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Allocations de chômage : notion de « revenu de remplacement »

Commentaire de Trib. trav. Liège, div. Liège, 19 novembre 2018, R.G. 14/398.176/A

Mis en ligne le vendredi 12 avril 2019


Tribunal du travail de Liège, division Liège, 19 novembre 2018, R.G. 14/398.176/A

Terra Laboris

Dans un jugement rendu le 19 novembre 2018, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) rappelle que, si la perception de revenus de remplacement dans le chef du concubin d’un bénéficiaire d’allocations de chômage est susceptible d’influencer la catégorie de bénéficiaire, il y a des prestations qui ne sont pas considérées comme des revenus de remplacement. Dans le cadre de prestations étrangères octroyées par un autre Etat de l’Union, il faut vérifier les conditions du Règlement n° 883/2004.

Les faits

Lors de son inscription au chômage en 2010, une bénéficiaire d’allocations remplit son formulaire C1 relatif à sa situation personnelle et familiale. Elle modifiera celui-ci ultérieurement, vu la présence dans son ménage d’un compagnon qui bénéficie de son côté d’une allocation pour personne handicapée payée par l’Espagne.

Des renseignements sont fournis à l’ONEm quant à cette prestation, de l’ordre de 500 euros par mois. Il s’agit essentiellement de la loi espagnole qui concerne les pensions non contributives d’invalidité, la définition du handicap en droit espagnol et les conséquences sur la situation de l’intéressé du pourcentage admis par l’administration. Il en résulte qu’une personne en situation de dépendance ayant un degré d’incapacité égal ou supérieur à 75%, entraînant une perte d’autonomie et la nécessité d’une aide de tiers, peut bénéficier d’une allocation majorée, l’allocation d’intégration elle-même étant prévue par la loi dès 65% d’incapacité. Les renseignements sont également donnés en ce qui concerne la décision médicale catalane (l’intéressé bénéficiant de prestations octroyées par la Generalitat de Catalunya).

La situation du couple fait dès lors l’objet d’un examen dans le cadre de l’article 61 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, eu égard à la question de la catégorie de bénéficiaire dans le chef de l’intéressée.

L’administration centrale de l’ONEm considère, à l’issue de son examen du dossier, que le compagnon perçoit une allocation non contributive qui appartient à un régime d’assistance (ce qui dépendrait, en droit belge, du SPF Sécurité sociale). L’ONEm considère cependant que le long séjour de l’intéressé en Belgique ainsi que le fait qu’il ait son domicile sur le territoire seraient des indices de fait qu’il est question d’une allocation de sécurité sociale et non pas d’assistance. Une décision est dès lors prise, aux fins de récupération. Le BR de Liège confirme, dans celle-ci, que le revenu du compagnon ne peut être considéré par la Belgique comme une allocation non contributive, et ce eu égard au séjour de longue durée en Belgique et du domicile, les autorités catalanes continuant à payer la prestation malgré l’absence de l’intéressé sur le territoire.

La décision du tribunal

Le tribunal retrace le cadre de la réglementation applicable, s’agissant d’une question de droit européen. Il reprend ainsi les dispositions du Règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatives au champ d’application personnel et matériel. Dans ce dernier, figurent les prestations de chômage. Le Règlement prévoit que, sauf dispositions contraires, les personnes auxquelles il s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations en vertu de la législation de tout Etat membre que les ressortissants de celui-ci. Des dispositions prévoient de manière expresse les règles d’assimilation (prestations, revenus, faits ou événements), ainsi que les principes de base, étant la levée des clauses de résidence, l’obligation pour les Etats de faire des déclarations permettant de déterminer si les prestations relèvent ou non du champ d’application du Règlement, ainsi que les règles de non-cumul, étant que le Règlement ne confère ni ne maintient le droit de bénéficier de plusieurs prestations de même nature se rapportant à une même période d’assurance obligatoire (sauf dispositions contraires).

