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Une transaction conclue entre travailleur et employeur est-elle opposable à l’O.N.S.S. ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 8 août 2018, R.G. 2017/AB/445

Mis en ligne le mardi 28 mai 2019


Cour du travail de Bruxelles, 8 août 2018, R.G. 2017/AB/445

Terra Laboris

Par arrêt du 8 août 2018, la Cour du travail de Bruxelles accueille une demande de remboursement de cotisations de sécurité sociale exigées par l’O.N.S.S. sur une indemnité d’éviction (à l’époque non considérée comme de la rémunération), et ce au motif qu’il y a eu une renonciation partielle à celle-ci : pour la cour du travail, la transaction est opposable à l’O.N.S.S., l’objet de celle-ci n’excédant pas les choses dont on peut disposer.

Les faits

Une société se sépare d’un employé en août 2012, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. L’intéressé a gravi divers échelons au sein de l’entreprise et réclame une indemnité d’éviction, considérant qu’au moment du licenciement, il devait être considéré comme représentant de commerce.

Un échange de courriers intervient avec son avocat et les parties signent quelques mois plus tard une convention de transaction. Elles y précisent souhaiter mettre fin à leur différend et constater qu’elles ont négocié et sont arrivées à un accord, moyennant des concessions réciproques. Cet accord porte sur l’octroi d’une indemnité compensatoire de préavis de 18 mois de rémunération (ce que la société avait annoncé à la rupture), ainsi que d’une indemnité correspondant à 5 mois de rémunération, qualifiée d’indemnité d’éviction. Il est prévu dans la convention de déduire le précompte professionnel du montant brut de celle-ci. Enfin, est octroyé un complément d’indemnité compensatoire de préavis correspondant à un avantage en nature (véhicule de fonction).

La question se pose, ultérieurement, suite à une visite de l’Inspection de l’O.N.S.S., des cotisations de sécurité sociale qui n’ont pas été retenues sur l’indemnité d’éviction. Il est notifié à la société que, vu le caractère impératif de la loi sur les contrats de travail, les parties ne peuvent pas déroger ni transiger sur les montants légalement dus dans un sens moins favorable au travailleur. L’O.N.S.S. précise qu’il ne s’agit pas de remettre en question la qualification donnée à l’indemnité ni de juger de son bien-fondé.

Une régularisation intervient d’office, l’O.N.S.S. précisant que, jusqu’au 30 septembre 2013, l’indemnité d’éviction était normalement exclue de la notion de rémunération, vu l’article 19, § 2, 3°, de l’arrêté royal du 28 novembre 1969. Cependant, si l’employeur et le travailleur se sont mis d’accord sur une indemnité d’éviction dont le montant est inférieur à celui prévu à l’article 101 de la loi sur les contrats de travail, il ne s’agit plus d’une indemnité d’éviction telle que celle visée à l’article 19 de l’arrêté royal du 28 novembre 1969, mais d’une indemnité qui doit avoir un caractère rémunératoire pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.

En l’occurrence, l’intéressé aurait dû avoir une indemnité de 8 mois, si l’on suit l’article 101 de la loi, et non de 5 mois. La régularisation intervient dès lors, pour l’O.N.S.S., sur l’indemnité perçue. Un montant de l’ordre de 9.000 euros est réclamé. Il est payé par la société, mais celle-ci introduit une action devant le tribunal du travail en demandant le remboursement.

Le tribunal ayant rejeté sa demande, la société interjette appel.

La décision de la cour

La cour va dans un premier temps examiner la régularité de la décision de l’O.N.S.S., la société considérant qu’il s’agit d’un acte administratif et que l’obligation de motivation formelle contenue dans la loi du 29 juillet 1991 n’est pas respectée. Pour la société, s’agissant d’une motivation inadéquate (étant que le seul fait de déroger à une disposition impérative entraîne la débition de cotisations sociales sur l’indemnité d’éviction), la décision ne peut sortir ses effets. La cour admet cet argument de la partie appelante, concluant non seulement que la motivation n’est pas adéquate, mais en outre qu’elle n’est pas suffisante ou de nature à justifier raisonnablement la décision prise.

