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Agression pour des motifs de vie privée et accident du travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 décembre 2018, R.G. 2018/AB/179

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2019


Cour du travail de Bruxelles, 3 décembre 2018, R.G. 2018/AB/179

Terra Laboris

Dans un arrêt du 3 décembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’un accident survenu là où la liberté du travailleur n’est pas limitée par l’employeur est un accident sur le chemin du travail et non un accident du travail au sens strict.

Les faits

Une employée d’un centre de santé mentale (agent statutaire) se rend à son travail en voiture. Son mari l’accompagne. A la fin de ses prestations de travail, elle regagne son véhicule, où elle retrouve son mari, qui n’a pas quitté celui-ci. Ce dernier l’agresse violemment (avec un marteau). Elle arrive à alerter ses collègues (cris, coups de klaxon). Les secours sont appelés. Une déclaration d’accident du travail est remplie. Elle est adressée à l’employeur public, qui la transmet à son assureur. Celui-ci refuse la reconnaissance d’un accident du travail.

Une procédure est introduite par l’intéressée en juillet 2015 devant le Tribunal du travail de Bruxelles.

L’employeur public persiste à considérer que les faits ne peuvent être qualifiés ni d’accident du travail ni d’accident sur le chemin du travail.

La décision du tribunal

Le tribunal du travail statue par jugement du 30 mai 2017.

Il reprend les conditions d’existence de chacun de ces deux types d’accident, soulignant que ce qui distingue l’accident du travail au sens strict de l’accident sur le chemin du travail est l’existence de l’autorité de l’employeur. Celle-ci est requise pour l’accident du travail, mais ne l’est pas pour l’accident sur le chemin du travail. La jurisprudence de la Cour de cassation a permis de définir ce qu’il y a lieu d’entendre par « autorité de l’employeur » dans le cadre du régime de réparation des accidents du travail, s’agissant de toute situation où la liberté personnelle du travailleur est limitée en raison de l’exécution du contrat de travail (le tribunal renvoyant notamment à Cass., 26 avril 2004, n° S.02.0127.F).

Pour le tribunal, le lieu de l’accident n’est donc pas totalement déterminant, puisqu’un employeur peut exercer son autorité et restreindre la liberté du travailleur dans l’entreprise elle-même, mais également en dehors (renvoyant aux hypothèses de prestations chez des clients, de travail à domicile, etc.).

La Cour de cassation avait rendu un arrêt important sur la question le 22 février 1993 (Cass., 22 février 1993, n° 9.578), à propos d’un parking. Le juge du fond avait retenu que la travailleuse victime de l’accident n’avait aucune contrainte professionnelle relevant de sa fonction ou de l’autorité de l’employeur à se trouver dans celui-ci. Elle avait également été agressée et la cour du travail avait relevé que, si elle le fut une première fois dans le parking, elle le fut une seconde fois en fuyant sur la voie publique peu avant d’entrer dans l’entreprise elle-même. L’accident ainsi survenu ne pouvait être qualifié d’accident du travail mais d’accident sur le chemin du travail.

Le tribunal renvoie encore à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles du 5 novembre 2012 (C. trav. Bruxelles, 5 novembre 2012, R.G. 2011/AB/992).

En l’espèce, le tribunal rejette que la circonstance qu’il s’agisse d’un parking privé appartenant à l’employeur public soit déterminante. Pour le tribunal, la situation géographique est sans relevance. La question à trancher – et la seule – est de savoir si la victime était sous l’autorité de l’employeur, c’est-à-dire si sa liberté personnelle était ou non limitée en raison de l’exécution du contrat.

Le tribunal conclut des éléments de fait qu’il n’y aucune preuve de l’exercice de l’autorité de l’employeur sur son personnel sur le lieu de l’accident. Il admet dès lors qu’il y a eu accident sur le chemin du travail.

Appel est interjeté par l’employeur.

La décision de la cour

La cour statue dans cet arrêt du 3 décembre 2018, vidant sa saisine.

Elle confirme le jugement, après avoir repris les principes de l’indemnisation de l’accident, dans le secteur public.

