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Choc émotionnel et accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 février 2019, R.G. 2016/AB/1.132

Mis en ligne le vendredi 14 juin 2019


Cour du travail de Bruxelles, 11 février 2019, R.G. 2016/AB/1.132

Terra Laboris

Dans un arrêt du 11 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles retient qu’un choc psychologique causé par une instruction donnée fondée sur une réelle suspicion de mensonge et une remise en cause de l’intégrité de la personne peut constituer un accident du travail, la lésion étant dûment avérée sur le plan médical.

Les faits

Une fonctionnaire prend connaissance, au bureau de sa résidence administrative, d’un courrier qui lui est destiné émanant de sa hiérarchie. Celui-ci est relatif à des visites effectuées par elle auprès de tiers, dans le cadre de son activité. Ce courrier déclare non seulement constater des incohérences, mais également « douter de la réalité de ces visites ».

L’intéressée déclare avoir subi un choc psychologique en prenant connaissance de ce courrier et deux témoins attestent de celui-ci. En outre, il est avéré sur le plan médical.

L’employeur refuse l’accident du travail, au motif de défaut de preuve d’un événement soudain susceptible d’avoir causé la lésion. Pour l’administration publique, le fait d’exiger des explications concernant l’accomplissement de missions est un ordre légitime et l’instruction contenue dans le courrier n’a rien de « choquant ».

Il est encore fait grief à l’intéressée de ne pas avoir consulté son médecin immédiatement.

Celle-ci dépose dès lors une requête devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui rejette sa demande. Elle interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend la règle : des circonstances de nature à générer un « stress » peuvent constituer l’événement soudain requis. C’est la jurisprudence de la Cour de cassation et elle renvoie plus précisément à son arrêt du 13 octobre 2003 (Cass., 13 octobre 2003, n° S.02.0048.F), où la Cour suprême a jugé que des instructions données (obligation pour un travailleur de rédiger un rapport dans un contexte de stress) ne pouvaient être écartées par le juge du fond dès lors qu’elles pouvaient constituer l’événement soudain. Dans cet arrêt, la Cour suprême a considéré que la cour du travail avait écarté à tort l’instruction donnée à un employé, étant l’obligation de rédiger un rapport, et ce au motif qu’il ne s’agissait pas d’un élément particulier, distinct de l’exécution du contrat.

La cour du travail souligne que, si des instructions sont normales et légitimes dans le cadre de la relation de travail, en l’occurrence, la supérieure hiérarchique ayant remis en cause la réalité des visites que l’intéressée déclarait avoir faites, il ne s’agit dès lors pas d’une simple demande d’explication ni d’un « banal courrier de contrôle » mais d’une réelle suspicion de mensonge et d’une remise en cause de l’intégrité de la personne. Ceci constitue une véritable violence de nature à générer un stress entraînant des lésions.

L’appelante ne peut dès lors voir mettre à sa charge l’obligation de prouver le caractère « choquant » du courrier en cause.

Sur la question du délai mis à déclarer l’accident, la cour du travail considère celui-ci est sans incidence sur le mécanisme légal de réparation, la reconnaissance de l’accident ne requérant nullement que les lésions apparaissent immédiatement ni qu’une incapacité de travail en résulte aussitôt. Elle rappelle également que sont indemnisés non seulement le dommage causé au moment de l’accident mais aussi toutes ses suites ultérieures, dans la mesure où l’accident en est une des causes et où elles ne se seraient pas produites au moment et dans les formes dans lesquelles elles sont intervenues sans la survenance de l’accident.

L’Etat belge, intimé, considérant par ailleurs les témoignages comme non probants, la cour rappelle que la production de témoignages en la matière n’est pas déterminante, l’accident pouvant être reconnu même en l’absence de témoins. Elle renvoie ici à l’arrêt de la Cour suprême du 18 juin 2001 (Cass., 18 juin 2001, n° S.99.0159.F). Pour la Cour de cassation, la réalité de l’événement soudain en l’absence de témoins peut résulter de la propre déclaration de la victime, dans la mesure où aucun élément du dossier ne vient la contredire, la mauvaise foi ne se présumant. En l’espèce, l’intéressée a toujours été constante dans ses déclarations, tant sur la date de l’accident que sur le fait lui-même.

Le dossier révélant par ailleurs qu’il y avait un vécu de harcèlement, la cour conclut que rien n’enlève au caractère instantané de l’événement, l’essence même d’un « choc » étant précisément son caractère brusque et soudain.

La cour reprend encore un des principes dégagés par la Cour de cassation dans sa jurisprudence, étant que l’événement soudain ne doit pas être un élément qui se distingue de l’exercice habituel et normal de la tâche journalière (Cass., 24 novembre 2003, n° S.03.0044.F). Elle reprend également la présomption légale d’imputabilité contenue à l’article 2 de la loi du 3 juillet 1967, la lésion dont l’existence est reconnue étant présumée jusqu’à preuve du contraire trouver son origine dans l’accident.

Pour ce qui est de l’indemnisation, la cour désigne un expert. Dans sa mission, qui reprend les points classiques, la cour lui demande, plus particulièrement sur la question de la détermination du taux d’incapacité permanente, pour lequel il faut évaluer la capacité économique de la victime sur le marché du travail, de prendre en considération les facteurs suivants : âge, degré d’intelligence et d’instruction, profession, possibilité pour l’intéressée d’apprendre un autre métier et capacité de concurrence sur le marché général. Il s’agit en outre de retenir non seulement les dommages liés directement à l’accident, mais également les pathologies physiques et psychiques nées des séquelles de l’accident et de la combinaison de ces séquelles avec le pouvoir invalidant d’éventuels états antérieurs.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles tranche ce cas d’espèce dans le droit fil de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. L’on se souviendra de l’arrêt prononcé par la Cour suprême le 13 octobre 2003, rappelé dans l’arrêt lui-même, parmi les principes guidant l’examen de la cour du travail. Le juge du fond avait écarté, dans l’examen de la réalité de l’événement soudain, une instruction précise, étant l’instruction qui avait été donnée à un employé de rédiger d’urgence un rapport, ceci s’inscrivant dans un contexte de stress professionnel.

L’on peut encore rappeler, sur la question, l’arrêt rendu par la Cour du travail de Mons le 15 mai 2018 (C. trav. Mons, 15 mai 2018, R.G. 2016/AM/29 – précédemment commenté) concernant également un employeur public (la victime étant institutrice primaire au sein d’un athénée royal). Pour la Cour du travail de Mons, qui a rappelé qu’étaient admis les faits constitutifs d’un choc émotionnel (insulte, menace ou agression verbale sans violence physique), la soudaineté est une notion à contenu variable et elle a renvoyé pour ce point de la définition à l’arrêt de la Cour de cassation du 15 avril 2002 (Cass., 15 avril 2002, n° S.01.0079.F). L’événement soudain peut, pour la Cour suprême, consister dans l’impact soudain sur l’organisme d’une situation vécue par la victime au cours de l’exécution de son contrat, pour autant que la perception qu’elle a eue de cette situation repose sur des faits objectifs.

La Cour du travail de Mons avait, en appliquant toujours les mêmes principes, rappelé à propos de la présomption de causalité que son application n’est pas subordonnée à la condition que la lésion soit concomitante à l’accident et qu’en conséquence, le délai qui sépare la date de reconnaissance de l’incapacité de travail des événements litigieux n’est pas déterminant. Quant à la relation causale, qui est présumée, celle-ci peut n’être que partielle et, pour renverser cette présomption, l’employeur public doit démontrer qu’il n’y a aucun lien, même partiel, même induit, entre l’événement soudain et la lésion.


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