Il faut, à la lumière de ces règles, examiner les conditions de la réglementation chômage. Le tribunal en vient alors à l’examen de l’article 110 de l’arrêté royal organique, qui détermine la catégorie de bénéficiaire, ainsi qu’à l’article 61 de l’arrêté royal d’application du 26 novembre 1991. Cette dernière disposition détermine ce qu’il faut entendre par revenus de remplacement au sens de l’article 110, dont le texte prévoit qu’est un travailleur ayant charge de famille celui qui cohabite avec un conjoint ne disposant ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement. Le tribunal reprend l’avis de l’Auditeur du travail, la question étant ici de déterminer si les revenus perçus par le concubin peuvent ou non être considérés comme des revenus de remplacement aux fins d’octroyer à l’intéressée la qualité de travailleur ayant charge de famille (ou de cohabitant).

Il relève que certains revenus de remplacement ne sont pas pris en considération, étant essentiellement les trois allocations prévues dans le secteur des prestations aux personnes handicapées (A.R.R., A.I. et A.P.A.). En l’espèce, il s’agit d’une indemnité versée par l’Institut catalan d’assistance et de services sociaux. L’intéressé bénéficie en effet d’une pension d’invalidité (qui suppose un degré d’incapacité de 65% et l’absence de tous revenus personnels ou issus du ménage dans les limites définies par la loi). A cette pension, qu’il perçoit depuis 2002, est venue s’ajouter une indemnité complémentaire pour pensionné. Ultérieurement, il a pu également bénéficier d’une indemnité « économique » destinée aux soins et à l’assistance personnelle.

L’Auditeur du travail a interrogé les autorités catalanes et celles-ci ont confirmé qu’il s’agit de prestations de type non contributif reprises à l’annexe X du Règlement (étant les prestations déclarées par les Etats membres comme ayant un tel caractère). Pour le tribunal, il s’agit ainsi de prestations ayant les mêmes caractéristiques que celles octroyées dans le secteur des personnes handicapées. Ces prestations ne constituent pas une assurance sociale financée par des cotisations avec droit proportionnel à des indemnités (ce qui serait de nature à leur donner un caractère de prestations de sécurité sociale). Elles sont entièrement à charge de l’Etat et octroyées selon des besoins réels.

Le tribunal relève encore que tant les prestations aux personnes handicapées en droit belge que celles visées par la réglementation espagnole figurent au même titre dans l’annexe X. Il s’agit dans les deux cas de prestations spéciales à caractère non contributif. Les revenus perçus par le compagnon ne doivent dès lors pas être pris en considération et l’intéressée peut bénéficier du taux « personne ayant charge de famille ».

Le tribunal relève encore que, si les prestations espagnoles ont continué à être versées alors que l’intéressé ne réside pas sur le territoire espagnol (condition à remplir), ceci est sans incidence sur le taux des allocations de chômage belge.

Intérêt de la décision

En vertu de l’article 70, § 2, du Règlement n° 883/2004, les prestations dites « spéciales en espèces à caractère non contributif » font l’objet d’une définition stricte. Il s’agit des prestations destinées soit à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale (visées à l’article 3, § 1er, du Règlement) et à garantir aux intéressés un revenu minimum de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’Etat membre concerné, soit uniquement à assurer la protection spécifique des personnes handicapées, étroitement liée à l’environnement social de ces personnes. Celles-ci sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires et leurs conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires. Elles sont énumérées dans une annexe spéciale (annexe X).

Cette annexe reprend, pays par pays, les prestations que les Etats ont déclarées comme telles, étant qu’elles remplissent les conditions du Règlement. En droit belge, il s’agit de l’allocation de remplacement de revenus pour personnes handicapées (loi du 27 février 1987) et du revenu garanti aux personnes âgées (loi du 22 mars 2001).

Pour ce qui est de l’Espagne, sont visées les prestations en espèces d’assistance aux personnes âgées et aux invalides incapables de travailler, ainsi que les pensions d’invalidité et de retraite de type non contributif fixées par la législation et des compléments à celles-ci.

En l’espèce, il aurait aisément pu être vérifié, par la consultation de l’annexe X, que les prestations en cause y figuraient expressément. Le fait qu’il y ait – vraisemblablement – des questions sur le bien-fondé de l’octroi de celles-ci pour une personne résidant à l’étranger est sans incidence sur la réglementation belge. Si ces prestations n’étaient pas versées, il ne serait en aucune manière question d’examiner un « revenu de remplacement » et la solution quant à la catégorie de bénéficiaire à retenir sur le plan des allocations de chômage serait la même.


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