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Ancienneté conventionnelle d’un cadre supérieur : maintien des clauses sur préavis depuis la loi statut unique ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 30 mars 2018, R.G. 2016/AB/1.100 (NL)

Mis en ligne le vendredi 21 décembre 2018


Cour du travail de Bruxelles, 30 mars 2018, R.G. 2016/AB/1.100 (NL)

Terra Laboris

Par arrêt du 30 mars 2018, la Cour du travail de Bruxelles fait un examen combiné des articles 67 à 69 de la loi du 26 décembre 2013, ainsi que des travaux préparatoires : la volonté du législateur n’a pas été de supprimer pour les travailleurs les dispositions plus favorables existant en la matière.

Les faits

Un cadre supérieur d’une société active dans le domaine de l’informatique est engagé en 2004. Son contrat de travail contient une clause lui reconnaissant une ancienneté conventionnelle de 14 ans s’il était mis fin au contrat dans les 12 mois de sa prise de cours et de 18 ans après l’écoulement de cette période.

Il est licencié en 2015, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 10 mois et 9 semaines. Son conseil réclame à la société un complément important, considérant qu’il y a lieu de prendre en compte, outre les 10 années d’ancienneté effective, 18 autres octroyées conventionnellement.

Une procédure est introduite vu le désaccord des parties. L’intéressé est débouté par jugement du Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles du 7 octobre 2016. Il interjette appel, réclamant à titre principal un montant de l’ordre de 810.000 euros et, à titre subsidiaire, 360.000 euros.

La décision de la cour

Pour la cour, le point litigieux concerne essentiellement la question de la validité de la clause, vu que celle-ci d’une part fait référence à l’article 82, § 5 (ancien), de la loi sur les contrats de travail et qu’elle octroie par ailleurs une ancienneté conventionnelle.

La question est de déterminer l’incidence de l’entrée en vigueur de la loi sur le statut unique sur celle-ci.

La clause ayant d’une part prévu des délais de préavis renvoyant à l’article 82, § 5, LCT, et d’autre part visé expressément une ancienneté conventionnelle, se pose la question de savoir si ces deux engagements sont distincts ou s’ils forment un tout.

La cour fait un rappel en droit civil, s’agissant des règles contenues aux articles 1217 et 1718, C.C., soulignant qu’un contrat peut avoir plusieurs objets, ayant un caractère cumulatif, alternatif ou facultatif. Il y a lieu de vérifier la volonté des parties. Pour la cour, si les engagements pris constituent un tout, la nullité éventuelle d’une partie de la disposition entraîne celle de la disposition entière.

La cour reprend les dispositions correspondantes de la loi sur le statut unique, à savoir ses articles 67 et 68, qui réglementent la durée des préavis. Elle relève qu’il ressort des travaux préparatoires que la volonté du législateur était de laisser inchangées les règles en matière de préavis pour les employés dont la rémunération annuelle excède au 31 décembre 2013 le seuil de 32.254 euros. Elle reprend des débats qui ont eu lieu suite à l’avis donné par le Conseil d’Etat, ainsi que les points de vue donnés en doctrine, dans laquelle deux tendances se sont rapidement dégagées. Pour une partie, le texte de l’article 68, 3e alinéa, est clair et sans ambiguïté. Vu par ailleurs les termes du 2e alinéa, il y a impossibilité de maintenir en vigueur le système existant précédemment pour les hauts salaires. D’autres, renvoyant aux travaux préparatoires et au principe de sécurité juridique et de confiance légitime, plaident pour la validité des clauses conclues avant l’entrée en vigueur de la loi.

Pour la cour, il faut se livrer à un travail d’interprétation, dans la mesure où la disposition n’est pas claire et n’est pas conforme aux travaux préparatoires qui ont été à l’origine du texte. Elle procède à un examen conjoint des articles 67 à 69, considérant que la volonté du législateur a été de maintenir les clauses plus favorables existantes pour le travailleur. La disposition contractuelle litigieuse constituant un tout, la cour examine si ce tout est dans son ensemble plus favorable pour le travailleur, ce qui est incontestablement le cas. Il découle de la disposition du contrat qu’à la date du 31 décembre 2013, l’intéressé devait se voir reconnaître une ancienneté de 18 ans.

En l’espèce, il n’a que 10 ans, de telle sorte que la cour reconnaît le droit à un complément. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 360.000 euros.

Intérêt de la décision

L’article 67 de la loi du 26 décembre 2013 prévoit que le délai de préavis à respecter en cas de licenciement ou de démission des travailleurs dont le contrat de travail a pris cours avant le 1er janvier 2014 est constitué, comme on le sait, en additionnant deux délais.

La première partie est calculée, conformément à l’article 68, en fonction de l’ancienneté de service ininterrompue acquise au 31 décembre 2013, ce délai étant déterminé sur la base des règles légales, réglementaires et conventionnelles en vigueur à ce moment, applicables en cas de congé notifié à cette date. La disposition prévoit des règles différentes si la rémunération dépasse ou ne dépasse pas 32.254 euros.

L’article 69 fixe les règles de calcul de la seconde partie, celle-ci étant fonction de l’ancienneté de service ininterrompue acquise à partir du 1er janvier 2014. Le délai est déterminé selon les règles légales ou réglementaires applicables au moment de la notification du congé, ce libellé étant distinct de celui de l’article 68, qui visait également les règles conventionnelles.

La question se pose dès lors de savoir si les dispositions spécifiques par lesquelles il avait par contrat été dérogé au délai de préavis pour les employés supérieurs étaient encore valables ou non pour les congés notifiés après le 1er janvier 2014. La cour du travail fait ici une analyse des dispositions visées et s’inspire fortement des travaux préparatoires pour dégager la volonté du législateur. Elle admet que dès lors qu’une disposition est plus favorable, elle doit continuer à s’appliquer. Relevons en cela que la cour suit la doctrine de C. BAYART (C. BAYART, « Het eenheidsstatuut, werking in de tijd, tweestappenberekening en conventionele regelingen inzake ontslagrechten en opzeggingstermijn », R.D.S., 2015/3, pp. 380-465).


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