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Droit à la libre circulation : incidence sur les cotisations sociales personnelles du travailleur salarié

Commentaire de C.J.U.E., 23 janvier 2019, Aff. n° C-272/17 (ZYLA c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN)

Mis en ligne le mardi 25 juin 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 23 janvier 2019, Aff. n° C-272/17 (ZYLA c/ STAATSSECRETARIS VAN FINANCIËN)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 23 janvier 2019, statuant à propos de la législation néerlandaise, la Cour de Justice rappelle les principes en matière de discrimination, en ce compris de mesures discriminatoires indirectes interdites eu égard à l’article 45, T.F.U.E., le droit néerlandais autorisant une réduction des cotisations de sécurité sociale, celle-ci étant cependant proportionnée à la période pendant laquelle le travailleur est resté affilié au régime national de sécurité sociale.

Les faits

Une ressortissante polonaise a travaillé près de 6 mois aux Pays-Bas en 2013, étant pour cette occupation affiliée au régime général de la sécurité sociale néerlandais. Elle s’est ensuite rendue en Pologne, où elle n’a effectué aucun travail rémunéré pour le reste de l’année et où elle a fixé sa résidence.

Un prélèvement à la source a été effectué sur le salaire perçu, l’intéressée étant en outre redevable de cotisations de sécurité sociale. Une réduction générale d’impôt (incluant l’impôt sur le revenu et le montant des cotisations de sécurité sociale) lui a été accordée en vertu de la législation nationale, vu sa qualité de résidente aux Pays-Bas. La réduction générale de prélèvement afférente aux cotisations de sécurité sociale a été effectuée proportionnellement à la période de cotisations obligatoires (l’intéressée n’étant plus redevable de cotisations à partir de la fin juin 2013).

Un recours a été introduit par l’intéressée, au motif que cette réglementation a pour effet d’instaurer une différence de traitement entre résidents et non-résidents, ce qui est une entrave à la libre circulation des travailleurs garantie à l’article 45, T.F.U.E.

Elle n’a pas obtenu gain de cause en première instance, non plus qu’en appel, le juge d’appel rejetant la différence de traitement au motif que le montant des réductions dépend de l’affiliation ou non au régime de sécurité sociale néerlandais et de la durée de la période de cotisations.

Un pourvoi a été formé devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême), la Cour s’interrogeant sur le point de savoir si un travailleur, qui a acquis la totalité de ses revenus annuels dans un Etat membre dans lequel il ne réside pas ou ne réside plus, ne devrait pas avoir droit à la totalité de la partie de la réduction du prélèvement de sécurité sociale, bien qu’il n’ait pas été affilié pendant toute l’année au régime de sécurité sociale de l’Etat membre en cause.

Une question est dès lors posée à la Cour de Justice.

La question préjudicielle

La question posée est de savoir si l’article 45, T.F.U.E., doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale qui a pour conséquence que le travailleur qui se déplace (dans les conditions du Règlement n° 1408/71 ou de celui 883/2004) et qui est affilié pendant une partie de l’année civile aux assurances sociales dans un Etat membre n’a droit, à l’occasion du prélèvement des cotisations pour ses assurances sociales, qu’à une fraction de la partie de la réduction générale du prélèvement, et ce au prorata temporis de la période d’affiliation, si, pendant le reste de l’année civile, il n’est pas affilié à la sécurité sociale de cet Etat membre, qu’il réside dans un autre Etat et qu’il a acquis l’intégralité (ou quasiment) de ses revenus de l’année dans le premier.

Après avoir constaté que l’intéressée relève du champ d’application personnel de l’article 45, T.F.U.E., la Cour reprend le principe selon lequel l’ensemble des dispositions du Traité F.U.E. en matière de circulation des personnes visent à faciliter l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l’Union européenne et qu’il s’oppose à des mesures qui pourraient défavoriser ses ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre Etat.

