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Prise en compte des intérimaires pour les élections sociales

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 2 novembre 2018, R.G. 16/1.139/A et 16/1.224/A

Mis en ligne le vendredi 12 juillet 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi), 2 novembre 2018, R.G. 16/1.139/A et 16/1.224/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 2 novembre 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) rappelle que les intérimaires doivent être pris en compte pour le calcul du personnel occupé au sein de la société utilisatrice, sauf s’ils remplacent effectivement de manière temporaire des travailleurs permanents dont l’exécution du contrat est suspendue, chose qu’il appartient à l’employeur de démontrer.

Les faits

Plusieurs sociétés (quatre) spécialisées dans la même activité (toiture) ont un même siège social et des sièges d’exploitation différents. Un C.P.P.T. a été institué lors des élections sociales de 2008 et de 2012.

En 2016, les sociétés ont respecté l’obligation de notification X-60, mais diverses irrégularités sont intervenues, étant l’absence de consultation avec le C.P.P.T. ainsi que l’absence de communication X-35. Aucun recours n’a à l’époque été introduit. Le conseil d’une des trois organisations syndicales représentatives met les sociétés en demeure d’organiser les élections sociales. Une autre réagit également et, en fin de compte, des recours sont déposés devant le tribunal.

L’une des deux organisations syndicales demande au tribunal de dire pour droit que les quatre sociétés forment une seule unité technique d’exploitation et que, dès lors, il y a lieu d’organiser les élections sociales en vue de l’institution d’un Conseil d’Entreprise et d’un Comité pour la Prévention et la Protection au Travail, et ce sous peine d’astreinte. Dans cette demande, figure à titre subsidiaire une production des relevés des rémunérations des travailleurs pour le dernier trimestre 2015. Ceci doit permettre d’examiner les journées de travail intérimaire ainsi que les absences pour maladie et/ou l’annexe au registre du personnel.

L’autre organisation demande au tribunal de constater que la procédure a été commencée, de fixer le jour X-35 en vue de la reprise de celle-ci. Il est également demandé de reconnaître l’existence d’une seule U.T.E., l’occupation habituelle moyenne étant, pour cette organisation, d’au moins 50 travailleurs, de sorte que les élections sociales qui doivent être organisées portent uniquement sur le C.P.P.T. Plus subsidiairement encore, cette organisation demande au tribunal de reconnaître un abus de droit dans l’arrêt délibéré du processus électoral.

La procédure

Un premier jugement a été rendu le 2 décembre 2016. Le tribunal dit pour droit que le processus électoral pour l’élection des représentants des travailleurs au C.P.P.T. doit être poursuivi et que les sociétés doivent procéder à la communication du jour X-35, à partir duquel la procédure pourra reprendre.

Le tribunal rouvre les débats, aux fins de statuer sur les points non réglés, à savoir la production de documents, afin de déterminer l’occupation des travailleurs intérimaires pendant la suspension de contrat de travailleurs permanents, ainsi que de permettre à l’organisation qui demande que des élections soient tenues aux fins d’instituer un Conseil d’Entreprise de s’expliquer sur le nombre de travailleurs repris dans son calcul.

Un appel a été interjeté devant la première chambre de la Cour du travail de Mons, mais celui-ci a été déclaré tardif par arrêt du 26 mai 2017.

Entre-temps, le processus électoral pour l’institution du C.P.P.T. a été poursuivi et l’affaire revient devant le tribunal.

La décision du tribunal

Le premier point en débat est de déterminer si les quatre sociétés constituent une seule unité technique d’exploitation, question qui amène le tribunal à rappeler que ceci a été tranché dans son jugement du 2 décembre 2016 (ci-dessus), où il a acté qu’un C.P.P.T. commun existe au sein des sociétés depuis deux législatures et que le fait que celles-ci constituent ensemble une U.T.E. doit être tenu pour acquis. Un seul C.P.P.T. a d’ailleurs été mis en place entre temps.

C’est, ensuite, la question du nombre de travailleurs qui est longuement examinée, le tribunal rappelant qu’une des deux organisations retient le chiffre de plus de 100 travailleurs occupés ainsi que le recours à du personnel intérimaire dont il y a lieu de tenir compte.

Pour ce qui est du calcul du seuil, le tribunal rappelle l’article 7 de la loi du 4 décembre 2007, qui fixe la moyenne des travailleurs occupés dans l’entreprise, et ce à partir de l’examen des Dimona, et, pour les travailleurs qui ne sont pas soumis à celle-ci, selon d’autres règles spécifiques. Il s’agit chaque fois de retenir une moyenne théorique selon des critères de comptage précis.

