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Réduction de cotisations de sécurité sociale « groupe cible – nouvel employeur » : des précisions

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Namur), 20 décembre 2018, R.G. 17/1.129/A

Mis en ligne le vendredi 30 août 2019


Tribunal du travail de Liège (division Namur), 20 décembre 2018, R.G. 17/1.129/A

Terra Laboris

Par jugement du 20 décembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Namur) reprend les conditions d’octroi des réductions de cotisations de sécurité sociale en cas d’engagement d’un nouveau travailleur, eu égard d’une part à la notion d’unité technique d’exploitation et, d’autre part, à celle de travailleur actif.

Objet du litige

Le 3 août 2017, l’O.N.S.S. a pris une décision, annulant l’octroi de réductions de cotisations sociales pour groupe-cible « premiers engagements » dont avait bénéficié une société. Elle forme un recours devant le tribunal du travail, ayant versé les compléments demandés et en demandant le remboursement.

La décision du tribunal

Le tribunal fait un rappel important des conditions de la loi-programme du 24 décembre 2002, dont l’article 342 a introduit les réductions « groupe-cible – premiers engagements ». Cette disposition concerne les employeurs qui peuvent être considérés comme de nouveaux employeurs. Ceux-ci sont définis dans la loi (article 343) : sont considérés comme tels (§ 1er), pour l’engagement d’un premier travailleur, ceux qui n’ont jamais été soumis à la législation relative à la sécurité sociale des travailleurs salariés (sauf pour certaines catégories de travailleurs) ou qui ont cessé, depuis au moins quatre trimestres consécutifs précédant le trimestre de l’engagement, d’y être soumis et (§ 2) pour l’engagement d’un deuxième travailleur, ceux qui, depuis au moins quatre trimestres consécutifs précédant celui de l’engagement, n’ont pas été soumis à la législation précitée en raison de l’occupation de plus d’un travailleur (sauf les mêmes catégories de travailleurs).

Ne peuvent bénéficier, cependant, de ces dispositions les employeurs dont le travailleur nouvellement engagé remplace un travailleur qui était actif dans la même unité d’unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement (article 344). Le tribunal souligne que la législation actuelle n’impose plus, contrairement à la situation précédente, une augmentation nette de l’effectif du personnel.

Il convient de vérifier, aux fins de l’application des dispositions visées, (i) si l’employeur peut avoir la qualité de « nouvel employeur », (ii) dans l’affirmative, s’il constitue une unité technique d’exploitation avec une ou plusieurs autres structures juridiques, (iii) dans l’affirmative encore, si l’U.T.E. occupait dans les quatre trimestres précédant l’engagement un ou plusieurs travailleurs et (iv) enfin si le travailleur pour lequel la réduction est demandée remplace un ancien travailleur actif dans l’U.T.E.

Pour ce qui est de la notion d’U.T.E., celle-ci n’est pas précisée dans la loi, les travaux préparatoires rappelant l’objectif du législateur, qui est d’éviter que, par la filialisation d’entreprises, l’on considère que l’on a affaire à un nouvel employeur, étant que la mesure ne peut en effet bénéficier à l’employeur qui aurait, ainsi, procédé à un simple changement de statut juridique.

Si la loi-programme du 24 décembre 2002 renvoyait, pour la définition de l’U.T.E., à celle du 20 septembre 1948 portant organisation de l’économie, ce renvoi a été abandonné lors de la loi-programme du 22 décembre 2003, dont l’article 50 a supprimé ce renvoi qui figurait à l’article 344 de la loi-programme du 24 décembre 2002. Il est dès lors de jurisprudence que l’interprétation de la notion ne peut plus se faire au regard de la loi du 20 septembre 1948 (le tribunal renvoyant à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 13 avril 2016 (R.G. 2014/AB/558).

La Cour de cassation a été saisie et a précédemment rendu un arrêt le 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), dans lequel elle a jugé qu’il faut examiner s’il y a unité technique d’exploitation à la lumière de critères socio-économiques, ceci signifiant qu’il faut examiner si l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant l’engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par celui nouvellement engagé. La Cour suprême a encore précisé que la circonstance qu’un travailleur a été licencié par son employeur et engagé quelques mois plus tard par un autre employeur n’empêche pas qu’il y a lieu de prendre celui-ci en compte lors de l’examen de l’existence éventuelle d’un lien social entre les deux entités exploitées par les deux employeurs.