Le principe de l’égalité de traitement vise non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais également toute autre forme dissimulée de discrimination qui aboutirait en fait au même résultat. Dans son arrêt LARCHER (C.J.U.E., 18 décembre 2014, Aff. n° C-523/13), la Cour de Justice a jugé que, pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’indirectement discriminatoire, elle ne doit pas nécessairement favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux ou ne défavoriser que les seuls ressortissants des autres Etats membres à l’exclusion des nationaux, des entraves à la libre circulation des travailleurs qui ne présentant pas un caractère discriminatoire étant en principe également interdites par l’article 45.

Pour vérifier si la disposition de droit néerlandais constitue une telle entrave, il faut d’abord en déterminer la nature, étant de savoir s’il s’agit d’une mesure fiscale ou sociale. En l’occurrence, les impôts et les cotisations de sécurité sociale sont prélevées de manière combinée, les prélèvements litigieux étant affectés au financement de la sécurité sociale. Il y a, pour la Cour de Justice, un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de la sécurité sociale au sens du Règlement, s’agissant d’une restriction éventuelle à la libre circulation causée par une mesure de nature sociale, qui fait intégralement partie du système de sécurité sociale national.

La question se pose ensuite de savoir si la disposition, qui relève du système de sécurité sociale national, constitue une mesure indirectement discriminatoire ou une entrave à la libre circulation. La Cour relève que la réglementation nationale a entraîné une différence de traitement pour la seconde partie de l’année 2013 : à revenu équivalent, si la personne reste affiliée tout au long de l’année au régime de sécurité sociale néerlandais, il y a application intégrale de la réduction, mais, si elle cesse d’être affiliée à celui-ci, la charge sociale est plus élevée, puisque la réduction est proportionnelle à la durée d’occupation.

Rappelant le principe de l’unicité de la législation applicable, la Cour considère que l’intéressée ne pouvait plus relever du régime de sécurité sociale néerlandais après avoir cessé son activité professionnelle dans cet Etat et avoir cessé d’y résider.

Revenant sur un arrêt plus ancien (C.J.U.E., 8 septembre 2005, Aff. n° C-512/03, BLANCKAERT), la Cour rappelle qu’il relève de la logique interne d’un système national de sécurité sociale de réserver le bénéfice des réductions de cotisations aux seuls redevables de celles-ci, à savoir les affiliés à ce régime. Le droit garanti par le droit de l’Union est que les travailleurs qui exercent une activité sur le territoire d’un Etat membre autre que leur Etat membre d’origine sont soumis aux mêmes conditions que les travailleurs de cet autre Etat. En conséquence, la disposition néerlandaise ne peut être considérée comme étant indirectement discriminatoire, ni comme une entrave à la libre circulation des travailleurs en contradiction avec l’article 45, T.F.U.E.

La Cour conclut dès lors que l’article 45 ne s’oppose pas à une telle réglementation, qui prévoit, pour ce qui est de la réduction du prélèvement des cotisations de sécurité sociale, la prise en compte de la proportionnalité de la période pendant laquelle le travailleur a été affilié à ce régime de sécurité sociale.

Intérêt de la décision

La question posée par la Cour suprême des Pays-Bas reçoit ici une réponse négative : la disposition de droit national ne contrevient pas à l’article 45, T.F.U.E.

La décision de la Cour de Justice contient également une réponse à deux arguments de la Commission européenne, tirés d’autres arrêts rendus.

Le premier (C.J.U.E., 26 janvier 1999, Aff. n° C-18/95, TERHOEVE) concernait la charge de cotisations sociales dues par un travailleur détaché de son Etat d’origine et qui demeurait affilié au régime de sécurité sociale de cet Etat membre pendant la durée du détachement. Cette situation ne concerne pas l’hypothèse présente, où le travailleur a cessé d’être affilié à la sécurité sociale du fait qu’il y a déplacé son activité professionnelle et qu’il a résidé sa résidence vers un autre Etat membre.

Le second (C.J.U.E., 8 mai 1990, Aff. n° C-175/88, BIEHL) avait trait à une différence de traitement, mais celle-ci ne relève pas du système de coordination, les affaires n’étant dès lors pas comparables.


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