La question des intérimaires fait l’objet d’un point particulier dans la loi du 4 décembre 2007 (article 7, § 4), qui impose de comptabiliser les intérimaires occupés chez l’utilisateur selon des règles particulières, étant que celui-ci doit tenir une annexe générale au registre du personnel, avec des mentions particulières (chacun devant avoir un numéro suivant une numérotation continue et dans l’ordre chronologique de sa mise à disposition). Des renseignements particuliers sont exigés (numéro d’inscription, nom et prénom, date de début et date de fin de la mise à disposition, identité de l’entreprise de travail intérimaire et durée hebdomadaire de travail).

Se pose encore, pour ceux-ci, la question du double comptage (hypothèse du remplacement temporaire d’un travailleur permanent). Il ne faut en effet comptabiliser les intérimaires que lorsqu’un emploi supplémentaire est créé (même de façon temporaire).

Renvoyant à un jugement rendu par le Tribunal du travail de Gand (Trib. trav. Gand, 5 février 2013, T.G.R., 2013, p. 365), le tribunal rappelle que l’employeur a la charge de la preuve de l’application de l’exception autorisée, et ce au motif qu’il est le mieux placé pour démontrer pour quelles raisons il fait appel à des travailleurs intérimaires. Il est également rappelé dans ce jugement du Tribunal du travail de Gand qu’il n’est pas nécessaire que les intérimaires exercent les mêmes fonctions que ceux qu’ils sont supposés remplacer, cette obligation n’étant pas imposée dans la législation relative au travail intérimaire. En outre, des nécessités peuvent imposer des remaniements internes et, notamment, un travailleur absent peut être remplacé par un autre travailleur permanent et celui-ci par un intérimaire.

En l’espèce, le tribunal examine l’annexe générale au registre du personnel reprenant la liste des travailleurs intérimaires pour la période de référence. Il relève que les entreprises d’une certaine envergure, comme celle visée, tiennent compte, dans l’évaluation de leurs besoins en effectifs permanents, de périodes de suspension (vacances annuelles et absentéisme). De même, en cas d’incapacité de travail de longue durée, de surcroît de travail, etc., ou encore par stratégie.

Analysant les éléments produits, le tribunal retient que les sociétés n’apportent pas la preuve (sauf pour deux travailleurs) que les intérimaires remplacent un travailleur permanent dont l’exécution du travail est suspendue.

Il procède dès lors au calcul, conformément à la formule légale. Il aboutit ainsi à la conclusion que le nombre de travailleurs, qui était de 96, doit en réalité être de 96 + 5,9 (étant les jours de travail pris en compte dans chacune des sociétés divisé par 92), soit …101,9 travailleurs. Le seuil est dès lors dépassé et il y a lieu d’organiser les élections en vue d’un Conseil d’Entreprise.

Le tribunal sursoit cependant sur la question de l’astreinte, les élections étant à mettre sur pied dans la quinzaine.

Intérêt de la décision

Ce jugement, qui intervient en-dehors de toute période d’élections sociales, rappelle une problématique délicate, étant celle de la prise en compte des travailleurs intérimaires au sein de l’entreprise utilisatrice.

L’article 7, § 4, de la loi du 4 décembre 2007 a prévu la tenue d’une annexe générale au registre du personnel, aux fins d’avoir toutes précisions sur l’engagement de travailleurs intérimaires. L’on notera que le motif de l’engagement lui-même ne figure pas dans les mentions devant figurer à l’annexe. La moyenne se calcule en divisant par 92 le nombre total des jours civils pendant lesquels chaque intérimaire qui ne remplace pas un travailleur permanent dont l’exécution du contrat de travail est suspendue a été inscrit dans ladite annexe.

La prise en compte intervient dès lors uniquement s’il n’y a pas remplacement d’un travailleur permanent et suspension de son contrat de travail.

Peu de jurisprudence existe, ainsi que le tribunal le relève, et la décision rendue par le Tribunal du travail de Gand le 5 février 2013 est très fouillée, avec divers renvois à la doctrine et à la jurisprudence quant à l’obligation de preuve, qui repose sur l’employeur lorsque celui-ci entend se prévaloir d’une cause d’exception à la règle de la prise en compte des intérimaires.


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