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Catégories de bénéficiaires en chômage et règles de preuve

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 11 juillet 2018, R.G. 14/2.005/A

Mis en ligne le jeudi 31 janvier 2019


Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), 11 juillet 2018, R.G. 14/2.005/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 16 juillet 2018, le Tribunal du travail du Hainaut (division La Louvière), s’appuyant sur une jurisprudence bien établie de la Cour du travail de Mons, reprend les règles de répartition de la charge de la preuve (avec renversement) en cas de constatation par l’ONEm d’une situation inexacte par rapport aux mentions du C1.

Les faits

Lors de son inscription au chômage en 2009, un travailleur remplit son C1, déclarant qu’il est chef de famille, dans la mesure où il paie une pension alimentaire. Une enquête sera menée à son domicile en 2011 (enquête pénale) et il y est constaté que l’appartement n’est pas occupé, aucun effet vestimentaire ne s’y trouvant. Après l’avoir entendu, l’ONEm prend une décision d’exclusion et de récupération (avec sanction d’exclusion de 13 semaines) au motif qu’il n’aurait pas le statut qu’il a déclaré (travailleur ayant charge de famille). Il lui est fait grief d’avoir fait des déclarations inexactes.

Se pose, dans le cadre du recours judiciaire qu’il introduit (le montant de la récupération étant de l’ordre de 10.500 euros), la question de la récupération des allocations payées au-delà des 3 ans de la réclamation, ainsi que la régularité d’une perquisition faite au domicile, qui toucherait la régularité de la procédure elle-même.

La décision du tribunal

Sur le plan des règles applicables, le tribunal reprend l’article 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui définit les différentes catégories de bénéficiaires d’allocations. Il renvoie également aux articles 153 et 169 de l’arrêté royal concernant les conditions de l’exclusion, ainsi que celles du remboursement de sommes versées indûment.

Les obligations du chômeur sur le plan de la charge de la preuve sont rappelées, étant que, s’il prétend être travailleur isolé, il doit l’établir. Pour le tribunal, de la même façon, il doit établir la qualité de chef de famille qu’il revendique.

En ce qui concerne l’inscription au registre national, il s’agit d’un élément d’appréciation mais non d’une présomption irréfragable de cohabitation. La preuve de l’inadéquation entre la situation exposée et la réalité peut être apportée, le tribunal rappelant ici deux arrêts de la Cour du travail de Mons à cet égard (C. trav. Mons, 27 mars 2014, R.G. 2013/AM/250 et C. trav. Mons, 20 avril 2006, R.G. 19.288).

Le document C1 que le chômeur doit remplir avec sincérité, lors de son inscription, n’a, pour le tribunal, aucune force probante particulière. Il s’agit d’une simple indication donnée par le bénéficiaire sur sa situation.

Dès lors, renvoyant encore à un autre arrêt de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 5 novembre 2008, R.G. 20.384), le tribunal poursuit, sur le plan de la charge de la preuve, que la situation est examinée en trois phases successives, étant que (i) le montant des allocations est déterminé sur la base de la déclaration faite par le chômeur, (ii) si l’ONEm conteste le taux, il doit établir que la situation est autre que celle déclarée et (iii), en cas de déclaration inexacte, il y a renversement de la charge de la preuve, étant que le chômeur doit établir qu’il se trouve dans la situation lui permettant d’être indemnisé au taux isolé ou au taux de cohabitant avec charge de famille.

Dès lors qu’existent des présomptions graves, précises et concordantes de la constitution d’une communauté domestique entre deux personnes, et ce suite aux éléments recueillis par les services du contrôle de l’ONEm ou l’information de l’auditorat, c’est à l’intéressé, qui se prétend chef de ménage, d’établir la réalité de sa situation. Le tribunal renvoie encore à la doctrine de J.-F. FUNCK (J.-F. FUNCK, « La situation familiale du chômeur : ses effets sur le droit aux allocations et sur leur montant », La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Waterloo, Kluwer, 2011, p. 224), selon laquelle l’ONEm ne peut ici adopter une position purement passive et se contenter d’attendre du chômeur qu’il démontre l’absence de cohabitation. Il doit recueillir les éléments d’information susceptibles d’indiquer que la déclaration n’est pas exacte.

