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Sanction disciplinaire : étendue du contrôle des juridictions du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689

Mis en ligne le mardi 25 juin 2019


Cour du travail de Bruxelles, 11 septembre 2018, R.G. 2016/AB/689

Terra Laboris

Par arrêt du 11 septembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la compétence des juridictions du travail pour apprécier une sanction disciplinaire dans le secteur privé, et ce non seulement sur le plan de sa légalité, mais également sur celui de la proportionnalité de la sanction infligée eu égard aux manquements reprochés. La cour examine également une demande de dommage moral eu égard au comportement fautif et léger de l’employeur qui a prononcé cette sanction.

Les faits

Un éducateur est au service d’une institution d’enseignement depuis 16 ans, l’établissement accueillant des enfants et adolescents souffrant de handicap mental ou de troubles comportementaux.

En janvier 2015, il est appelé par une collègue pour maîtriser un enfant très violent. Cet enfant, malgré son jeune âge, est corpulent et très fort. Vu la violence dont il fait montre, les deux éducateurs tentent de le calmer et, n’y arrivant pas, l’un des deux (intimé dans la présente affaire) lui bloque le bras. Celui-ci se plaint alors de douleurs et les parents l’emmènent au service des urgences de l’hôpital le plus proche.

L’éducateur est invité à rester chez lui quelques jours et, suite à une décision de sa direction, il est mis à pied pendant 8 jours.

L’intéressé conteste avoir posé un acte violent et intentionnel, expliquant que c’est la force avec laquelle l’enfant s’est débattu qui a abouti à la situation constatée.

Il a alors une période de 15 jours d’incapacité de travail, suite à laquelle il reprend ses fonctions. La sanction lui est alors appliquée (ayant été « postposée » du fait de l’incapacité). Il conteste cette sanction, via son conseil, mais celle-ci est maintenue.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, l’éducateur demandant l’annulation de celle-ci ainsi que le paiement de l’équivalent de la rémunération afférente à la période de mise à pied. Il sollicite également des dommages et intérêts de 2.500 euros.

Le jugement du tribunal

Par jugement du 25 avril 2016, le tribunal du travail s’est déclaré compétent pour connaître de la sanction disciplinaire, cette compétence étant contestée. Par ailleurs, il a conclu que l’intervention a été graduée et proportionnée à la violence de l’enfant lui-même et que, vu les circonstances de l’espèce, l’intervention n’est pas fautive.

L’institution a été condamnée à payer la rémunération. La demande de dommages et intérêts n’aboutit cependant pas, le tribunal considérant que l’atteinte à l’honneur que l’intéressé a pu ressentir est réparée par l’annulation de la sanction.

Appel est interjeté de cette décision, l’institution contestant la compétence des juridictions du travail et maintenant que la sanction était fondée.

La décision de la cour

La cour tranche dans un premier temps la question de la compétence des juridictions du travail pour ce qui est de l’annulation d’une sanction disciplinaire. La partie appelante considérant d’une part que l’intéressé n’a pas fait valoir son droit de recours interne et que, dès lors, il ne peut plus contester la sanction en justice et, d’autre part, que le choix de la sanction relève du pouvoir discrétionnaire de l’employeur, la cour conclut à sa compétence ratione materiae. Elle s’appuie pour ce faire sur la doctrine de M. DALLEMAGNE (M. DALLEMAGNE, « Les sanctions disciplinaires dans le secteur privé », Le droit du travail dans tous ses secteurs, Anthémis, 2008, pp. 47 et 48), qui a rappelé la possibilité de contester une telle sanction devant les juridictions du travail, et ce par application de l’article 6-1 de la C.E.D.H. ou, « tout simplement », en droit interne en vertu de l’article 578, 1°, du Code judiciaire.

L’épuisement préalable des recours internes n’est par ailleurs pas exigé.

Quant à l’étendue du contrôle judiciaire, le même auteur retient que la jurisprudence plus récente et la majorité de la doctrine considèrent que le contrôle de légalité permet d’exercer un contrôle de proportionnalité.

Elle en vient dès lors à l’examen de la faute et à la demande d’annulation formée.

La cour examine longuement les éléments du dossier, étant le rapport d’incident, de même que les conclusions des parties. Elle retient que, si l’institution entend privilégier la préservation physique de l’enfant, ce principe doit être nuancé quand l’intervention physique vise précisément à préserver l’enfant de blessures encore plus graves qu’il pourrait se causer à lui-même mais aussi à d’autres enfants se trouvant de ce fait en danger. Il ne peut dès lors être érigé quelques règles ou principes immuables mais seulement des conseils, chaque intervention d’un éducateur devant être appréciée en fonction de la gravité de la situation à laquelle celui-ci est confronté (9e feuillet).

La cour retient que les circonstances de l’intervention étaient extrêmes. En conséquence, il n’y a pas de comportement fautif, tant au sens disciplinaire qu’au sens civil, le comportement étant considéré comme approprié à la situation à laquelle l’éducateur s’est trouvé confronté.

La cour confirme dès lors le jugement, tant en ce qui concerne l’annulation de la sanction que l’octroi de l’équivalent de la rémunération pour la période de mise à pied.

Reste la question des dommages et intérêts réclamés, poste auquel la cour va faire droit. Elle reprend encore les circonstances de l’incident et retient que le comportement de l’institution ainsi que de sa directrice est fautif et léger. En outre, l’institution ayant fait état d’autres situations problématiques dans lesquelles l’éducateur aurait eu un comportement fautif, la cour retient qu’il s’agit de pures allégations nullement étayées. Elle considère devoir retenir à cet égard l’argument de l’intimé, selon lequel « en noircissant dans ses écrits de procédure, de manière éhontée et vexatoire, l’attitude de (l’éducateur) pour les besoins de sa propre défense, (l’institution) adopte une position qui devient réellement indécente » (13e feuillet).

Retenant l’existence d’un préjudice moral particulier, eu égard à la sanction infligée et à l’attitude légère de l’institution en vue de justifier celle-ci, la cour considère devoir s’écarter de l’appréciation du premier juge, qui avait rejeté ce chef de demande. Il y a en l’espèce atteinte à l’honneur et à la réputation. Le fait qu’il n’y ait eu aucune publicité extérieure n’est pas de nature, selon l’arrêt, à atténuer la souffrance morale de l’intéressé ni à effacer auprès de ses collègues l’image qui a été donnée de lui, et ce de façon tout à fait injuste. La cour alloue dès lors le montant de 2.500 euros réclamé.

Intérêt de la décision

Rares sont les décisions intervenant en matière de contestation d’une sanction disciplinaire dans le secteur privé. En l’espèce, se posait, pour l’employeur, un problème de compétence des juridictions du travail. L’on retiendra que, sur l’exigence de l’épuisement des recours internes, la cour a rejeté celle-ci, renvoyant à l’article 578, 1°, du Code judiciaire et, de même, elle a rappelé l’article 6-1 de la C.E.D.H., qui reprend, parmi les garanties du procès équitable, l’exigence de l’accès au juge.

Un autre point important est celui de l’étendue du contrôle judiciaire, dont tant la cour que le tribunal ont retenu qu’il ne se limite pas à un contrôle de légalité (étant le respect de la procédure, de l’existence matérielle des faits, de l’examen du manquement et de la pénalité), mais qu’il porte aussi sur un contrôle de proportionnalité. La conception restrictive du contrôle judiciaire est, pour la cour – et pour la doctrine qu’elle reprend – en contradiction avec le fondement contractuel du droit disciplinaire dans le secteur privé.


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