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Appareils de prothèse ou d’orthopédie : examen du critère de nécessité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 octobre 2018, R.G. 2017/AL/429

Mis en ligne le vendredi 14 juin 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 octobre 2018, R.G. 2017/AL/429

Terra Laboris

Par arrêt du 10 octobre 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle que, pour déterminer si des appareils de prothèse ou d’orthopédie ont été rendus nécessaires par un accident du travail, il ne faut pas procéder à un examen abstrait de la situation de la victime mais recourir à une analyse particulière, individuelle, tenant compte du mode de vie et du profil social de l’intéressé.

Les faits

Une requête est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège) en mars 2014. Il s’agit pour le demandeur de contester une décision de FEDRIS en matière de prothèse suite à un accident du travail dont il a été victime le 21 août 1969. L’intéressé a dû être amputé à mi-cuisse du membre inférieur gauche et FEDRIS a pris le 19 février 2014 une décision acceptant la prise en charge d’une prothèse déterminée (groupe V) mais non d’une prothèse telle que demandée (C-Leg), au motif que ce supplément n’était pas nécessité par les séquelles de l’accident mais par une autre pathologie, sans lien avec celui-ci (pathologie cardiaque), et qu’il s’agissait d’une prothèse « luxueuse ».

Le litige est mu dans le cadre des articles 61 à 66bis de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Rétroactes de la procédure

Un expert a été désigné par un premier jugement du 6 juin 2014. Sa mission porterait sur la question de savoir si l’usage d’une prothèse avec un tel appareillage (C-Leg) est nécessité par l’accident du travail.

Dans son rapport, l’expert a repris les critères légaux, étant que la prothèse doit présenter un caractère de nécessité, relever de la catégorie d’objets dont une personne valide n’a pas besoin et être un moyen d’assistance artificielle susceptible soit de soutenir ou de remplacer un membre déficient, soit d’en développer la fonction.

Pour l’expert, le choix proposé repose sur la notion de socialisation aussi normale que possible, s’agissant de favoriser la réadaptation de la victime à une vie aussi normale que faire se peut.

La prothèse admise apparaît suffisante pour restaurer une fonction locomotrice correcte, mais l’expert relève que, grâce à la prothèse retenue (et dont il demande la prise en charge), l’intéressé a retrouvé un équilibre précis dans le cadre de la pratique sportive. Il pratique le golf et l’expert retient que le mouvement du swing du golf impose, outre un transfert de puissance du bras gauche vers le bras droit, une rotation du tronc et un transfert de poids de la jambe droite vers la jambe gauche. L’expert a précisé encore que les scores du blessé seraient nettement moins performants avec un simple appareillage mécanique. La question posée est donc de savoir si la pratique sportive relève de la notion de réadaptation à une vie aussi normale que possible.

Ceci sort du cadre strictement médical de la mission d’expertise et l’expert a conclu que la pratique sportive relève de la notion de vie aussi normale que possible, le choix de la prothèse plus sophistiquée s’impose, l’autre étant cependant suffisante si elle n’en relève pas.

L’expert a dès lors renvoyé la question au tribunal. En outre, il a retenu l’existence d’une pathologie cardiaque, apparue cependant beaucoup plus tard, en 1995 et en 2012.

Le tribunal a conclu, dans son jugement du 17 février 2017 (jugement dont appel), que la prothèse C-Leg devait être considérée comme prothèse nécessaire au sens des dispositions légales, renvoyant à la loi du 10 avril 1971, en son article 28.

FEDRIS interjette appel, demandant à la cour de considérer que la prothèse de type V est suffisante. Subsidiairement, l’Agence sollicite la désignation d’un nouvel expert sur la question de la « nécessité » au sens de la loi du 10 avril 1971. FEDRIS estime par ailleurs que la prothèse est nécessitée par la pathologie cardiaque et que celle-ci n’a aucun lien avec l’accident. L’Agence retient encore le fait que le sport choisi est un sport luxueux et que les conditions habituelles d’une vie normale seraient rencontrées par la prothèse de type V, qui permet de restaurer une fonction locomotrice correcte.

Pour l’intéressé, la notion de nécessité ne se confond pas avec ce qui est « luxueux » et ne se limite pas à ce qui est « indispensable ». La prothèse est considérée comme nécessaire pour retrouver l’utilisation adéquate des fonctions corporelles subsistantes, tout en permettant de pratiquer une activité physique au titre de loisir. L’intimé insiste sur le fait que la prothèse lui permet de se mouvoir de manière beaucoup plus facile dans la vie courante et qu’elle soulage également l’autre jambe, également atteinte par les séquelles de l’accident.

La décision de la cour

La cour se livre à un important rappel en droit, étant l’interprétation de la notion de nécessité, au sens de l’article 28 de la loi sur les accidents du travail, l’article 28bis, alinéa 2, ainsi que des dispositions réglementaires, étant initialement l’article 35 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971, l’apport de l’arrêté royal du 5 juin 2007, ainsi que les articles 61 à 66bis et 66ter de l’arrêté royal de base.

