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Travailleurs indépendants : conditions de l’assimilation d’une incapacité de travail à une période d’activité

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 26 juin 2018, R.G. 2016/AN/54

Mis en ligne le mardi 26 février 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 26 juin 2018, R.G. 2016/AN/54

Terra Laboris

Dans un arrêt très documenté du 26 juin 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) renvoie, pour les conditions de l’assimilation d’une période d’incapacité de travail à une période d’activité, aux règles dégagées à propos de la notion d’activité et aux présomptions d’assujettissement au statut social des travailleurs indépendants pour les mandataires de société.

Les faits

Un travailleur indépendant est en incapacité de travail depuis le 1er avril 2010. Il demande l’assimilation de la période d’incapacité à une période d’activité. Il produit comme élément la démission de son mandat d’administrateur délégué au sein d’une société anonyme. Il est cependant resté gérant d’une SPRL et administrateur d’une autre société de capitaux.

L’I.N.A.S.T.I. lui accorde l’assimilation.

Neuf mois plus tard environ, l’intéressé devient gérant d’une autre société de personnes. Une enquête a alors lieu, à l’initiative de l’I.N.A.S.T.I., sur les activités exercées.

Il en résultera une première décision administrative du 29 avril 2014 refusant l’assimilation à partir de la date à laquelle l’intéressé a occupé un nouveau poste de gérant d’une SPRL (juillet 2011), celle-ci étant comprise comme la reprise d’une activité professionnelle de travailleur indépendant, l’I.N.A.S.T.I. visant en fait les deux mandats de gérants.

Une deuxième décision intervient en septembre 2014, décision prise par l’Office National des Pensions (actuellement Service fédéral des Pensions) se fondant sur celle de l’I.N.A.S.T.I. et réclamant un montant de pension perçu indûment, de l’ordre de 760 euros.

Viennent ensuite deux autres décisions, prises, celles-ci, par l’Union Nationale des Mutualités Socialistes, toujours suite à la décision de l’I.N.A.S.T.I. Un indu de soins de santé et d’indemnités de l’ordre de 45.000 euros est réclamé.

Toutes ces décisions sont contestées. Le Tribunal du travail de Namur fait droit à toutes les demandes de l’intéressé. Appel est interjeté par l’I.N.A.S.T.I.

L’U.N.M.S. et le Service fédéral des Pensions forment « appel incident ».

Position des parties devant la cour

Pour l’I.N.A.S.T.I., la décision de suppression du bénéfice de l’assimilation est fondée sur la circonstance que l’intéressé a continué de percevoir des revenus de travailleur indépendant, et ce par les sociétés dont il était le gérant. L’assimilation ne peut être accordée en cas d’exercice ou de reprise d’une activité professionnelle. L’intéressé était mandataire et associé unique d’une SPRL et était également gérant de l’autre, sans qu’il ne soit établi que le mandat était gratuit et que la société n’était pas active.

L’U.N.M.S. maintient, pour sa part, sa position initiale, étant que, vu l’annulation de la période d’assimilation, l’intéressé ne pouvait prétendre aux soins de santé et aux indemnités versées.

Le Service fédéral des Pensions se réfère à justice sur la recevabilité de son appel et, sur le fond, renvoie à son argumentation antérieure, étant que sa décision découle de celle prise par l’I.N.A.S.T.I.

Pour l’intimé, qui a été victime d’un grave accident en 2009 l’ayant rendu totalement incapable de travailler, il n’y a pas eu de reprise du travail. Il souligne qu’il a démissionné de son seul mandat rémunéré et que les autres mandats étaient exercés à titre gratuit. Il considère renverser la présomption légale, précisant qu’il n’a pas exercé la gestion journalière dans les sociétés en cause et qu’il n’a pas perçu de rémunération.

La décision de la cour

La cour requalifie les appels de l’U.N.M.S. et du Service fédéral des Pensions d’appels introduits à titre principal et non d’appels incidents. Etant hors délai, puisque formés par voie de conclusions, la cour conclut à leur irrecevabilité. Le jugement est dès lors définitif en ce qui les concerne.

