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Absence de capacité de travail suffisante : chômage ou mutuelle ?

Commentaire de C. trav. Mons, 18 avril 2018, R.G. 2018/AM/57

Mis en ligne le vendredi 11 janvier 2019


Cour du travail de Mons, 18 avril 2018, R.G. 2018/AM/57

Terra Laboris

Par arrêt du 18 avril 2018, la Cour du travail de Mons reprend les règles permettant de déterminer les conditions pour bénéficier des indemnités de mutuelle, eu égard à une réduction de capacité de gain.

Les faits

Une assurée sociale d’une quarantaine d’années bénéficiait d’indemnités de mutuelle depuis l’année 2006. Elle avait, précédemment, entamé plusieurs formations dans le secteur de l’enseignement. Sur le plan professionnel, elle avait travaillé pendant une période d’environ quatre mois dans le cadre d’une A.S.B.L., pour des fonctions d’éducatrice dans l’année 2000, et avait été surveillante et ensuite assistante administrative (temps partiel) pour une période d’une année scolaire, affectation à laquelle il fut mis fin prématurément, l’intéressée bénéficiant alors des allocations de chômage.

Elle fut rapidement prise en charge par sa mutuelle et fut considérée comme apte au travail après quelque temps, la décision lui notifiée précisant qu’elle était « apte à l’exercice des professions qui lui étaient accessibles ».

Elle s’inscrivit au chômage et bénéficia ensuite dans ce secteur de la reconnaissance d’une inaptitude temporaire au travail d’au moins 33% pour une durée de deux ans au moins (période d’octobre 2006 à octobre 2008), étant ainsi dispensée de la procédure de suivi du comportement de recherche active d’emploi. Cette reconnaissance fut renouvelée et il fut admis que l’inaptitude était permanente, à partir de 2012.

Elle retomba cependant en incapacité de travail en octobre 2015 pour des troubles de la personnalité, dépression et angoisse et fut réadmise par sa mutualité.

En juillet 2016, une décision fut prise par celle-ci. Elle considère qu’il n’y avait plus, à dater du 4 août 2016, réduction de capacité de gain au sens légal. Pour le médecin-conseil, l’intéressée était atteinte du syndrome d’Asperger, entraînant une inadaptation totale au monde du travail et une impossibilité d’obtenir des interactions et des relations sociales normales. Il estimait que cette situation existait depuis l’adolescence et qu’il n’y avait jamais eu de réelle insertion professionnelle dans un travail normal, mais uniquement des tentatives effectuées, et ce dans un environnement totalement protégé et à concurrence de quelques heures par semaine. Il concluait que, vu l’absence de période de travail à temps plein pendant au moins six mois, il n’y avait pas d’insertion réelle sur le marché du travail.

L’intéressée introduisit un recours judiciaire contre cette décision. A l’appui de son recours, l’intéressée produisit un rapport de sa psychiatre, confirmant une incapacité de travail supérieure à 66%.

Dans le cadre de la procédure, un expert fut désigné par jugement du 22 janvier 2018, aux fins d’éclairer le tribunal sur la question de savoir si les lésions ou troubles fonctionnels de l’intéressée entraînaient une réduction de sa capacité de gain au sens des articles 100, § 1er, et 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. C’est de cette décision que l’organisme assureur interjeta appel. L’objet de l’appel est de modifier la mission d’expertise.

Il considère devant la cour que le premier juge n’a pas abordé la problématique principale, étant l’absence de capacité de gain initiale de l’intéressée. Il n’y a pas, pour lui, vu l’inadaptation totale au monde du travail et l’impossibilité d’obtenir des relations sociales normales, un lien de causalité tel que requis à l’article 100 de la loi coordonnée, puisque la condition de cessation d’activité doit être en conséquence directe du début ou de l’aggravation des lésions ou troubles fonctionnels.

L’intéressée marque accord sur la modification de la mission, vu qu’elle ne conteste pas la pathologie visée.

