence, il s’agit de symptômes de dépression sévère réactionnelle eu égard à un contexte de relations interpersonnelles dégradées, celles-ci n’étant pas spécifiques d’un contexte de travail mais pouvant apparaître dans n’importe quelle situation de la vie courante.

Sur l’exposition au risque, FEDRIS estime que l’intéressé doit en rapporter la preuve, ce qu’il reste en défaut de faire.

La même position est développée pour ce qui est du lien causal, déterminant et direct, l’Agence estimant que le demandeur ne prouve pas que l’exercice de sa profession a eu un rôle décisif, prépondérant, fondamental et certain dans la survenance de la pathologie et se référant à des problèmes psychologiques subis par l’intéressé et dont l’origine semble exclusivement imputable aux traits de sa personnalité.

Enfin, sur le dommage, FEDRIS fait encore grief au demandeur de ne pas rapporter la preuve de l’existence de celui-ci.

La position du tribunal

Le tribunal se penche en premier lieu sur l’intervention volontaire de FEDRIS et admet son intérêt à intervenir dans la procédure. FEDRIS a, dans le cadre de l’arrêté royal du 21 janvier 1993, mené l’instruction à la demande de la Zone de police. Elle ne pourra cependant être poursuivie en vue de l’indemnisation d’un dommage qui serait retenu, le débiteur de la réparation étant la Zone de police.

Le tribunal fait ensuite une remarque liminaire importante, étant qu’il ne se déduit d’aucune disposition inscrite dans la loi du 4 août 1996 qu’un travailleur souffrant d’une pathologie imputable à des faits de harcèlement ne puisse introduire une demande de réparation sur une autre base légale, dont en l’espèce l’arrêté royal du 21 janvier 1993.

Il en vient ensuite aux principes de l’indemnisation des maladies professionnelles dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, applicable en l’espèce en vertu de l’arrêté royal du 21 janvier 1993. Il retient que la condition d’exposition au risque n’est pas libellée par la loi-cadre mais par l’arrêté royal lui-même, celui-ci prévoyant que la présomption s’applique quel que soit le travail effectué.

Il renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016 et à la doctrine (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F et commentaire de B. GRAULICH et S. REMOUCHAMPS, « Condition d’exposition au risque dans le secteur public : la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées n’a pas lieu d’être », www.terralaboris.be).

Pour ce qui est du lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque, il rappelle l’enseignement de la Cour du travail de Mons, s’appuyant sur l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1998, sur la notion de « lien direct et déterminant ». Cet arrêt a notamment souligné que la Cour de cassation a singulièrement réduit la portée des termes légaux, permettant d’en revenir à la conception de la causalité issue de la théorie de l’équivalence des conditions, et qu’il y a, en conséquence, causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que coexistent d’autres causes, étrangères à celui-ci. Dès lors que la victime établit ce lien entre la maladie et l’exercice de la profession, elle n’est pas tenue de prouver l’importance de l’influence des autres causes potentielles de celle-ci.

Il faut dès lors, en cas de maladie hors liste, prouver dans le chef du demandeur que (i) il est atteint d’une maladie et que (ii) l’exposition au risque (qui est présumée) est la cause déterminante et directe de celle-ci.

Pour le tribunal, l’expertise judiciaire se justifie, dans la mesure où la partie qui la sollicite produit un commencement de preuve de la maladie ou de l’exposition. Renvoi est ici fait à un autre arrêt de la Cour du travail de Mons du 20 octobre 2014 (C. trav. Mons, 20 octobre 2014, R.G. 2011/AM/244), notamment.

Pour ce qui est de la maladie, le diagnostic de burnout a été clairement établi par Commission d’aptitude, et ce tant en première instance qu’en appel. Ces décisions sont opposables à la Zone de police, qui est le seul débiteur. Le dossier médical est par ailleurs très étayé.

Sur la cause déterminante et directe, le demandeur doit, pour le tribunal, apporter un début de preuve des faits avancés, à savoir que la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, et ce peu importe qu’il y ait d’autres causes étrangères à celui-ci. Les éléments médicaux produits constituent des éléments suffisants en ce sens et justifient qu’il soit fait droit à la demande de désignation d’un expert.

Celui-ci est dès lors désigné, aux fins de déterminer notamment si, à la date de la demande ou à celle de la décision notifiée par l’autorité, le demandeur est resté atteint d’un burnout et si, dans l’état actuel des connaissances médicales, le burnout peut être qualifié de maladie. Dans l’affirmative, l’expert doit donner son avis sur la circonstance que l’exercice de la profession a, parmi d’autres facteurs, pu causer ou aggraver celle-ci, ce facteur pouvant être secondaire et non prépondérant mais devant cependant rester déterminant, ce qui suppose qu’il soit établi avec certitude que, sans le facteur professionnel, la maladie ne serait pas présentée telle qu’elle a été constatée. L’expert doit également proposer un taux d’incapacité physiologique de travail, dont il doit indiquer le point de départ, la durée, la nature permanente ou non, et ce sans préjudice de facteurs socio-économiques appropriés.

Intérêt de la décision

Ce jugement est important.

Il fait en effet suite à des développements de premier ordre intervenus dans cette matière, suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F), arrêt qui s’est prononcé sur la condition d’exposition au risque dans le secteur public et a jugé que la référence (traditionnelle) à l’article 32 des lois coordonnées dans le secteur privé n’a pas lieu d’être. Cet arrêt a été précédemment commenté.

Il faut y ajouter un dernier arrêt de la Cour de cassation, intervenu le 10 décembre 2018 (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F – précédemment commenté), qui a posé le principe que la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public s’applique aussi aux maladies hors liste.

Ces deux arrêts, examinés avec l’arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 2 février 1998 (Cass., 2 février 1998, n° S.97.0109.N), ont considérablement clarifié la matière sur le plan des obligations de preuve d’un demandeur en réparation d’une maladie professionnelle hors liste dans le secteur public (l’arrêt de la Cour de cassation du 2 février 1998 valant à la fois pour le secteur public et pour le secteur privé).

L’on peut encore rappeler, pour ce qui est de la jurisprudence récente sur la question, l’arrêt de la Cour du travail de Mons du 28 mars 2018 (C. trav. Mons, 28 mars 2018, R.G. 2017/AM/103 – précédemment commenté), cité dans le jugement.


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