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Notion d’études de plein exercice en vue de la dispense en matière chômage

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 septembre 2018, R.G. 2017/AB/380

Mis en ligne le vendredi 12 avril 2019


Cour du travail de Bruxelles, 19 septembre 2018, R.G. 2017/AB/380

Terra Laboris

Dans un arrêt du 19 septembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles se penche sur la notion d’études « de plein exercice » compatibles – ou non – avec le bénéfice d’allocations de chômage.

Les faits

Bénéficiaire d’un diplôme en gravure (La Cambre), et ce depuis 2008, Madame X. s’inscrit au chômage, pour la première fois, en 2015. Elle a à ce moment pour projet d’obtenir une agrégation dans cette spécialité et d’enseigner.

Elle informe son organisme de paiement qu’elle envisage de poursuivre ses cours d’agrégation et a, selon ses explications, demandé dans quelle mesure il y avait compatibilité avec le bénéfice d’allocations de chômage. L’O.P. lui a conseillé d’introduire une demande de dispense, ce qu’elle a fait dès le mois d’octobre. Début novembre, l’ONEm demande à l’intéressée de remplir un nouveau formulaire, ce qu’elle fait en fin de mois.

Le 11 janvier 2016, la dispense est refusée et l’intéressée est exclue du bénéfice des allocations de chômage pour l’avenir. Lui est reprochée l’absence de disponibilité d’emploi, vu la poursuite d’études de plein exercice. En outre, l’ONEm constate qu’elle n’a pas bénéficié de 312 allocations pendant les 2 années précédant le début du cycle d’études.

Pour ce qui est de la perception des allocations pendant la période où elle a déjà poursuivi ce cycle d’études, elle est entendue par l’ONEm. Elle donne toutes explications voulues, fait valoir sa bonne foi dans les formalités administratives auxquelles elle était tenue et déclare que, tout en étant sans revenus, elle entend poursuivre jusqu’à la fin du cycle, vu qu’il sera terminé dans les 2 mois.

Elle est cependant exclue pour la période passée (article 93 de l’arrêté royal). Elle s’adresse, ensuite, au C.P.A.S. et termine ses études d’agrégation. Elle bénéficie, à partir de la fin de celles-ci, de nouveau des allocations de chômage.

Une procédure est introduite à la fois contre l’ONEm et l’O.P. Ce dernier est condamné, par jugement du 15 mars 2017, à indemniser l’intéressée, le tribunal constatant la faute de celui-ci et fixant le dommage (matériel) d’une part au montant de l’indu qui doit être remboursé à l’ONEm et, d’autre part, à la différence entre l’aide sociale perçue à partir de janvier jusqu’en juin 2006 et les allocations auxquelles elle aurait eu droit.

L’O.P. interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle que les dispositions réglementaires réglant la question sont les articles 68 et 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, dont elle reprend le texte.

L’article 68 vise l’interdiction de bénéficier d’allocations pendant la période où sont suivies des études de plein exercice (telles que définies par la réglementation), sauf si les cours sont dispensés principalement le samedi ou après 17h00 ou si le chômeur a obtenu une dispense en application de l’article 93. Cet article concerne les conditions de la dispense et, parmi celles-ci, figure l’exigence d’avoir bénéficié d’au moins 312 allocations comme chômeur complet au cours des 2 années précédant le début des études (sauf exception, étant essentiellement les professions dans lesquelles il y a pénurie significative de main-d’œuvre).

Pour la cour, qui rejoint l’intéressée sur ce point, il n’était pas nécessaire pour elle de demander la dispense, dans la mesure où les études projetées n’étaient pas des études de plein exercice. Pour la cour, l’affirmation que, à partir de plus de 17 crédits, les études constituent nécessairement des études de plein exercice est sans base légale. Cette conclusion vaut également pour toute affirmation qu’un enseignement qui ne relève pas de la promotion sociale est nécessairement de plein exercice.