Elle y précise, dans l’application des principes au cas d’espèce, que l’agression est survenue sur le parking du centre où la travailleuse exerçait ses fonctions, alors qu’elle venait de terminer son service et avait quitté le bâtiment. La cour relève qu’elle n’était à ce moment occupée ni à sa fonction sur son lieu de travail ni à une mission à l’extérieur. L’accident est survenu juste après qu’elle se fut préparée à quitter dans sa voiture. Dès lors, la liberté personnelle de l’intéressée n’était plus limitée et l’accident ne peut être intervenu du fait de l’exercice des fonctions.

La cour rejette également l’argument selon lequel le parking est la propriété de l’employeur, celui-ci étant inopérant d’une part dans la mesure où d’autres usagers pouvaient l’utiliser et où, d’autre part, le personnel n’avait aucune obligation de le faire, s’agissant d’une simple facilité.

Enfin, elle rejette que la circonstance que des manquements aux obligations en matière de parcage des véhicules puissent être sanctionnés soit un critère pouvant être retenu.

La cour confirme dès lors que l’accident s’est produit hors du cours de l’exercice des fonctions. De ce fait, il ne peut qu’être un accident sur le chemin du travail, dans la mesure où il satisfait aux autres conditions requises pour être reconnu comme fait accidentel. Ces conditions sont que l’accident doit s’être produit sur le trajet normal que le travailleur doit parcourir pour se rendre de sa résidence au lieu de l’exécution du travail, et inversement. Cette circonstance de fait n’est pas contestée.

La cour confirme dès lors le jugement du tribunal du travail et renvoie la cause à ce dernier, en vertu de l’article 1068, alinéa 2, du Code judiciaire.

Intérêt de la décision

Cette affaire est l’occasion de revenir sur les distinctions entre l’accident du travail au sens strict et l’accident sur le chemin du travail, ce dernier n’exigeant nullement l’existence d’une autorité de l’employeur au moment où il se produit, mais supposant que soient remplis d’autres critères, essentiellement liés à la notion de « trajet normal ».

L’on notera que la cause de l’accident (s’agissant manifestement ici d’un conflit d’ordre privé) n’est même pas abordée, cet élément n’étant pas à prendre en compte dans la définition.

L’on peut encore rappeler que la présomption dite « d’exécution » de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971, en vertu de laquelle le fait que l’accident soit survenu au cours de l’exécution du contrat est présumé l’être du fait de cette exécution peut être renversée. Cette présomption (réfragable au même titre que la présomption de causalité de l’article 9) pourrait permettre que soit retenue l’absence de tout lien avec l’exécution du contrat de travail, si les circonstances permettent de l’établir.

Il peut encore être renvoyé à un arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 8 mai 2015 (R.G. 2014/AL/524), selon lequel il faut examiner si l’accident est survenu à un moment où le travailleur avait sa liberté personnelle limitée en raison de l’exécution du contrat. Le but de la loi est de protéger la victime dans toutes les circonstances où elle se trouve sous l’autorité de l’employeur – celle-ci pouvant être purement virtuelle. L’exécution du contrat ne coïncidant pas avec l’exécution du travail lui-même, le lien de subordination ne peut pas être limité à la durée de l’exécution du travail. L’accident étant survenu dans la cuisine de l’habitation de l’employeur, la cour retient que le lieu du travail était situé au sein même de l’habitation et que l’employée pouvait très bien être tenue de signaler son départ à son employeur ou à son épouse, ceci pouvant être un usage.

Sur le plan des principes, en ce qui concerne la notion d’autorité, l’on peut enfin citer l’important arrêt de la Cour de cassation du 9 novembre 2015 (n° S.15.0039.N), où la Cour a décidé qu’il y a existence de l’autorité de l’employeur au sens de l’article 7, 1er et 3e alinéas de la loi du 10 avril 1971 si le travailleur a, en conséquence de son contrat de travail, eu sa liberté personnelle limitée. L’exécution du contrat de travail couvre en effet les circonstances où le travailleur se trouve sous l’autorité de l’employeur au moment de l’accident. Ainsi, en cas de participation à une compétition sportive, il faut vérifier si le travailleur était limité dans sa liberté personnelle.


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