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Certificats A1 : le dernier arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne

Commentaire de C.J.U.E., 11 juillet 2018, Aff. n° C-356/15 (COMMISSION EUROPEENNE et IRLANDE c/ BELGIQUE)

Mis en ligne le mardi 11 décembre 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 11 juillet 2018, Aff. n° C-356/15 (COMMISSION EUROPEENNE et IRLANDE c/ BELGIQUE)

Terra Laboris

Par arrêt du 11 juillet 2018, la Cour de Justice a rendu l’arrêt attendu, dans le cadre de la procédure en manquement initiée par la Commission contre la Belgique, eu égard aux articles 23 et 24 de la loi-programme du 27 décembre 2012.

Le contexte juridique

La Commission européenne avait adressé une mise en demeure à la Belgique, en novembre 2013, suite à l’entrée en vigueur de la loi-programme du 27 décembre 2012, dont elle considérait les articles 23 et 24 contraires au droit européen, étant les règles relatives à la valeur probante des documents A1 et à la procédure à suivre en matière de contestation.

Les articles 23 et 24 de la loi précitée donnent en effet compétence au juge national ainsi qu’à une institution publique de sécurité sociale, ou encore à un inspecteur social, pour constater des abus en la matière (la situation visant également le travailleur indépendant), ainsi que la possibilité d’appliquer d’office la législation de sécurité sociale belge au cas où il y a abus dans la délivrance de ces documents par un autre Etat membre.

La Belgique avait répondu notamment en invoquant l’adage fraus omnia corrumpit, ainsi que l’interdiction de l’abus de droit. Il s’agit de deux principes généraux de droit permettant aux Etats membres d’adopter des dispositions nationales dérogatoires au droit dérivé de l’Union.

La Commission n’étant pas satisfaite de la réponse de la Belgique, un recours en manquement a été introduit sur la base de l’article 258, T.F.U.E. L’Irlande a souhaité soutenir la position de la Commission et est dès lors à la cause.

Argumentation des parties

La Commission se fonde sur les articles 11 et 12 du Règlement n° 883/2004 ainsi que sur l’article 5, § 1er, de son Règlement d’application n° 987/2009.

Pour le Règlement de coordination, en ce qui concerne les travailleurs détachés, ceux-ci demeurent soumis à la législation de l’Etat membre dans lequel ils exercent normalement leur activité (étant l’Etat dans lequel leur employeur est établi), ce dernier fournissant à ceux-ci un certificat A1, qui a pour objet d’attester de leur statut d’assuré dans celui-ci. Le Règlement d’application prévoit que les documents établis par l’autorité compétente d’un Etat membre s’imposent aux institutions des autres Etats membres aussi longtemps qu’ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par celui qui les a délivrés.

Pour la Commission, en cas de difficulté d’interprétation ou d’application, il y a lieu, pour l’institution de l’Etat où le travailleur est détaché, de contacter celle de l’Etat de provenance et, à défaut de solution dans un délai raisonnable, la voie procédurale normale est la saisine de la Commission administrative. La Commission rappelle encore la jurisprudence de la Cour dans son arrêt HERBOSCH KIERE (C.J.U.E., 26 janvier 2006, Aff. n° C-2/05, HERBOSCH KIERE), selon lequel, dans la mesure où le certificat A1 crée une présomption de régularité de l’affiliation des travailleurs détachés au régime de sécurité sociale de l’Etat d’origine, il s’impose à l’institution de l’Etat membre de détachement. Il implique ainsi que la législation de celui-ci n’est pas applicable.

Il en découle que les compétences conférées aux institutions à l’Inspection sociale et au juge interne par les articles 23 et 24 de la loi-programme sont contraires aux deux règlements européens.

La Belgique considère que, en cas de fraude ou d’abus, elle peut déroger à ces règles et peut assujettir d’office les travailleurs à la sécurité sociale belge.

Pour la Commission, cette manière de voir est contraire aux modalités de coopération fixées dans les règlements en cas de suspicion de fraude ou d’abus et la règle est que, en vertu d’un principe général de sécurité juridique, tant que le certificat A1 n’a pas été retiré ou déclaré invalide par les autorités de l’Etat qui l’a délivré, les institutions de sécurité sociale et les juridictions de l’Etat de détachement sont liées. Il y a en outre, dans la législation belge, une atteinte au principe de coopération loyale entre les Etats membres.

