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Chômage temporaire et mandat de gérant d’une SPRL : compatibilité ?

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 28 juin 2018, R.G. 16/2.864/A

Mis en ligne le mardi 12 février 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 28 juin 2018, R.G. 16/2.864/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 28 juin 2018, rappelant l’évolution jurisprudentielle et la position doctrinale sur la situation des mandataires de société, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière) conclut à la confirmation d’une décision de l’ONEm, qui avait exclu un bénéficiaire d’allocations de chômage temporaire des prestations pendant une période de plusieurs mois où il avait exercé les fonctions de gérant d’une SPRL.

Les faits

Un gérant (non statutaire) d’une société, dont il détient toutes les parts, est nommé pour une durée illimitée, le mandat étant gratuit.

Il s’inscrit, parallèlement, auprès d’une caisse d’assurances sociales, en qualité de travailleur indépendant à titre accessoire. Il bénéficie à l’époque d’allocations de chômage temporaire.

Il explique, dans le cadre de l’enquête administrative, qu’il est sous contrat de travail et connaît du chômage temporaire. Il est devenu gérant d’une SPRL active dans le secteur de la construction (secteur dans lequel il travaille comme salarié). Il signale que la société est, au moment de son audition, en veilleuse depuis près de 2 mois, les ouvriers étant licenciés. Il dit ignorer qu’il était tenu de déclarer cette activité accessoire et impute ceci à une mauvaise information de son guichet d’entreprise, signalant qu’il avait pris les renseignements voulus et qu’il lui a été répondu que la situation était admise (compatibilité entre la fonction de gérant et la situation de chômage temporaire). Il est alors auditionné et, à l’issue de cette audition, il est décidé de récupérer les allocations indûment versées.

Il confirme alors que la situation est due à une mauvaise information, qu’il va démissionner et qu’il n’a pas voulu commettre une fraude.

La décision administrative qui est prise ensuite porte sur l’exclusion du bénéfice des allocations de chômage temporaire pour une période d’environ 15 mois, la récupération des allocations indues et l’exclusion pour une période de 26 semaines. Il est également décidé que l’intéressé est non indemnisable à partir de la décision elle-même.

La décision de l’ONEm est longuement motivée, l’Office examinant successivement la contrariété de la situation constatée avec les articles 44, 45 et 46 de l’arrêté royal (exclusion), ainsi que 71 (absence de biffure de la carte de contrôle), 169, alinéa 1er, de l’arrêté royal (récupération) et 154 du même texte (sanction administrative). Pour celle-ci, la durée de 26 semaines a été fixée vu l’importance de l’indu et l’absence de circonstances atténuantes particulières établies (ce dernier terme étant souligné). Il est également constaté qu’au jour de l’audition, l’intéressé est toujours gérant de la société. Ces éléments font que le directeur du BR considère ne pas devoir donner un avertissement ni assortir la décision d’exclusion d’un sursis (complet ou partiel).

Un recours est introduit devant le tribunal du travail.

Le jugement du tribunal

Les différents points sont examinés successivement. Le premier suscite des développements juridiques, puisqu’il s’agit de la possibilité d’exercer un mandat dans une société commerciale, au sens de la réglementation chômage. Le tribunal constate en premier lieu qu’il s’agit d’une activité pour compte propre qui n’est pas limitée à la gestion des biens propres. Renvoi est fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 3 janvier 2005 (Cass., 3 janvier 2005, n° S.04.0091.F). La Cour y a jugé que l’exercice du mandat d’administrateur d’une société commerciale constitue une activité effectuée pour compte propre. Cette activité est exercée dans un but lucratif même si elle ne procure pas de revenus. Elle n’est dès lors pas une activité limitée à la gestion normale des biens propres au sens de l’article 45 de l’arrêté royal organique.

Il est également renvoyé à l’arrêt du 12 décembre 2016 (Cass., 12 décembre 2016, n° S.13.0022.F), arrêt rendu dans une hypothèse concernant l’accès à la prépension conventionnelle, l’intéressé n’ayant pas, dans sa demande d’allocations, précisé qu’il exerçait parallèlement à sa fonction de salarié un mandat d’administrateur délégué à titre gratuit d’une société coopérative à responsabilité limitée (il en détenait une part sur 32.300). Pour la Cour de cassation, le juge du fond ne pouvait considérer ce mandat comme une activité exercée pour compte propre et conclure, au seul motif qu’elle n’était pas rémunérée, qu’elle constituait une activité limitée à la gestion normale de ceux-ci. Il y a violation de l’article 45, alinéa 1er, de l’arrêté royal organique.

Le tribunal en vient ensuite au rappel de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (C. const., 3 novembre 2004, n° 176/2004) en ce qui concerne le caractère réfragable de la présomption d’exercice d’une activité indépendante dans le chef des mandataires de société.

Sur le plan des principes encore, il rappelle que le mandat implique – sauf circonstances particulières – une activité régulière et habituelle et que, même si le mandataire vaque à d’autres occupations, il est à tout moment susceptible de devoir contrôler et/ou représenter la société dont il est l’organe. Le chômeur titulaire d’un mandat dans une société commerciale peut cependant apporter la preuve de l’absence d’activité et démontrer que le mandat était gratuit et que la société n’avait pas de réelle activité elle-même. La preuve doit dès lors porter à la fois sur la gratuité mais également sur la circonstance que la société n’exerce pas d’activité ou, à tout le moins, qu’elle n’a que des activités très limitées rendant la gestion sans objet véritable. Le tribunal rappelle ici un arrêt du 13 avril 2016 de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 13 avril 2016, R.G. 2014/AB/726).

Appliquant ces règles à l’espèce, le tribunal constate que l’intéressé n’établit pas qu’il n’exerçait pas d’activité de gestion au sein de la société et que, en conséquence, il y a activité au sens de la réglementation. Celle-ci est d’ailleurs confirmée par l’affiliation à une caisse d’assurances sociales.

La décision de l’ONEm relative à l’exclusion se trouve dès lors confirmée, de même que celle concernant la récupération des allocations indûment perçues.

Sur la sanction, cependant, celle-ci est réduite, étant ramenée à 20 semaines, le tribunal substituant ainsi son appréciation à celle de l’ONEm, et ce sur la base des mêmes critères, étant la période visée et l’importance de l’activité exercée.

Intérêt de la décision

Ce jugement contient les principales étapes de l’évolution de la question.

Il rappelle à juste titre un récent arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 13 avril 2016, concernant également un salarié s’étant inscrit auprès d’une caisse à titre complémentaire. Il lui a été reproché, essentiellement, les mêmes griefs que ceux de la présente espèce.

Dans cet arrêt, la Cour du travail de Bruxelles avait cité la doctrine qui a été rappelée par le tribunal dans son jugement, relative à l’activité inhérente au mandat (M.-A. DELVAUX et P. DE WOLF, « Les responsabilités civiles des dirigeants de sociétés commerciales », Le statut du dirigeant d’entreprise, Y. DE CORDT (dir.), Crides, Larcier, 2009, p. 208, note 15).

Dans l’espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles, la hauteur de la sanction avait été maintenue (26 semaines), l’intéressé ayant déjà été sanctionné à plusieurs reprises pour avoir poursuivi la gestion d’une ou de plusieurs sociétés, tout en conservant les allocations de chômage.


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