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La présomption d’exposition au risque professionnel du secteur public s’applique aussi aux maladies « hors liste »

Commentaire de Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F

Mis en ligne le vendredi 26 avril 2019


Cour de cassation, 10 décembre 2018, n° S.18.0001.F

Terra Laboris

La Cour de cassation a prononcé un nouvel arrêt de principe en matière de maladie professionnelle dans le secteur public. Elle confirme dans son arrêt du 10 décembre 2018 que l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 (qui définit la notion d’exposition au risque dans le secteur privé) n’est pas applicable au secteur public mais également que la présomption générale d’exposition du secteur public s’applique bien aux maladies dites « hors liste ».

Faits de la cause

Mme M. était depuis mai 2006 inspectrice dans une police locale.

Suite aux mauvaises relations avec son supérieur hiérarchique, son état de santé s’est dégradé. Elle a été en incapacité de travail à partir du 3 octobre 2007, puis mise en disponibilité à partir du 8 décembre 2007 et enfin déclarée définitivement inapte à partir du 15 avril 2010.

Le 11 avril 2008, elle a introduit une demande de réparation d’une maladie professionnelle « hors liste », soit une maladie psychologique résultant d’une exposition nocive à un risque de nature psychosociale.

Le Medex, puis, en recours, l’Office médico-légal, ont rejeté sa demande au motif de l’absence de preuve que l’affection invoquée trouvait sa cause directe et déterminante dans l’exercice de sa profession.

La procédure

Mme M. a alors introduit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles qui, par un jugement du 11 janvier 2011, a désigné un expert neuropsychiatre. Celui-ci a conclu que les faits décrits dans le jugement apparaissaient de nature à entrainer au titre de maladie professionnelle « hors liste » une névrose d’angoisse ayant comme conséquences des incapacités temporaires totales et une incapacité permanente.

Par un jugement du 29 août 2013, le tribunal a débouté Mme M. de sa demande, celle-ci ne démontrant pas l’exposition au risque professionnel de la maladie. Pour le tribunal, l’article X.III.4 de l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police, qui rend applicable à ce personnel la loi du 3 juillet 1967 sur la prévention ou la réparation des dommages résultant des accidents du travail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public et qui instaure une présomption d’exposition au risque pour tout travail exécuté dans les services concernés ne s’applique pas aux maladies « hors liste ». C’est donc l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 relatives à la prévention des maladies professionnels et à la réparation de celles-ci qui s’applique et il impose à la victime de faire la preuve de l’exposition au risque.

Mme M. a interjeté appel de cette décision, que l’arrêt de la sixième chambre extraordinaire de la cour du travail de Bruxelles du 17 février 2016 (R.G. 2014/AB/243) soumis à la censure de la Cour de cassation confirme. La cour du travail admet que, pour les maladies de la liste, la réglementation dans le secteur public prévoit, contrairement à ce qui est la règle dans le secteur privé, une présomption d’exposition au risque professionnel du seul fait du travail exécuté dans les services publics concernés. Elle décide que cette présomption n’est pas applicable aux maladies « hors liste » ; en effet, l’article 30bis des lois coordonnées, auquel renvoient la loi du 3 juillet 1967 et l’arrêté royal du 30 mars 2001 exige que la victime prouve le lien de causalité entre la maladie et l’exposition au risque ; il n’y a donc pas de raison de ne pas appliquer l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 à cette catégorie de maladie professionnelle.

Le pourvoi en cassation

Le premier moyen de cassation, qui est accueilli par la Cour et seul développé ici, invoque la violation des articles 30 et 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970, 1er et 2, spécialement alinéa 6 de la loi du 3 juillet 1967 et X.III.1, 5°, X. III.2 et X. III.4 de l’arrêté royal du 30 mars 2001.

La demanderesse rappelle que, selon l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967, cette loi est une loi-cadre qui fixe des dispositions générales dont l’applicabilité au personnel du secteur public occupé dans les administrations et organisations qu’il énumère dépend de l’existence d’un arrêté royal qui peut également fixer des conditions et des limites à l’application du régime institué par la loi et que l’article X.III.2 de l’arrêté royal du 30 mars 2001 rend ce régime de réparation applicable aux membres du personnel de police.

Elle soutient que, pour les travailleurs du secteur public, les dispositions des lois coordonnées du 3 juin 1970 ne sont applicables que lorsque la loi du 3 juillet 1967 ou ses arrêtés d’exécution, en l’espèce l’arrêté royal du 30 mars 2001, y renvoient expressément ou à tout le moins lorsque cette application est conciliable avec les spécificités du régime de réparation des maladies professionnelles dans le secteur public.