Reprenant la doctrine (L. VAN GOSSUM, N. SIMAR et M. STRONGYLOS, Les accidents du travail, 8e éd., Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 162-164), la cour définit le caractère nécessaire des appareils de prothèse ou d’orthopédie comme signifiant ce dont la victime a besoin. Il ne s’agit pas d’une exigence professionnelle mais d’une aide permettant d’utiliser adéquatement et par une utilisation optimale les fonctions corporelles qui subsistent. Ceci englobe toute prothèse permettant de favoriser la réadaptation à une vie aussi normale que possible, sans qu’il ne s’agisse d’un appareil confortable ou idéal. Le but est de permettre à la victime de recouvrer autant que possible son intégrité physique.

En sus des dispositions spécifiques à l’octroi de prothèses, leur entretien et le renouvellement, l’arrêté royal reprend en son article 66ter une mission spécifique de FEDRIS, qui est d’accorder une assistance financière à la victime pour son droit à l’octroi, l’entretien et le renouvellement de celles-ci, dès lors qu’elles sont reconnues nécessaires.

En l’espèce, le critère de nécessité est examiné eu égard aux particularités de chacune des deux prothèses. La cour constate que, même indépendamment de la problématique cardiaque (dont elle retient qu’elle ne sera jamais la cause unique de la prothèse, au sens de la théorie de l’équivalence des conditions) et de la pratique spécifique du golf, il ne peut s’agir, pour la prothèse C-Leg, d’une prothèse « luxueuse », ni même « confortable ». La victime a en effet eu les deux membres inférieurs atrophiés par l’accident, ce qui ne permet même plus une compensation naturelle du déficit fonctionnel par l’usage renforcé du second membre. A ceci s’ajoute le fait que l’intéressé a un profil social actif.

Renvoyant à l’article de B. MAERTENS de NOORDHOUT (B. MAERTENS de NOORDHOUT, « Les prothèses du membre inférieur : quelle prothèse pour quel patient ? Le point de vue du prescripteur et du prothésiste », Revue belge du dommage corporel et de médecine légale, 2017/1, pp. 3 et ss.), la cour considère qu’un appareillage ne peut être défini qu’en fonction des capacités physiques et du mode de vie du blessé. Il faut procéder à une analyse particulière, individuelle. En l’espèce, il est démontré par l’usage qui en est déjà fait et par l’analyse de l’expert que c’est la prothèse C-Leg qui permet à celui-ci de recouvrer au mieux son intégrité physique.

Reste encore une question, relative à l’intervention elle-même. Le jugement a accueilli partiellement la demande, à savoir la prise en charge conformément à l’article 28 de la loi. Cependant, se pose la question du renouvellement, conformément aux dispositions ci-dessus, en ce compris l’article 66ter. L’ensemble de ces dispositions suppose que soit présent le critère de nécessité.

S’agissant d’un accident survenu avant le 1er janvier 1988, il y a lieu de vérifier – question pour laquelle la cour ordonne une réouverture des débats – les effets de la modification réglementaire intervenue à partir de cette date, ainsi que depuis le 22 juin 2007. Cette dernière modification du mécanisme légal prévoit que la victime a droit aux appareils de prothèse ou d’orthopédie dont la nécessité a été reconnue au moment de l’entérinement de l’accord entre les parties ou de la décision visée à l’article 24 de la loi, ou encore à tout autre moment (la cour souligne). Aux fins de rendre exécutable la décision à rendre, la cour demande aux parties de s’expliquer sur l’ampleur de la prise en charge.

Intérêt de la décision

Dans ce bel arrêt, la Cour du travail de Liège pose les principes de la distinction à retenir en la matière, pour les appareils de prothèse et d’orthopédie, entre ceux qui sont nécessités (rendus nécessaires) par l’accident et ceux qui seraient de simple confort. L’approche qui est donnée de la matière est, comme la cour le rappelle, une approche individuelle, particulière et, en l’espèce, il a été tenu compte du profil social actif de l’intéressé.

Sur la définition des prothèses, l’on consultera l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2017 (Cass., 9 octobre 2017, n° S.15.0133.N – précédemment commenté), qui a jugé que, par appareils de prothèse et orthopédiques, il faut entendre les moyens d’assistance artificielle dont une personne valide n’a pas besoin et qui, à la suite d’un accident du travail, sont nécessaires pour soutenir ou remplacer les parties du corps déficientes ou affaiblies ou pour en favoriser l’usage ou les fonctions. Tel peut être le cas dans certaines hypothèses des aménagements au domicile, étant qu’ils peuvent s’avérer nécessaires pour soutenir ou remplacer des parties du corps déficientes ou affaiblies. Il ne résulte pas de l’évolution législative que le législateur ait conféré au Roi le pouvoir de fixer limitativement les appareils ou prothèses nécessaires, mais qu’il l’a par contre chargé de préciser les conditions d’octroi. L’article 35 de l’arrêté royal du 21 décembre 1971 portant exécution de certaines dispositions de la loi du 10 avril 1971 ne peut dès lors être vu comme contenant la liste limitative des aménagements au domicile qui peuvent être admis à ce titre.


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