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Absence de Dimona et amende administrative

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 22 novembre 2018, R.G. 17/4.276/A

Mis en ligne le vendredi 12 juillet 2019


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 22 novembre 2018, R.G. 17/4.276/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 22 novembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) renvoie à la jurisprudence de la Cour de cassation, dans son arrêt du 14 mai 2012, rappelant que l’ignorance n’est une cause d’excuse que si elle est invincible, étant que l’on puisse déduire des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise que la personne qui y a versé a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente.

Les faits

Suite à un contrôle, le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale inflige une amende administrative à un employeur, au motif d’infraction à la réglementation en matière de Dimona. Il y a infraction en l’espèce aux articles 88 de l’arrêté royal du 5 novembre 2002 et 181, § 1er, 1°, du C.P.S.

Le contrôle a été mené dans un débit de boissons de la région liégeoise à trois heures différentes dans la même journée. Il a été constaté qu’une personne était présente et « affairée dans le commerce ».

Interrogée, elle déclarera qu’elle est une amie du propriétaire et qu’elle se sert pour sa consommation personnelle. L’exploitant dit qu’il s’agit de sa compagne. Ces constatations sont faites lors du premier passage des inspecteurs. Lors des deux passages suivants, il est constaté qu’elle est toujours présente dans le bar et qu’elle aide au rangement.

Un Pro Justitia est dressé. L’intéressé conteste occuper du personnel non déclaré, exposant notamment que son établissement est proche du commissariat de police et que, si tel était le cas, la chose aurait pu être constatée. Il se plaint également d’acharnement de contrôles fréquents et annonce qu’il envisage de fermer son établissement.

L’Auditorat du travail classera le dossier sans suite.

Une décision est finalement prise de lui infliger une amende administrative de 1.800 euros. Il introduit un recours devant le tribunal du travail.

Position des parties devant le tribunal

Le demandeur considère que la prévention n’est pas établie et que ses droits de défense n’ont pas été respectés, la décision étant nulle vu, en outre, son défaut de proportionnalité et de finalité au sens des articles 18 et 19 du C.P.S. Il considère également que l’élément moral fait défaut. Subsidiairement, à défaut d’annulation de la décision, il demande un sursis ou encore la réduction de l’amende et des termes et délais.

Quant au SPF, il demande au tribunal de confirmer la décision, estimant les préventions établies, les droits de défense ayant été respectés.

Position de l’auditorat

Pour l’auditorat, l’infraction est établie. Sur la question précise du respect des droits de défense, il souligne que les principes de l’arrêt SALDUZ s’appliquent au demandeur mais non à la travailleuse, qui avait la qualité de témoin.

Vu l’absence d’antécédents, l’auditeur estime que l’amende administrative aurait pu être de 1.000 euros.

La décision du tribunal

Le tribunal considère, en premier lieu, sur la matérialité des faits, que la prévention est établie, le procès-verbal de constat faisant foi quant aux constatations de la présence et des activités de l’intéressée. Il rappelle la doctrine (M. FRANCHIMONT, A. JACOBS, A. MASSET, Manuel de procédure pénale, Larcier, 2012, p. 283), qui retient que la force probante particulière du procès-verbal ne s’attache qu’aux constatations matérielles qui ont été faites et non aux déclarations ou encore aux appréciations du verbalisant. La présence et les activités de l’intéressée ayant été constatées, tout autre élément ne vaut qu’à titre de simple renseignement.

Il retient encore, renvoyant à l’arrêt de cassation du 17 juin 2015 (Cass., 17 juin 2015, n° P.15.0554.F), que le fait qu’aucune rémunération ou aucun contrat de travail, « même déformalisé », n’existe est sans intérêt.

Pour ce qui est des droits de défense, il estime qu’ils ont été respectés. Aucune infraction n’étant reprochée à la compagne du demandeur, il faut, en vertu de SALDUZ I, qu’elle ait été informée succinctement des faits pour lesquels elle était entendue et qu’il lui ait été garanti de ne pas s’incriminer elle-même, ce qui ressort du procès-verbal d’audition.

Quant à l’exploitant, s’agissant d’une sanction de catégorie 4 du C.P.S., il devait se voir assurer le droit de consulter un avocat avant d’être entendu. Il n’a cependant pas été procédé à son audition lors du contrôle dans l’établissement, vu une certaine tension parmi les clients de l’établissement. En outre, le tribunal rappelle qu’il lui a été proposé par l’auditeur du travail de présenter ses moyens de défense et qu’il ne l’a pas fait.

Sur le principe de proportionnalité, les moyens mis en œuvre étaient appropriés au regard de la finalité sociale recherchée et l’on peut difficilement imaginer comment l’activité de l’intéressée aurait pu être contrôlée par d’autres méthodes.

Enfin, sur la question de l’élément moral de l’infraction, le tribunal rappelle la jurisprudence en matière de délit réglementaire. L’absence d’élément moral est indifférente. L’infraction est constituée dès lors que le contrevenant a agi par simple négligence, par l’effet de sa volonté libre (revenant ici particulièrement sur un arrêt de la Cour du travail de Liège du 23 avril 2012, R.G. 2011/AL/447).

Soulignant encore que l’ignorance n’est pas une cause d’excuse, sauf si elle est invincible – ce qui n’est pas le cas en l’espèce –, le tribunal renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2012 (Cass., 14 mai 2012, n° S.11.0011.F – S.11.0127.F), dont l’enseignement est que, d’une part, la bonne foi peut constituer une cause de justification lorsqu’elle provient d’une erreur invincible et que, d’autre part, l’erreur de droit peut, en raison de certains circonstances, être considérée par le juge comme invincible à la condition que, de ces circonstances, il puisse déduire que la personne qui y a versé a agi comme l’aurait fait toute personne raisonnable et prudente.

Le tribunal conclut, eu égard à l’absence d’antécédents et à l’âge de l’intéressé, à une réduction d’un tiers de l’amende administrative, avec un sursis de trois ans pour les deux tiers de la somme réduite. L’exploitant paiera, en fin de compte, 400 euros.

Intérêt de la décision

Le tribunal reprend (outre la décision de la Cour du travail de Liège citée) un l’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 19 octobre 2017 (C. trav. Bruxelles, 19 octobre 2017, R.G. 2017/AB/33 – précédemment commenté). Celui-ci avait précisément renvoyé à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2012 sur les causes de justification. Il découle de l’enseignement de la Cour suprême que, dès lors qu’il y a ignorance, il n’y a pas erreur invincible.

En ce qui concerne l’infraction d’absence de déclaration, il s’agit d’une obligation de base qu’aucun employeur raisonnable et prudent ne peut ignorer. La cour du travail avait conclu à l’existence d’une infraction, aux mêmes dispositions que dans la présente espèce. La cour avait rappelé l’importance de la Dimona en ce qui concerne la lutte contre le travail au noir, ce qui a justifié le classement de l’infraction en catégorie 4.


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