Cependant, vu que l’entreprise a saisi le tribunal sur la question du remboursement des cotisations, la juridiction sociale doit se prononcer sur le bien-fondé de cette demande, qui entre dans sa compétence en vertu de l’article 580, 1°, du Code judiciaire.

Elle examine dès lors le bien-fondé de la demande de restitution des cotisations payées, la société considérant que la convention de transaction conclue avec son ancien employé est opposable à l’O.N.S.S., de même que la qualification de l’indemnité d’éviction, l’Office considérant que non. La cour constate ainsi que, au niveau de la partie appelante, il est plaidé que l’objet de la convention n’excède pas les choses dont on peut disposer, le travailleur ayant pu valablement renoncer en partie au droit qu’il puisait dans l’article 101 de la loi et l’O.N.S.S. considérant quant à lui qu’il n’avait pas la qualité de représentant de commerce et que l’indemnité – inférieure à ce qu’aurait normalement été l’indemnité d’éviction – ne remplit pas les conditions impératives de la loi.

Pour la cour, s’agissant de la mouture de l’article 19, § 2, 3°, de l’arrêté royal en vigueur à l’époque (licenciement du 29 août 2012), l’indemnité d’éviction visée à l’article 101 de la loi sur les contrats de travail n’est en principe pas considérée comme rémunération.

Dans le cadre de la loi du 3 juillet 1978, cependant, la qualité de représentant de commerce n’est pas reconnue nécessairement en fonction de l’ancienneté du travailleur dans l’entreprise mais en fonction de son ancienneté dans cette qualité elle-même. Le travailleur peut en effet acquérir la qualité de représentant dans le cours de la relation de travail. En outre, le travailleur qui a droit à l’indemnité de l’article 101 peut y renoncer en tout ou en partie. Le fait qu’il y ait renonciation partielle ne peut avoir comme effet de faire perdre à l’indemnité sa qualification d’indemnité d’éviction.

Même si la matière des cotisations de sécurité sociale est d’ordre public, la cour considère que l’O.N.S.S. ne peut se substituer aux parties à la convention de transaction. S’agissant d’une transaction valable, la convention a, au sens de l’article 2052 du Code civil, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort et la renonciation de l’employé est opposable à l’O.N.S.S., dans la mesure où l’avantage faisait partie d’un litige entre les parties au contrat de travail.

La cour cite encore la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 18 janvier 2016, n° S.15.0040.F), qui enseigne que le fait que les droits invoqués par l’O.N.S.S. intéressent l’ordre public ne dispense pas l’O.N.S.S. de respecter les effets externes de la transaction conclue dès lors que celle-ci porte sur les droits dont les parties pouvaient disposer.

La cour considère enfin que la qualification donnée à l’indemnité litigieuse est compatible avec les éléments portés à sa connaissance et que, en conséquence, c’est indûment que l’O.N.S.S. a réclamé les cotisations de sécurité sociale. Il doit dès lors les rembourser, à augmenter des intérêts judiciaires.

Intérêt de la décision

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2016 (Cass., 18 janvier 2016, n° S.15.0040.F – précédemment commenté) porte également sur l’opposabilité à l’O.N.S.S. d’une transaction entre l’employeur et le travailleur, transaction sur le montant de l’indemnité compensatoire de préavis intervenue postérieurement à un jugement.

En l’espèce, après la décision judiciaire, une transaction avait été conclue, par laquelle l’employeur renonçait à interjeter appel et le travailleur renonçait aux droits reconnus par cette décision.

Pour la Cour de cassation, la transaction s’impose aux tiers qui sont tenus de reconnaître les effets qu’elle produit entre les parties et, en conséquence, ne peuvent plus prétendre que les droits des parties ou de l’une d’elles ont été fixés par un jugement antérieur à la transaction. Dès lors que l’objet de la convention n’excède pas les choses dont on peut disposer, il est sans incidence que les droits dont se prévalent les tiers intéressent l’ordre public.


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