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Garantie du paiement de prestations d’assurance vieillesse complémentaire dans le cadre de la Directive n° 2008/94/CE

Commentaire de C.J.U.E., 6 septembre 2018, Aff. n° C-17/17 (HAMPSHIRE c/ THE BOARD OF THE PENSION PROTECTION FUND)

Mis en ligne le lundi 7 janvier 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 6 septembre 2018, Aff. n° C-17/17 (HAMPSHIRE c/ THE BOARD OF THE PENSION PROTECTION FUND)

Terra Laboris

Par arrêt du 6 septembre 2018, la Cour de Justice rappelle qu’elle a été amenée à préciser dans divers arrêts la portée de l’article 8 de la Directive n° 2008/94/CE et que celui-ci peut se voir reconnaître un effet direct devant le juge national.

Les faits

M. Hampshire a travaillé en qualité de salarié pendant 27 ans auprès d’une société britannique et a été affilié pendant cette période au régime de pension de retraite interne à celle-ci. Après son licenciement, intervenu à la suite de la reprise de la société par une société américaine, il a pris sa pension de retraite anticipée à 51 ans. L’âge normal de la retraite pour les travailleurs salariés affiliés au régime de la société était de 62 ans. Il a été informé du fait que sa pension s’élèverait à près de 49.000 livres par an.

Le montant de la pension a ensuite été revu (à la baisse), tenant compte du fait que l’intéressé n’avait pas encore atteint l’âge normal de départ à la retraite prévu dans le régime.

Cette diminution est d’environ 67% par rapport aux droits qu’il aurait acquis si l’employeur n’était pas devenu insolvable.

D’autres employés étant dans la même situation, l’ombudsman du PPF (Fonds britannique de garantie des pensions : Pension Protection Fund) a été saisi, la décision de la société ayant été approuvée par le Conseil du PPF. En effet, dans l’hypothèse où, à la date de l’insolvabilité, les actifs du régime sont jugés suffisants pour payer les coûts des passifs protégés, le régime demeure en-dehors du PPF et est liquidé par ses administrateurs. Dans les autres hypothèses, il y a transfert de la propriété, des droits et des passifs du régime au PPF, les administrateurs ou gérants du régime étant déchargés à ce moment et le Conseil du PPF devant garantir que l’indemnité est payée conformément aux dispositions relatives au plan de pension.

La demande n’ayant pas abouti, une procédure a été introduite devant la High Court of Justice (England and Wales), qui a rejeté le recours. Appel a alors été interjeté devant la Court of Appeal (England and Wales). M. Hampshire faisait valoir que la Pensions Act 2004 (loi sur les pensions de 2004) accorde des droits différents aux travailleurs salariés, qui, à la date de la survenance de l’insolvabilité de l’employeur, avaient ou n’avaient pas atteint l’âge normal de la retraite prévu par leur régime de prévoyance (pas de diminution pour les uns alors qu’elle existe pour les autres, ceux-ci étant également soumis à une limite maximale).

Monsieur Hampshire fait valoir que les dispositions de la loi sur les pensions de 2004 (sur lesquelles se fonde la décision du PPF le concernant) ne sont pas conformes à l’article 8 de la Directive n° 2008/94/CE, dès lors que ces dispositions ont pour conséquence que certains travailleurs salariés perçoivent moins de 50% de la valeur de leurs droits acquis à des prestations de vieillesse. Le PPF considérant que l’article 8 de la Directive doit être interprété comme garantissant en moyenne à l’ensemble des travailleurs salariés membres d’un régime complémentaire une indemnité d’un montant égal à au moins 50% de la valeur de leurs droits acquis (et non à chaque travailleur salarié pris individuellement), la cour d’appel a posé à la Cour de Justice trois questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur le point de savoir si l’article 8 impose aux Etats membres de garantir que chaque travailleur salarié perçoive au moins 50% de la valeur de ses droits acquis.

La deuxième question (subsidiaire) vise la conformité à la Directive (i) d’un système dans lequel certains travailleurs salariés particuliers vont recevoir moins de 50% vu une limite financière maximale posée au montant de l’indemnité payée (notamment lorsque les travailleurs salariés n’ont pas atteint l’âge normal de la retraite de leur régime de prévoyance au moment de la survenance de l’insolvabilité) et/ou (ii) de règles limitant les augmentations annuelles ou la réévaluation annuelle de leurs droits.

La troisième question porte sur l’effet direct de l’article 8 dans les circonstances de l’espèce.