Pour le tribunal, il ressort de l’enseignement de la Cour de cassation qu’il faut donc examiner les critères sociaux d’une part et les critères socio-économiques de l’autre.

Pour ce qui est des critères sociaux, il renvoie au même arrêt de la Cour du travail de Bruxelles, selon lequel un transfert de personnel, même postérieur à une rupture de contrat de travail, est un élément pertinent pour l’appréciation de ceux-ci. La présence d’une même personne, au sein de différentes entités juridiques envisagées, doit être prise en considération pour apprécier l’existence du critère social, et ce quelle que soit la qualité en laquelle elle intervient, que ce soit au titre de travailleur, de gérant, d’administrateur, etc. (le tribunal renvoyant à un jugement de la même juridiction, étant Trib. trav. Liège, 14 décembre 2015, R.G. 14/87.557/A).

Par ailleurs, pour ce qui est des critères économiques, ceux-ci visent la manière dont l’activité des entités juridiques distinctes est exercée. Il ne faut pas que l’ensemble des critères soit rencontré, mais il faut examiner (i) l’activité des entités elle-même (identique, similaire ou complémentaire), (ii) l’exercice au départ d’un même lieu, (iii) l’utilisation de matériel (identique), (iv) la clientèle (identique à tout le moins partiellement).

Reste encore un élément de la définition, qui est celui de « travailleur actif », notion non définie dans la loi. Pour le tribunal, il faut entendre par là non seulement celui qui est présent sur le « payroll », mais le travailleur qui a exercé une activité dans l’entreprise.

En l’espèce, il examine la situation présentée, étant de savoir si le nouvel employeur, qui n’a pas été soumis précédemment à la loi du 27 juin 1969, constitue une U.T.E. avec deux autres sociétés.

Pour ce qui est des critères sociaux, ils sont remplis, vu la présence de membres de la direction et les mandats exercés.

Sur le plan des critères économiques, ceux-ci ne sont par contre pas réunis dans toutes les hypothèses, les sociétés relèvent du même secteur d’activité mais sont concurrentes, exercent au départ de sièges et de régions différents et leur clientèle est distincte. Ceci vaut pour les liens entre deux des trois sociétés visées (de A à B et de A à C). Examinant cependant le dernier rapport (B à C), le tribunal retient que celles-ci appartiennent à la même unité technique (identité de siège social, complémentarité de l’activité, clientèle partiellement commune).

Le tribunal examine dès lors s’il y a eu, dans l’engagement litigieux, remplacement d’un travailleur actif au sein de cette U.T.E. et conclut par la négative.

En conséquence, le droit aux réductions doit être reconnu. Il fait dès lors droit au recours introduit et condamne l’O.N.S.S. au remboursement des montants réclamés, à majorer des intérêts au taux légal en matière sociale.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail de Liège, dans la stricte ligne de l’enseignement de la Cour de cassation en son arrêt du 29 avril 2013, approfondit de manière très utile la méthode à suivre, en la matière. L’abandon du renvoi à la notion d’U.T.E. dans le cadre de la loi du 20 septembre 1948 étant acquis, c’est l’arrêt de la Cour de cassation qui a défini la manière de dégager si les critères légaux sont remplis, et ce en mettant sur le même pied les liens sociaux et les liens économiques pouvant exister entre le nouvel employeur et l’entité qui, au cours des douze mois précédant l’engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par celui nouvellement engagé.

Le tribunal procède, en sus de l’énoncé des critères légaux, à un examen circonstancié des critères sociaux d’abord et des critères économiques ensuite et, enfin, conclut que, par « travailleur actif », il faut comprendre celui qui a exercé une activité au sein de l’entreprise. Il précise encore que l’emploi de l’adjectif « actif » aurait été inutile si la présence d’un travailleur sur le « payroll » de l’entreprise d’une même U.T.E. suffisait à exclure l’application des mesures et qu’il semble que cette notion renvoie à l’ancien article 117, § 2, de la loi-programme du 30 décembre 1988, dont les termes étaient qu’il faut entendre par là le travailleur « ayant exercé des activités » dans la même U.T.E. au cours de la période de référence.


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