La décision de la Cour

La Cour procède à un rappel des principes contenus dans les articles 11 et 12 (ainsi que dans l’article 76, § 6) du Règlement de coordination et dans l’article 5 du Règlement d’application. Cette dernière disposition porte sur la valeur juridique des documents en cause, précisant qu’ils s’imposent aux institutions des autres Etats membres aussi longtemps qu’ils n’ont pas été retirés ou invalidés par l’Etat d’origine.

Pour la Cour, qui rappelle non seulement l’arrêt HERBOSCH KIERE, mais également un arrêt très récent du 27 avril 2017 (C.J.U.E., 27 avril 2017, Aff. n° C-620/15, A-ROSE FLUSSSCHIFF), le principe de coopération loyale entre les Etats impose à l’autorité qui a délivré le certificat de procéder à une appréciation correcte des faits pertinents en ce qui concerne la loi applicable en matière de sécurité sociale. Elle est dès lors tenue de garantir l’exactitude des mentions qui y figurent. En cas de doute quant à l’exactitude des faits qui sont à la base des documents, elle doit retirer ce certificat. La Cour renvoie également à un arrêt plus récent, étant l’arrêt ALTUN e.a. (C.J.U.E., 6 février 2018, Aff. C-359/16, ALTUN e.a.), où elle a rappelé qu’en cas de désaccord entre institutions, notamment sur l’appréciation des faits propres à une situation spécifique, il faut saisir la Commission administrative et, au cas où celle-ci n’arriverait pas à concilier les institutions compétentes, il est possible de recourir à la procédure en manquement, conformément à l’article 259, T.F.U.E., afin de permettre à la Cour d’examiner la législation applicable et, partant, l’exactitude des mentions en cause.

La jurisprudence de la Cour sur la question enseigne également qu’en cas d’erreur même manifeste d’appréciation, la procédure à suivre est celle-ci. Par contre, en cas d’utilisation frauduleuse ou abusive des règles de l’Union, le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus constitue un principe général du droit de l’Union et son respect s’impose aux justiciables. L’arrêt ALTUN a précisé à cet égard que l’application de la réglementation de l’Union ne peut être étendue jusqu’à couvrir les opérations réalisées dans le but de bénéficier frauduleusement ou abusivement des avantages prévus dans la réglementation européenne.

Lorsque l’institution qui a délivré le document est saisie, dans le cadre du dialogue prévu à cet égard, et qu’elle s’abstient de procéder à un réexamen dans un délai raisonnable, ces éléments doivent pouvoir être invoqués dans le cadre d’une procédure judiciaire aux fins d’obtenir du juge de l’Etat de détachement qu’il écarte les certificats en cause. Ceci ne peut cependant se faire que si le juge a pu déterminer si les personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés de manière frauduleuse sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée sur la base du droit national applicable. En outre, elles doivent disposer de la possibilité de réfuter les éléments sur lesquels se fonde la procédure en cause dans le cadre du procès équitable.

En aucune manière, la réglementation belge ne satisfait aux conditions ci-dessus et la Cour relève encore qu’aucune disposition n’existe dans le droit européen donnant compétence à un Etat membre pour adopter une telle législation.

Elle fait dès lors droit aux griefs de la Commission tirés du manquement de la Belgique aux Règlements de coordination.

Intérêt de la décision

Cet arrêt était attendu. L’on soulignera que la législation litigieuse date de décembre 2012 et que la phase précontentieuse a débuté en novembre 2013. Le recours en manquement a été introduit en 2015.

Entre-temps, la question a été clarifiée dans la jurisprudence de la Cour de Justice et les deux arrêts de première importance cités, étant A-ROSA FLUSSSCHIFF et ALTUN e.a., ont permis à la question d’avancer.

Il est en effet évident que le système permet des fraudes et des abus, dans la mesure où la procédure fixée en droit européen se fonde sur le principe de coopération loyale entre les Etats et que, dans l’hypothèse où une institution nationale ne « jouerait pas le jeu », l’affaire peut rester bloquée. Cette situation est à l’origine de l’adoption des dispositions légales litigieuses.

Entre-temps, l’arrêt ALTUN e.a. a posé la règle en cas d’abus ou de recours frauduleux à ces certificats : dans les conditions qu’il a édictées (étant la possibilité d’incrimination des personnes qui ont eu frauduleusement recours à ce système, ainsi que les garanties du procès équitable), le juge national peut écarter les certificats en cause.


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