Par ailleurs, sur le plan de la récupération, le tribunal rappelle encore l’article 7, § 13, alinéa 2, de l’arrêté royal du 28 décembre 1944, étant que l’indu se prescrit par 3 ans (ou 5 ans en cas de fraude ou de dol). Le tribunal expose encore que la fraude ne résulte pas seulement d’allégations mensongères mais peut découler d’abstentions coupables ou d’omission, notamment lorsque des déclarations sont prescrites. Ces règles ont été dégagées dans plusieurs arrêts de la Cour de cassation (dont Cass., 7 septembre 1987, J.T.T., 1988, p. 194).

Se pose, en outre, la question de la régularité d’un mandat de perquisition. Le tribunal précise ici qu’il ne s’agit pas d’un procès-verbal de perquisition dont il devrait vérifier la régularité, dans la mesure où l’auditorat du travail a transmis celui-ci à l’ONEm, reprenant des constatations faites à l’occasion d’une perquisition survenue dans le cadre d’une enquête pénale. Il s’agit, au stade de l’examen de celui-ci par le tribunal du travail, uniquement d’examiner la régularité de sa transmission.

Dans ses missions, l’auditorat du travail dispose de toutes les prérogatives reconnues au Ministère public dans l’action publique, ce qui inclut le pouvoir d’investigation, en cas de constatation d’existence d’indices d’infraction aux lois et règlements (le tribunal renvoyant à G. KREIT, « Réflexions sur le rôle du Ministère public devant les juridictions du travail. Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée de la Cour du travail de Liège le 4 septembre 1978 », La doctrine du judiciaire, De Boeck Université, 1998, p. 651). Parmi ses compétences, il dispose notamment du pouvoir de communiquer aux administrations intéressées les informations recueillies. Le procès-verbal est dès lors produit régulièrement.

En l’espèce, il a été constaté lors de la mesure d’instruction qu’aucun effet personnel appartenant à l’intéressé ne se trouvait à l’adresse qu’il avait reprise comme étant celle de sa résidence. Le logement est dès lors considéré comme fictif. La preuve contraire n’est pas apportée et le tribunal conclut à la confirmation de la décision de l’ONEm. La règle de prescription est celle de 5 ans, vu les déclarations inexactes.

Intérêt de la décision

Ce jugement fait un bon rappel des règles en matière de preuve de la catégorie de bénéficiaires, dans le secteur des allocations de chômage. Il rappelle qu’il appartient au chômeur, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, d’établir sa qualité d’isolé. Le tribunal poursuit qu’il en va de même pour la qualité de chef de famille.

Il renvoie à une décision importante de la Cour du travail de Mons (C. trav. Mons, 5 novembre 2008, R.G. 20.384), qui a rappelé les règles en matière de répartition de la charge de la preuve. C’est à partir de la déclaration du chômeur sur le C1 (déclaration qui doit être faite avec sincérité) que le montant des allocations est déterminé. Dès lors qu’il y a contestation de cette qualité par l’ONEm, celui-ci doit établir que la situation présentée n’est pas exacte. Le chômeur a alors la charge de la preuve de la qualité qu’il revendique, la charge de la preuve étant renversée.

Les faits, dans ce jugement, sont examinés à la lumière de ces règles, l’assuré social échouant, au stade final de l’exercice, à établir qu’il se trouve dans la situation lui permettant d’être indemnisé au taux revendiqué.

L’on notera encore que dans un autre jugement du même jour dans un litige opposant la compagne de l’intéressé à son propre organisme assureur, le même tribunal a considéré que la jurisprudence de la Cour du travail de Mons était applicable au domaine AMI (Trib. trav. Hainaut (div. La Louvière), 11 juillet 2018, R.G. 14/1.959/A et 14/2.879/A).


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