La décision de la cour

La cour examine en premier lieu la première période d’incapacité de travail de 2006, ainsi que celle d’octobre 2015, puisqu’à deux reprises, le médecin-conseil de l’organisme assureur a admis la prise en charge dans le secteur AMI. Pour la cour, l’organisme assureur reconnaît une erreur d’appréciation dans la gestion du dossier par son médecin-conseil. En cas d’erreur, comme elle le précise, à l’origine d’une décision d’une autorité administrative, celle-ci peut faire l’objet d’une révision. Elle ne pourra cependant avoir d’effet que pour l’avenir.

En l’occurrence, rappelant le caractère d’ordre public de la législation, la cour souligne qu’il ne se concevrait pas qu’une situation médicale non conforme puisse donner lieu à une indemnisation dans le secteur. Rappelant un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1993 (Cass., 3 mai 1993, n° 8.311), elle souligne qu’il n’existe pas de droit pour l’assuré social à voir se perpétuer indéfiniment à son profit les effets d’une décision erronée.

Il faut, en l’occurrence, que le lien de cause à effet soit prouvé. Il fait que, si des personnes avaient une capacité de gain réduite au début de leur occupation en raison d’un « état antérieur », elles ne peuvent être reconnues incapables sans aggravation de leur état de santé. En d’autres termes, si, au moment où il entame une activité professionnelle, le travailleur a déjà une réduction de sa capacité de gain inférieure à 66%, il ne pourra être reconnu en incapacité que si la cessation de l’activité résulte soit d’une aggravation de cet état de santé, soit de la survenance d’une nouvelle affection ayant des répercussions sur la capacité de gain.

Si la capacité de gain était inexistante au regard des critères de l’article 100, une aggravation de l’état de santé n’ouvre pas le droit au bénéfice des indemnités. En d’autres termes, et revenant encore à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 3 mars 1986, Pas., I, p. 824), la cour rappelle que l’on ne peut perdre une seconde fois une capacité de travail que l’on avait déjà perdue par le passé.

Pour déterminer la réduction de la capacité de gain, il faut considérer l’ensemble des lésions et troubles fonctionnels présentés au moment de l’interruption de travail et non seulement les lésions ou troubles fonctionnels nouveaux ou l’aggravation qui est la cause directe de cette interruption. La Cour de cassation est également intervenue sur ce point et la cour du travail rappelle son arrêt du 1er octobre 1990 (Cass., 1er octobre 1990 n° 7.145).

La cour en vient ensuite aux conditions de l’existence d’une aptitude au travail avant l’entrée sur le marché du travail. Il faut notamment que l’intéressée prouve des prestations de travail suffisantes. Il y a lieu de vérifier en l’espèce si l’aptitude au travail existait. La cour décide de modifier la mission de l’expert en conséquence, étant de vérifier si la cessation des activités à la date où l’assurée sociale a été reconnue par le médecin-conseil de la mutuelle en incapacité de travail est la conséquence du début ou de l’aggravation de toutes les lésions ou de tous les troubles fonctionnels objectivés.

Intérêt de la décision

Le contexte de l’espèce est particulier, puisqu’à deux reprises, et ce en l’espace d’une dizaine d’années, deux médecins-conseils différents avaient admis que l’intéressée remplissait les conditions de l’article 100. Celle-ci a dès lors été indemnisée dans le secteur.

La cour du travail a élargi, dans son arrêt, la mission telle que confiée par le tribunal à l’expert judiciaire, et ce afin de tenir compte de la question centrale du dossier, étant de déterminer si l’intéressée avait ou non une capacité de travail réelle lors de son entrée sur le marché du travail. L’on notera quand même que, même si ses périodes d’occupation n’ont pas été très longues, elle a néanmoins presté dans le cadre de plusieurs contrats, et ce au cours de quelques années.

Il appartiendra à l’expert de déterminer notamment si, tenant compte de ses prestations et de la pathologie sévère dont elle souffre, elle a fait plus que des tentatives d’insertion sur le marché du travail.

L’on notera enfin que, si la réponse devait être négative, la cour a rappelé qu’il y aurait dans ce cas une erreur dans le chef de l’organisme assureur et que les effets de la correction de celle-ci ne vaudraient que pour l’avenir.


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