Sur le fond, elle consacre d’abord d’importants développements à la question de la motivation formelle de l’acte (l’intéressé contestant qu’il y ait conformité à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1991 sur la motivation formelle des actes administratifs) et conclut que la décision est conforme. Le fait qu’elle contienne (éventuellement, comme le souligne la cour) des erreurs dans les considérations de droit et de fait est sans incidence sur leur existence en tant que motivation formelle : renvoyant au Rapport de la Cour de cassation de 2008 (p. 220 et références citées), elle souligne que des motifs adéquats mais erronés ne constituent pas un défaut de motivation.

Elle en vient ensuite à la question de savoir s’il y a ou non lieu d’assimiler la période d’incapacité à une période d’activité. L’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 interdit l’assimilation s’il y a eu, au cours de la période concernée, une activité professionnelle. La période assimilée prendra par ailleurs fin dès la reprise.

Pour ce qui est de la notion d’activité professionnelle, il faut renvoyer à l’arrêté royal n° 38 et aux présomptions d’exercice établies dans celui-ci, notamment pour ce qui est de l’exercice d’un mandat dans une société commerciale. Ces règles valent, également, pour l’application de l’article 28, § 3, de l’arrêté royal du 22 décembre 1967 (la cour citant ici divers arrêts de la Cour de cassation, dont Cass., 21 mars 1983, n° 13.115, ainsi que diverses décisions de cours du travail).

Elle rappelle dès lors les règles des articles 3, § 1er, et 4 de l’arrêté royal n° 38. Celles-ci ont évolué, sous l’impulsion de la Cour constitutionnelle – qui a admis le caractère réfragable de la présomption au statut social des indépendants des mandataires de société –, ainsi que de la Cour de Justice de l’Union européenne, renvoyant ici aux décisions importantes, étant C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004, et C.J.U.E., 27 septembre 2012, Aff. n° C-137/11, PARTENA c/ LES TARTES DE CHAUMONT-GISTOUX).

Cette règle vaut également pour l’article 2 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, qui contient également une présomption, la cour soulignant que, pour des motifs similaires à ceux énoncés ci-dessus, cette présomption peut également être renversée. Par ailleurs, depuis juin 2014, ce caractère réfragable est explicitement consacré à l’article 3 de l’arrêté royal n° 38. Il peut dès lors être établi qu’il y a gratuité du mandat (découlant d’une disposition statutaire ou, à défaut, d’une décision de l’organe compétent).

La cour reprend les éléments de fait, établissant l’existence de divers mandats, et conclut qu’il appartient à l’intéressé de renverser la présomption à l’égard de l’ensemble des sociétés en cause. Reprenant les conditions de chacun des mandats, la cour conclut cependant qu’il n’y a pas renversement.

Reste le côté médical, l’intéressé déposant un dossier largement documenté, en vue d’établir qu’il était dans l’incapacité d’exercer une activité. Ces éléments ne peuvent être retenus, d’une part étant postérieurs à la période concernée et, d’autre part, l’intéressé ayant repris un autre mandat, au lieu d’abandonner les mandats existants.

La cour réforme dès lors le jugement, considérant la demande non fondée.

Intérêt de la décision

Cet arrêt fait le pont, pour ce qui est du caractère réfragable de la présomption d’exercice d’une activité, entre divers textes, et ce au départ de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui, dans son arrêt du 3 novembre 2004, a admis la possibilité de renverser la présomption selon laquelle il y avait, de manière irréfragable, assujettissement au statut social des indépendants des mandataires de société, sauf pour ceux qui gèrent une société belge de l’étranger. L’arrêt de la Cour de Justice du 27 septembre 2012 a étendu ce caractère réfragable aux activités de gestion d’une société soumise à l’impôt d’un Etat membre exercées à partir d’un autre Etat membre.

La jurisprudence a indiqué comment renverser cette présomption, étant qu’il peut être prouvé qu’il y a absence d’exercice d’une activité indépendante en Belgique (soit absence d’une activité habituelle, soit absence de but de lucre, soit exercice dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un statut, ou encore exercice à l’étranger). L’absence de but de lucre est établie à partir de la preuve de la gratuité du mandat, gratuité dont la cour rappelle qu’elle doit être examinée en droit et en fait.

Ces règles, en vigueur dans le cadre des mesures d’exécution de l’arrêté royal n° 38 organisant le statut social des travailleurs indépendants, sont applicables à l’arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants.


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