L’article 2, alinéa 6 de la loi du 3 juillet 1967 et l’article X.III.1, 5° de l’arrêté royal du 30 mars 2001, qui concernent la notion de maladie professionnelle, renvoient aux articles 30 et 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970. Par contre, aucune disposition de la loi du 3 juillet 1967 et de l’arrêté royal du 30 mars 2001 ne renvoie à l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970 et cette disposition, qui, dans son alinéa 5, met à charge de la victime ou de ses ayants-droits la preuve de l’exposition au risque professionnel pour une maladie au sens de l’article 30bis, soit une maladie « hors liste », est inconciliable avec les conditions et limites de l’indemnisation des victimes de maladies professionnelles dans le secteur public. En effet, la loi du 3 juillet 1967 ne contient aucune condition d’exposition au risque et, pour les membres des zones de police, l’article X.III.4 de l’arrêté royal du 30 mars 2001 prévoit en son alinéa 1er cette condition et en son alinéa 2 dispose que « tout travail exécuté dans des administrations, établissements et institutions pendant les périodes (au cours desquelles il appartenait à une des catégories d’ayant droit) est présumé, jusqu’à preuve du contraire, avoir exposé la victime au risque visé dans l’(alinéa 1er) ». Cet alinéa 2 institue ainsi une présomption générale d’exposition au risque inconciliable avec le système probatoire mis en place par l’article 32 des lois coordonnées du 3 juin 1970, qui, en son alinéa 5, fait en règle peser sur la victime la charge de la preuve de l’exposition au risque d’une maladie « hors liste ».

Les conclusions du Ministère public

Les conclusions relèvent notamment que la loi cadre du 3 juillet 1967 détermine, en son article 2, alinéa 6, les maladies professionnelles sur la base de celles énoncées aux articles 30 et 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970 et qu’il en est de même de l’article X.III.1er de l’arrêté royal du 30 mars 2001 qui rend applicable, aux conditions et dans les limites que le Roi fixe (article 1er, alinéa 1er, 11°, de la loi cadre) le régime des maladies professionnelles au personnel des services de police. Par contre, l’article X.III.4 de cet arrêté ne contient aucune référence auxdites lois coordonnées et plus particulièrement à son article 32, pour la détermination de la notion d’exposition au risque.

Les arrêtés royaux pris en exécution de la loi du 3 juillet 1967 « paraissent (donc) bien avoir élaboré un régime propre et distinct d’exposition au risque pour le secteur public excluant l’application formelle de la définition en vigueur dans le secteur privé » et donc de l’article 32 des lois coordonnées. Le ministère public cite à cet égard S. REMOUCHAMPS, (« La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 500) et F. JASPAR et F. DEMET (« Les maladies professionnelles-secteur public », (in Dumont coord., Actualités de la sécurité sociale, Larcier, Commission Université-Palais, p. 840).

Les conclusions citent également l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2016 (Pas., 2016, n° 225), sur lequel nous reviendrons.

Le ministère public considère que la présomption d’exposition au risque n’est pas incompatible avec le pouvoir donné au Roi par l’article 1er de la loi du 3 juillet 1967.

Il conclut que : « Le régime probatoire de l’exposition au risque des maladies professionnelles dans le secteur public se distingue donc de celui instauré par la loi du 3 juin 1970, dont le caractère plus général de la présomption d’exposition au risque de tout travail effectué pendant la période d’occupation dans les administrations et établissements concernés, s’applique, que la maladie en question soit reprise à la liste de l’article 30 ou non selon l’article 30bis. »

L’arrêt commenté

La Cour de cassation accueille le premier moyen de cassation, casse l’arrêt attaqué et renvoie la cause devant la cour du travail de Liège.

Elle rappelle la teneur des articles 1er, alinéa 1er, 11° et 2, alinéa 6, de la loi du 3 juillet 1967, X.III.1er, 5°, 1 et X.III.4, alinéas 1er et 2, de l’arrêté royal du 30 mars 2001. Elle relève ensuite que la loi et l’arrêté royal font référence aux maladies qui sont visées tant à l’article 30 qu’à l’article 30bis des lois coordonnées du 3 juin 1970 et que l’article X.III.4 de l’arrêté royal présume la condition d’exposition au risque professionnel sous réserve de la preuve contraire.

Elle décide que cet article X.III.4 exclut l’application de l’article 32 desdites lois coordonnées auquel il ne se réfère pas davantage que la loi du 3 juillet 1967 et que l’application de la présomption n’est pas limitée aux seules maladies professionnelles de la liste dressée par le Roi en application de l’article 30 des lois coordonnées « mais s’étend aux maladies qui, tout en ne figurant pas sur cette liste, trouvent leur cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession, au sens de l’article 30bis de ces lois ».

En appliquant l’article 32, alinéa 5, des lois coordonnées du 3 juin 1970 au litige de Mme M., inspecteur de police, relatif à la réparation du dommage résultant de la maladie professionnelle visée audit article 30bis dont elle serait atteinte, l’arrêt attaqué viole toutes ces dispositions légales.

Intérêt de la décision

Ainsi que le soulignent les conclusions du ministère public, par son arrêt du 4 avril 2016 (Pas., 2016, n° 225, arrêt commenté pour SocialEyeNiews par Terra Laboris et disponible sur www.terralaboris.be avec ce commentaire), la Cour de cassation a « rejeté l’application de l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970 au litige relatif à la réparation d’une maladie professionnelle subie par un sapeur-pompier au service d’une intercommunale d’incendie et telle que régie en ce cas par l’arrêté royal du 31 janvier 1993 ».

Notre commentaire soulignait que les conséquences de cet arrêt étaient très importantes et que cette décision devrait permettre de résoudre la question de l’application de la présomption d’exposition au risque professionnel aux maladies « hors liste ».

L’arrêt commenté confirme que cette présomption d’exposition, propre au secteur public, s’applique aussi aux maladies « hors liste ».


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