Le seul élément dont il faut tenir compte dans la réglementation du chômage est l’enseignement « en horaire décalé » (ainsi que des « certificats universitaires »). L’on ne peut, comme le signale expressément la cour, ramener la réalité de l’enseignement supérieur à une opposition binaire entre « plein exercice » et « promotion sociale ». La question de savoir si les études sont de plein exercice est une question à apprécier in concreto.

La cour constate que l’agrégation en cause ne correspond ni à un master (ni à un master 60 ni a fortiori à un master 120 ou 180), mais vise uniquement à parfaire la formation des personnes déjà diplômées qui souhaitent s’orienter vers l’enseignement. Le but de la formation est dès lors uniquement de donner une finalité pédagogique à un master déjà acquis.

En ce qui concerne les horaires, il s’agit d’une formation qui n’a pas lieu principalement la journée et qui, d’ailleurs, est accessible aux étudiants de deuxième master en plus de leur programme complet. Ceci confirme son caractère accessoire. La cour relève que les cours avaient lieu le mercredi de 18h00 à 21h00, la matinée du vendredi, ainsi qu’une partie du samedi. La durée du programme hebdomadaire étant de 11 heures 30, elle relève que 9 heures étaient données après 17h00 ou le samedi.

Pour l’appréciation de l’adverbe « principalement » utilisé à l’article 68 de l’arrêté royal (« (…) sauf si les cours sont dispensés principalement le samedi ou après 17h00 (…) »), la cour renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Liège du 14 novembre 2011 (C. trav. Liège, 14 novembre 2011, R.G. 2008/AL/26.029), pour conclure que ce terme ne fait pas obstacle à ce qu’une partie de la formation soit donnée avant 17h00, à la condition cependant de ne pas empêcher la disponibilité normale du chômeur sur le marché de l’emploi.

Pour la cour, la conclusion est dès lors que, vu les éléments de fait liés essentiellement à l’horaire, l’on ne peut considérer que les études poursuivies réduisaient la disponibilité de l’intéressée pour le marché du travail, les stages figurant dans la formation étant par ailleurs marginaux.

La cour accueille ainsi l’appel incident de l’intéressée. Elle annule les décisions de l’ONEm et rétablit celle-ci dans son droit aux allocations de chômage.

Quant à la condamnation de l’O.P., celle-ci est également annulée, celui-ci en étant déchargé.

Intérêt de la décision

La notion d’études de plein exercice ne fait, en effet, pas l’objet d’une autre définition en matière de chômage que celle figurant à l’article 68 de l’arrêté royal. Cette disposition a été rappelée par la cour : il doit s’agir d’études organisées, subventionnées ou reconnues par une Communauté ou, s’il s’agit d’études à l’étranger, d’études comparables. Ne sont pas prises en considération les études pour lesquelles les cours sont dispensés principalement le samedi ou après 17h00 ou si le chômeur a obtenu une dispense en application de l’article 93.

La Cour du travail de Liège avait, dans un arrêt doctrinal important sur la question (C. trav. Liège, 14 novembre 2011, R.G. 2008/AL/36.029), longuement examiné le cas d’un bénéficiaire d’allocations d’attente. La cour avait considéré que le texte de l’article 68 (« principalement le samedi ou après 17h00 ») était ambigu, l’adverbe « principalement » portant à la fois sur le samedi et sur les heures après 17h00.

La cour avait considéré que cette disposition devait être interprétée en ce sens que l’horaire de la formation, même s’il ne se situe pas complétement après 17h00, ne peut nuire à la disponibilité normale sur le marché de l’emploi, obligation que le chômeur doit respecter, même s’il suit la formation.

Dans l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles commenté, il est également souligné que l’on ne peut, pour ce qui est de l’enseignement supérieur, ramener la réalité de ce type de formations à une opposition binaire entre « plein exercice » et « promotion sociale ».


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