La décision de la Cour

La Cour répond aux deux premières questions ensemble.

Dans le cadre des obligations des Etats fixées à l’article 8 de la Directive n° 2008/94, ceux-ci doivent s’assurer que les mesures nécessaires sont prises pour protéger les intérêts des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, en ce qui concerne les droits acquis ou en cours d’acquisition à des prestations de vieillesse dans le cadre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels (soit hors les régimes légaux nationaux de sécurité sociale).

La Cour rappelle que les Etats bénéficient d’une large marge d’appréciation, mais qu’elle a eu l’occasion dans sa jurisprudence de poser le principe que la garantie de prestations limitée à moins de la moitié des droits acquis ne répond pas à la définition du terme « protéger » au sens de l’article 8. C’est l’arrêt ROBINS du 25 janvier 2007 (C.J.U.E., 25 janvier 2007, Aff. n° C-278/05, ROBINS e.a.). Cette jurisprudence a été confirmée dans un important arrêt HOGAN du 25 avril 2013 (C.J.U.E., 25 avril 2013, Aff. n° C-398/11, HOGAN e.a.), s’agissant de prestations de vieillesse dont les droits avaient été accumulés à titre individuel par dix travailleurs salariés, ayant chacun adhéré à l’un des régimes complémentaires de prévoyance à prestations définies fondés par l’employeur. Pour la Cour, en cas d’insolvabilité, le travailleur doit percevoir au moins la moitié des prestations de vieillesse découlant des droits à pension accumulés pour lesquels il a cotisé. Enfin, un dernier arrêt du 24 novembre 2016 (C.J.U.E., 24 novembre 2016, Aff. n° C-454/15, WEBB-SÄMANN) a précisé que le niveau de protection prévu à l’article 8 constitue une garantie minimale individuelle pour chaque travailleur.

La thèse du Gouvernement du Royaume-Uni ne peut donc être suivie, s’agissant d’une protection de bénéficiaires individuels. En outre, les principes dégagés dans la jurisprudence de la Cour ne valent pas uniquement pour certains employeurs insolvables (relevant de secteurs spécifiques) ou pour certains travailleurs salariés (relevant d’un contexte économique et social particulier). La protection doit par ailleurs s’étendre sur toute la durée de la retraite et l’indemnité doit correspondre à 50% de la valeur des droits acquis tenant compte de l’évolution prévue des prestations de retraite sur toute la durée de celle-ci.

La Cour en vient ensuite à la troisième question, portant sur l’effet direct de l’article 8. Rappelant les principes sur les conditions dans lesquelles une disposition d’une directive peut avoir un effet direct, elle vérifie si celui-ci est inconditionnel et suffisamment précis. Il faut effectuer cette vérification sur trois plans, étant (i) la détermination des bénéficiaires de la protection, (ii) le contenu de cette protection et (iii) l’identité du débiteur.

Il y a une obligation claire et précise incombant aux Etats membres, qui a pour objet de conférer des droits aux particuliers, et ce sans conditions spécifiques. En ce qui concerne le débiteur, le PPF est chargé d’une mission d’intérêt public et dispose de pouvoirs exorbitants dans le cadre de celle-ci, puisqu’il perçoit des contributions auprès des régimes complémentaires de prévoyance professionnels agréés et qu’il est autorisé à leur donner les instructions nécessaires dans le cadre de leurs liquidations. En outre, son Conseil fixe le niveau de protection de chaque travailleur eu égard à ses droits acquis, tant en cas de prise en charge du régime par l’organisme que pour une éventuelle liquidation en-dehors de lui.

Les conditions pour que l’article 8 ait dans ces circonstances un effet direct sont dès lors remplies. Il peut être invoqué devant une juridiction nationale par un travailleur salarié particulier pour contester la décision du PPF.

Intérêt de la décision

La Cour de Justice rappelle ici les étapes qui ont jalonné sa jurisprudence en la matière. Il s’agit des arrêts ROBINS, HOGAN et WEBB-SÄMANN (précédemment commenté), identifiés ci-dessus.

Si, à la lecture de l’exposé des faits, les conditions dans lesquelles le montant de la pension a pu être réduit de manière drastique n’apparaissent pas clairement (vu l’exposé succinct de cet aspect du litige), il n’en demeure pas moins que la réduction en l’espèce était supérieure à 50%.

La Cour rappelle que ce taux est une garantie minimale qui s’applique à tous les travailleurs et à tous les employeurs.

Vu le caractère clair et précis de la norme, elle est directement invocable par le justiciable devant les juridictions nationales.


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